Bertrand Rossi : « L’Opéra de Nice, premier opéra français après Paris en levers de rideau »
Bertrand Rossi, vous faisiez figure d’exception il y a quelques mois dans notre article décrivant le marasme économique du secteur de l’opéra. Tout allait bien à Nice : la situation économique aura-t-elle tout de même un impact sur la saison prochaine ?
Nous avons eu la chance d’être très soutenus par la ville de Nice et par le département, les deux financeurs de l’opéra (nous n’avons aucune subvention de l’état). Nous n’avons annulé aucun spectacle cette saison, et n’avons renoncé à rien pour la prochaine. Cela fait de l’Opéra de Nice le premier opéra français après Paris en termes de levers de rideau, avec 344 représentations, tous types de spectacles confondus (l’Opéra en avait une centaine par saison avant mon arrivée). Nous présenterons 11 titres lyriques, avec l’un des plus petits budgets lyriques de France. Nous menons des coproductions nationales et internationales, avec le TCE, l’Opéra Comique, le Met, l’Opéra de Cologne, etc. Ces projets sont au-dessus de nos moyens sur le papier, bien que je ne dépasse pas notre budget d’un centime. Il y a à Nice un amour des voix : je mets donc aussi des moyens pour avoir d’excellentes distributions. Les chanteurs aiment venir à Nice : il fait beau même en hiver et leur loge dispose d’une vue sur la mer. Cela nous aide à les attirer.
Dans votre dernière interview à Ôlyrix, vous évoquiez une grande refonte de l’organisation de l’Opéra et de son organigramme : où en êtes-vous ?
Nous préparons un changement de statut de l’Opéra de Nice. Nous sommes en régie municipale directe et nous travaillons depuis quelques mois avec les services de la ville pour devenir un EPA, un Etablissement Public Administratif, pour passer en régie personnalisée. Nous aurons ainsi une totale autonomie par rapport à la ville de Nice. Si tout se passe bien nous changerons de statut au 1er janvier 2024. Parallèlement, nous sommes candidats au statut d’opéra national car nous avons la chance de répondre au cahier des charges : notre répertoire va du baroque jusqu’à la création, nous disposons dans la maison d’un orchestre, d’un chœur et d’un ballet, et nous avons des ateliers de costumes et décors. En région, seuls Bordeaux et Lyon (et Toulouse mais avec un orchestre indépendant juridiquement) disposent de tout ce panel. Cela nous amène à revoir les règlements de nos forces artistiques. La ville de Nice nous accompagnera ainsi pour réévaluer leurs salaires, qui n’ont pas augmenté depuis 40 ans, ce qui faisait par exemple de notre orchestre le moins bien payé de France. Le règlement de l’orchestre n’avait plus évolué depuis 1983, alors que le monde change et la vie des orchestres évolue : nous travaillons donc à sa refonte. Ces nouveaux règlements intégreront par exemple un accord audiovisuel, avec une avance forfaitaire intégrée aux salaires. Il est en effet très important que nous puissions être visibles sur les plateformes numériques. Or, cela nous était jusqu’ici difficile.
Vous ambitionniez de réaliser des investissements à la Diacosmie mais aucun spectacle n’y est prévu la saison prochaine : pourquoi ?
Nous avons en effet dû interrompre ce projet de développer des spectacles à la Diacosmie car ce n’est pas un Etablissement Recevant du Public (il manque par exemple des sorties de secours) et il ne nous était plus possible d’obtenir de dérogations. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas réaliser les investissements qui seraient nécessaires pour atteindre les normes : nous ne bénéficierons en effet plus de cette seconde scène la saison prochaine.
Lors de la présentation de votre projet, vous souhaitiez montrer de l’audace et un répertoire élargi : comment cela se concrétisera-t-il la saison prochaine ?
Nous avons eu une saison très italianisante, avec certes des relectures par les mises en scène. Nous avons démarré avec La Somnambule, une production prestigieuse avec le Met et le TCE, puis Lucia di Lammermoor qui était un report, plutôt conventionnel. Nous avons ensuite joué Falstaff qui se passait dans le 93, et La Bohème replacée dans les années sida, une relecture très forte. C’est une saison classique en termes de répertoire : en cela la saison prochaine est plus audacieuse.
Votre saison a pour thème « Se laisser surprendre » : comment l’avez-vous construite ?
L’idée était d’avoir une thématique générale entre l’art et le sport. Nous aurons énormément d’ouvrages donnés pour la première fois à l’Opéra de Nice la saison prochaine. Pour exceller dans ce sport de combat qu’est l’art, il faut parfois savoir baisser sa garde et se laisser surprendre. Nous déclinons ce thème à travers nos programmations lyriques, chorégraphiques et symphoniques qui bouleversent les codes.
Nice accueillera plusieurs évènements sportifs d’importance la saison prochaine : en quoi cela a-t-il guidé votre programmation ?
En effet, nous accueillerons le championnat du monde d’Ironman, un moment fort à l’automne, quatre rencontres de la Coupe du Monde de rugby, mais aussi le grand final du Tour de France et des épreuves de football dans le cadre des Jeux Olympiques. En échos à ces manifestations exceptionnelles, j’ai souhaité mettre en avant les liens entre l’art et le sport, en proposant une programmation éclectique et athlétique. Ainsi, nous ouvrirons notre saison tout début septembre (nous serons le premier opéra de France à ouvrir notre saison) avec un festival Hip Hop’éra, car le breakdance sera la nouvelle discipline de ces Jeux Olympiques. Ce sera une rencontre entre deux univers, avec huit danseurs de breakdance et huit danseurs classiques de notre ballet, qui s’affronteront sur la scène de l’opéra le soir, tandis qu’il y aura une présélection l’après-midi sur le parvis de l’Opéra où nous installerons une scène.
Peu après nous aurons notre Réunion de famille, un concert au cours duquel nous invitons notre public à venir savourer quelques moments forts de la nouvelle saison avec toutes les forces vives de la maison. La soirée sera ouverte par Rugby d’Honegger, une œuvre de 8 minutes, qui fera écho au mondial. Il a cherché à exprimer par sa musique les attaques, les ripostes du jeu, le rythme d’un match au stade. La soirée sera dirigée par Léo Warynski.
Le 14 juin, lors du dernier concert symphonique de la saison, avec Renaud Capuçon et la baguette de Lionel Bringuier, nous avons passé commande à Pierre Ruscher d’une œuvre autour des jeux, qui s’intitule Citius Altius Fortius [Plus vite, plus haut, plus fort, ndlr], la devise reprise par Pierre de Coubertin au père dominicain Henri Didon.
Pour la première fois, Paris n’accueillera pas l’arrivée du Tour de France du fait des Jeux : elle aura lieu à Nice. L’Orchestre Philharmonique de Nice s’est donc naturellement engagé dans une initiative d’envergure nationale appelée Tour d’orchestres à bicyclette qui sera dirigée par Dylan Corlay. Ce passionné de vélo se lance dans une tournée de deux mois au cours de laquelle il dirigera son programme avec chaque orchestre participant en faisant le trajet à vélo entre chaque concert. Il partira ainsi de Paris et arrivera à Nice le 14 juillet, suivi de certains musiciens volontaires qui formeront un peloton et se joindront à l’Orchestre de Nice pour le grand concert final.
En soi, l’idée de présenter l’Olympiade en cette année olympique, n’est pas révolutionnaire, mais l’originalité se trouve dans la forme du projet : quelle est-elle ?
Nous aurons l’Olympiade des Olympiades, une nouvelle production d’après Vivaldi et d’autres compositeurs qui se sont inspirés de Métastase. C’est une œuvre d’une incroyable modernité où le sport et l’opéra sont enfin réunis. Nous avons voulu créer un opéra nouveau en adaptant le livret pour mieux le faire entrer en résonnance avec notre monde d’aujourd’hui. Nous avons supprimé tous les récitatifs au profit d’un narrateur. Le breakdance et la danse classique s’affronteront dans des « battles » de haut niveau, tout comme le feront des musiciens de l’Ensemble Matheus face à l’Orchestre Philharmonique de Nice, pour rendre hommage aux compétitions olympiques. Jean-Christophe Spinosi dirigera l’ouvrage et Eric Oberdorff (qui a mis en scène chez nous Phaëton, et présentera L’Arche de Noé sous peu) assurera la mise en scène, en partant de l’idée d’un album Panini. Le dispositif du scénographe Fabien Teigné sera incroyable : la salle sera partagée en deux dans le sens de la longueur, depuis le fond de scène jusqu’au fond de salle. La flamme olympique partira du Musée national du Sport, parcourra toute la ville de Nice pour arriver à l’Opéra. Cette course sera intégralement filmée et retransmise dans le théâtre pendant le spectacle.
Vous annonciez prévoir une coproduction avec l’Opéra Comique chaque année, il s’agira cette fois de la Lakmé de Laurent Pelly, qui ouvrira votre saison. Qu’aviez-vous pensé de cette production ?
C’est la première fois que l’Opéra de Nice programme Laurent Pelly : c’est important de donner au public niçois ce qui se fait de mieux. Ce qui m’a plu dans cette production, c’est que l’exotisme imaginé est éliminé pour le transformer en une vision rassembleuse, à la fois moderne mais sans distorsion du livret : elle devrait plaire à tous les publics.
La distribution était un défi car nous n’aurons pas la vedette de la production [Sabine Devieilhe qui chantait le rôle à l’Opéra Comique, ndlr] : nous retrouverons avec plaisir la soprano américaine Kathryn Lewek que le public niçois a découverte lors des dernières représentations de Lucia di Lammermoor, et qui a connu un grand succès. Elle a des coloratures d’une facilité incroyable. Il faut rappeler qu’elle a chanté 50 fois La Reine de la nuit au Met, ce qui est un record. Nous accueillerons aussi la prise de rôle du ténor français Thomas Bettinger, qui avait brillé chez nous en Werther en 2021. Jean-Luc Ballestra, le niçois de la distribution, interprètera Nilakantha. Nous aurons également deux jeunes talents qui méritent d’être mis en avant : la soprano Lauranne Oliva en Ellen et la mezzo-soprano Elsa Roux Chamoux en Rose. Ce sont deux artistes passées par l’Opéra Studio de l’Opéra du Rhin [dont Bertrand Rossi était Directeur par intérim avant de rejoindre Nice, ndlr] et qui étaient de la promotion 2022 de Génération Opéra.
En décembre, vous présenterez 200 Motels – The Suites de Frank Zappa : à quoi faut-il s’attendre ?
Nous avons décidé avec Léo Warynski qui dirigera et Antoine Gindt qui assurera la mise en scène de jouer cette production en décembre car ce sera à deux jours près les 30 ans de la mort de Frank Zappa, ce compositeur américain, iconoclaste et satirique, à la croisée des chemins entre le classique et le rock, l’avant-garde et la pop. 200 Motels a été composé entre 1968 et 1971 et est une critique acérée de la société américaine, où l’on parle de consommation, des médias, de malbouffe, de sexe et de puritanisme. Il associe l’absurde à la crudité du langage. L’œuvre a déjà été donnée à la Philharmonie de Paris en 2018, mais la production est complètement réadaptée pour un théâtre à l’italienne. Ce sera un défi pour nous car nous utiliserons tous les moyens de la musique : nous aurons un orchestre immense, huit percussions interprétées par les Percussions de Strasbourg, un Chœur sur scène de manière ininterrompue pendant 1h40. Ce sera un évènement, qui sera également présenté dans le cadre du Festival d’opérette et de comédie musicale.
Durant ce Festival d’opérette, vous proposerez également une soirée Luis Mariano : dans quel esprit cette soirée sera-t-elle donnée ?
L’idée est de faire un concert-spectacle dans l’esprit de l’opérette. Cela nous permettra de rendre hommage à Luis Mariano, ce célèbre ténor qui n’a jamais quitté le cœur des amateurs d’opérette. Alice Meregaglia dirigera l’orchestre pour la première fois. Elle a fait ses débuts à l’Opéra Studio de l’Opéra du Rhin en tant que cheffe de chant, avant de devenir cheffe de chœur dans des opéras en Allemagne, ce qui lui permet d’y diriger des œuvres du répertoire.
En janvier, vous présenterez Rusalka dans la vision de Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil, nouvelle production de la région Sud : quel est le projet ?
Après La Dame de Pique par Olivier Py en 2020, nous présentons en effet un nouveau projet commun. Nous sommes le seul opéra de la région Sud à bénéficier d’un atelier de décor : c’est donc nous qui les avons construits. Nous avons utilisé 900 m² de la Diacosmie pendant 5 mois pour le construire : c’est un décor immense. Avec Frédéric Roels qui dirige l’Opéra d’Avignon, nous avons choisi ce fleuron de la musique romantique slave, qui trouve son inspiration dans La Petite Sirène d’Andersen. C’est une œuvre à la fois poétique et philosophique, c’est pourquoi nous avons confié la mise en scène au collectif de Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil, Le Lab, qui signent la mise en scène, les décors, les costumes et la vidéo. Ils sont connus pour l’efficacité de leurs visions, souvent radicales, et la précision de leur direction d’acteurs. Ils viendront chaque saison à l’Opéra de Nice et nous pourrons ainsi instaurer une sorte de résidence avec eux. Ils font un parallèle entre La Petite sirène qui est poétique et abstrait, et le monde de la natation synchronisée qui en sera le symbole d’aujourd’hui. Ça va être très impressionnant.
Pourquoi avoir choisi Elena Schwarz à la baguette et Vanessa Goikoetxea dans le rôle-titre ?
Je suis ravi d’avoir Elena Schwarz à la direction : elle est à 33 ans l’une des cheffes d’orchestre qui monte. Vanessa Goikoetxea est une soprano américaine qui fera ses débuts à l’Opéra de Nice. Elle a récemment été acclamée par la presse internationale pour son interprétation de Tosca : elle sera parfaite dans ce rôle romantique. Nous aurons aussi Amadi Lagha dans le rôle du Prince, un ténor franco-tunisien qui a une vaillance incroyable, des aigus faciles et une présence attachante. Camille Schnoor, qui est niçoise d’origine et est en troupe à Munich, interprètera la Princesse étrangère. Elle avait fait ses débuts à Nice dans La Veuve joyeuse.
La région Sud s’associe aussi pour créer La Petite sirène de Régis Campo : que dire de ce projet dirigé par Jane Latron et mis en scène par Bérénice Collet ?
J’ai en effet choisi de présenter cette production en parallèle de Rusalka. Cela montre la volonté de l’Opéra de Nice de créer le répertoire du XXIème siècle. Je suis persuadé que la création auprès des plus jeunes est beaucoup plus facile qu’auprès des adultes car ils n’ont aucun a priori et ont donc une ouverture d’esprit très large. La distribution sera choisie à travers des auditions communes entre les quatre maisons du Sud. Cette production a vocation à tourner en dehors du circuit des opéras grâce à l’Arcal, qui est coproducteur et prendra le relai pour faire tourner cette production dans les scènes nationales, les centres dramatiques, les maisons de la culture, etc. Pour cela, le dispositif a été conçu pour être léger, grâce à l’utilisation de supports vidéos, ainsi qu’un effectif réduit. J’ai travaillé avec Bérénice Collet à l’Opéra du Rhin en 2019 sur Marlène Baleine [lire notre compte-rendu]. J’aime beaucoup sa vision contemporaine de l’opéra. J’avais confié à Jane Latron un concert avec Sofiane Pamart, un pianiste de musiques urbaines, et sa relation avec l’Orchestre avait été très bonne : j’ai donc proposé son nom aux autres coproducteurs. On peut d’ailleurs noter que nous aurons la saison prochaine une parfaite parité entre hommes et femmes parmi nos chefs : nous inviterons 11 chefs et 11 cheffes. Une équipe de football pour chaque genre !
Opéra pour les jeunes toujours, Howard Moody viendra diriger son Sindbad participatif en juin. A quoi cette musique ressemble-t-elle ?
Howard Moody est un compositeur spécialiste de l’opéra participatif. C’est une musique à la fois accessible pour les amateurs et exigeante pour que l’œuvre soit intéressante. Le sujet évoque l’importance d’accéder au pardon, grâce auquel la nouvelle génération pourra reconstruire le monde détruit par la guerre. Le projet fait appel aux forces vives de la maison, y compris dans la préparation : c’est un travail sur neuf mois avec des écoles de Nice, dans lesquelles Howard Moody se rendra d’ailleurs lui-même une fois par mois. Les enfants viendront quant à eux visiter nos ateliers à la Diacosmie. L’œuvre sera chantée par les solistes du Centre de formation d’apprentis, premier CFA de France spécialisé sur le chant lyrique. Benoît Bénichou, qui est né et a étudié à Nice, connait déjà la ville et les écoles : il utilisera certainement beaucoup de vidéos dans sa mise en scène, qui sera probablement décapante.
En février, place à l’opéra contemporain avec Guru de Laurent Petitgirard : comment décririez-vous sa musique ?
C’est une très belle musique qui, sans réinventer les codes, prodigue beaucoup d’émotion, avec une partition qui rappelle Stravinsky. C’est un ouvrage puissant qui montre comment la manipulation mentale se manifeste sous nos yeux. Cet opéra a été créé en 2018 en Pologne, mais il aurait dû être créé à Nice, puisqu’il s’était mis d’accord successivement avec mes trois prédécesseurs, sans que le projet n’aboutisse. Il m’a donc envoyé la partition et le disque. Cela m’a intéressé, mais je n’avais alors plus de place dans mon planning, ni de budget. Il a cherché et trouvé un mécène qui prend la production en charge, des décors et costumes jusqu’aux cachets des chanteurs. Comme notre théâtre n’avait plus de disponibilité, j’ai proposé à Muriel Mayette-Holtz qui dirige le Théâtre national de Nice d’accueillir et mettre en scène le projet. Ce sera sa première mise en scène d’opéra. Ils jouent en plusieurs endroits de la ville, dont un théâtre éphémère qui s’appelle La Cuisine où ce spectacle sera joué.
Qui avez-vous choisi pour chanter cette œuvre ?
Le baryton argentin Armando Noguera interprétera le personnage dangereux et cruel du Guru, Anaïs Constans, saluée pour la précision de ses aigus et la douceur de son timbre incarnera la valeureuse Iris, tandis que Marie-Ange Todorovitch (qui chantait la Comtesse dans La Dame de Pique dans la production d’Olivier Py) incarnera la mère de Guru.
Vous rendrez hommage à Puccini à travers un récital d’Ermonela Jaho : elle avait donc encore une disponibilité en cette année anniversaire de son compositeur fétiche ?
C’est notre chef principal Daniele Callegari, qui la connaît bien, qui lui a proposé de venir. Son emploi du temps ne permettait pas de faire une production d’opéra, mais nous avons trouvé cette solution en récital, au cours duquel elle chantera des extraits de ses grands rôles pucciniens. Ce sera beau d’avoir cette magnifique artiste, à la voix unique, si émouvante, sur notre plateau, avec notre orchestre. C’est encore une soirée prestigieuse que nous offrons à notre public.
Quelques jours plus tard, une autre spécialiste, Corinne Winters, interprétera Madame Butterfly : cette œuvre était-elle un choix évident pour rendre hommage à Puccini ?
Ce titre n’avait plus été donné depuis 2013 à l’Opéra de Nice. Je disposais encore de la production de Daniel Benoin, qui y place l’intrigue après la seconde guerre mondiale et s’appuie sur le choc orient-occident de manière radicale. En effet, Corinne Winters a chanté ce rôle à Rome et Sydney. J’essaie de trouver un équilibre entre voix connues et voix à découvrir. Nous invitons ainsi également Antonio Corianò, que j’ai découvert en Polione dans Norma, pour sa prise de rôle de Pinkerton, sachant qu’il a déjà chanté Cavaradossi au Liceu de Barcelone.
Daniele Callegari dirigera l’œuvre : comment se déroule cette collaboration ?
Il apporte beaucoup à l’orchestre, notamment par sa rigueur : il ne laisse rien passer, mais l’entente est très bonne car il aime beaucoup les musiciens de l’orchestre. Il n’est jamais dans un rapport de force : il place simplement la partition au-dessus de tout. C’est autant un chef d’opéra que de symphonique, domaine qu’il aime beaucoup travailler également. Sa complémentarité est également excellente avec notre chef associé Lionel Bringuier, notamment en termes de répertoires.
En juillet, Daniele Callegari présentera également La Messe de Gloire, avec Julien Dran et Jérôme Boutillier : dans quel cadre ce complément sera-t-il donné ?
J’ai réinstauré depuis cette saison le Festival de musique sacrée qui avait été supprimé depuis 20 ans. Il me tient particulièrement à cœur car c’est grâce à ce festival si je fais ce métier. En effet, j’ai fait partie de la Maîtrise de la Cathédrale de Nice depuis l’âge de 6 ans. Je chantais aux offices religieux tous les dimanches et nous participions une fois par an à ce Festival. Nous y avons chanté toutes les grandes œuvres sacrées. La saison prochaine, ce sera donc la deuxième édition de la nouvelle génération du festival. Nous y présenterons la Messe de Gloire de Puccini, une œuvre gigantesque composée d’une manière opératique.
En écho, nous donnerons quelques jours plus tôt une création de Pierre Thilloy, qui s’appellera Requiem pour l’humanité. Ce sera un requiem qui évoquera toutes les religions importantes qui nous entourent, dans plusieurs langues. Nous accueillerons à cette occasion les Tambours du Bronx : c’est la première fois qu’ils participeront à une œuvre symphonique et à une œuvre sacrée.
Nous continuerons à fêter Puccini sur toute l’année 2024 : il y aura une grosse surprise en 2024/2025 : un opéra mené avec des coproducteurs prestigieux.
Vous accueillerez la production d’Olivier Py du Rossignol et des Mamelles de Tirésias présentée cette saison au TCE : qu’aviez-vous pensé de la production ?
Je l’ai beaucoup aimée. C’était l’occasion de montrer notre savoir-faire car les costumes ont été réalisés dans nos ateliers. Nous poursuivons ainsi notre partenariat avec le Théâtre des Champs-Élysées, qui se prolongera encore l’année prochaine. Je me demandais comment Olivier Py se sortirait de ce diptyque regroupant deux œuvres qui sont très différentes, qui feront toutes les deux leur entrée au répertoire. Il est finalement parti des Mamelles de Tirésias pour raconter le Rossignol, ce dernier ouvrage se passant dans les coulisses de la représentation du premier. Le spectateur revit donc deux fois les mêmes évènements, d’abord depuis les coulisses puis depuis la salle, ce qui permet d’explorer deux intrigues différentes. Le hasard fait que la production fait écho à la Côte d’Azur, puisqu’Olivier Py place les Mamelles dans la première boîte de nuit homo de France, le Zanzibar, qui se trouvait à Cannes et a fermé aujourd’hui. Mais le videur de l’époque, Brutus, habite Nice. Nous décorerons l’Opéra, y compris dans son aspect extérieur, en boîte de nuit « Le Zanzibar ».
Qu’est-ce qui a guidé vos choix de confier les rôles principaux à Rocío Pérez, Sahy Ratia et Federico Longhi ?
Je suis très content de cette distribution. Encore une fois, il est difficile de remplacer Sabine Devieilhe qui chantait le rôle au TCE. Rocío Pérez est passée par l’Opéra Studio de l’Opéra du Rhin, puis nous a éblouis en Nannetta dans Falstaff à Nice. Elle a des coloratures impeccables de précision, ainsi qu’un souffle et un legato exemplaires. Federico Longhi est un grand baryton verdien, qui avait chanté ici Rigoletto en 2016, avant de nous sauver cette année en effectuant un remplacement sur Falstaff. Il est passionné par le répertoire français et avait très envie de chanter ces rôles. Sahy Ratia est un chanteur que j’adore : je voulais l’inviter depuis longtemps. Il est né à Madagascar, est passé par le CNSM de Paris et a été révélation ADAMI. C’est un ‘tenore di grazia’, un funambule toujours en équilibre entre envolée lyrique et colorature.
Durant la saison instrumentale, vous recevrez Khatia Buniatishvili, Alexandre Tharaud, Renaud Capuçon : est-ce le signe d’une attractivité croissante de la maison ?
Nous voulons montrer au grand public que nous avons l’un des meilleurs orchestres de France. Gauthier (qui est venu cette saison) et Renaud Capuçon sont des amis de Lionel Bringuier, qui adorent venir ici et jouer avec cet orchestre. Khatia Buniatishvili viendra à Nice pour la première fois, et je voulais qu’elle soit dirigée par Daniele Callegari.
Pouvez-vous présenter votre programmation chorégraphique ?
Marco Polo de Luciano Cannito a déjà été donné à Nice, mais pas à l’Opéra : notre Directeur du ballet, Eric Vu-An, souhaitait donc le montrer à notre public.
Nous voulions également donner Giselle dans la grande version de l’Opéra de Paris, mais leur production n’était pas disponible. Après de nombreuses péripéties, nous avons décidé de montrer la Giselle de l’Opéra du Rhin, chorégraphiée par Martin Chaix (qui montera une production à l’Opéra de Paris l’an prochain). Elle m’avait beaucoup plu car elle est à la fois contemporaine et très respectueuse de l’histoire. On y danse sur pointe, ce qui est important pour notre ballet classique. L’œuvre sera présentée avec orchestre, sous la direction de Beatrice Venezi. Ce sera la première fois qu’un ballet sera dirigé par une femme à l’Opéra de Nice.
Enfin, nous reprendrons notre triptyque Scarlett / Vu-An / Childs, qui a déjà été donné plusieurs fois mais qui est toujours très apprécié du public. L’œuvre phare y est Oceana qui était une création de Lucinda Childs pour le ballet de l’Opéra de Nice. Nos danseurs sont toujours ravis de s’y replonger.
Les autres initiatives (Viens avec ton doudou, ton smartphone, ton bébé) se poursuivent, avec toutefois une nouveauté : Viens avec tes parents. Quel en est le concept ?
Tous les opéras ont un problème pour attirer le public des 25-45 ans, qui sont rentrés dans la vie active et ont fondé une famille. L’idée est donc de venir avec les enfants et de les laisser à un personnel certifié. Les enfants font des ateliers en lien avec le spectacle auquel les parents assistent, puis font une restitution après le spectacle. Ce peut être de la peinture, du chant, de la danse.