Tous à l’Opéra du Capitole
Le programme se compose d’un enchaînement de mini récitals d’une trentaine de minutes chacun sur la journée du samedi dans le grand foyer de la maison, d’une visite libre de la salle et d’un « récital » du Chœur de l’Opéra National du Capitole donné le soir même sur scène. C’est également à cette occasion que s’ouvre l’exposition « La Fabrique de l’Opéra du Capitole » au couvent des Jacobins (elle s’y tiendra jusqu’au 24 septembre).
Mini récital de Philippe-Nicolas Martin
Il faut tout d’abord souligner l’engouement du public pour ces mini-récitals gratuits, les réservations affichant complet pour l’ensemble d’entre eux plusieurs jours à l’avance. Peu de défections ont eu lieu entre-temps car les chaises sont quasiment toutes occupées. Après une brève présentation (ayant omis de nommer le chanteur), le mélomane reconnait tout de même le baryton Philippe-Nicolas Martin (qui incarnera Junius dans Le Viol de Lucrèce à la fin du mois).
Il a choisi pour programme deux airs italiens et deux airs français du XIXème siècle, dans l’ordre : la mort de Rodrigo du Don Carlo de Verdi (version italienne), les très fameux couplets d’Escamillo extraits de Carmen, la chanson à boire « O vin dissipe la tristesse » issue d’Hamlet d’Ambroise Thomas et l’air de Frank de l’Edgar de Puccini. Soit deux airs intimistes centrés sur les émotions du personnage incarné pour commencer et clore le récital qui embrassent deux morceaux plus généraux et entrainants destinés avant tout au public et à une assemblée de personnages que l’auditeur peut en l’occurrence s’imaginer.
La voix chaude de Philippe-Nicolas Martin englobe très vite la petite salle, ce qui assorti à la proximité spatiale avec le public, amène une forte impression d’intimité. Chantant avec autant de vigueur que devant un théâtre entier, le rendu volumique et la puissance sonore sont en conséquence saisissants. Le son est riche et les phrases tenues. Le lyrisme des airs italiens est incarné avec force, générant une vraie empathie dans le public : par un phrasé intelligent, une maîtrise des nombreuses nuances (pour Verdi en particulier) ainsi qu’un langage corporel et des expressions faciales très exploités. Les couplets du toréador auraient en revanche gagné à être chantés avec un peu plus de simplicité. Philippe-Nicolas Martin s’adapte aux différents styles qu’il propose. Les accents véristes sont par exemple très audibles dans le “Questo Amor”. Le français est par ailleurs compréhensible même si le roulement des « r » est assez marqué. L’accompagnement au piano fonctionne en bonne synergie avec le chanteur. Le pianiste Cyril Kübler allie en effet la rigueur rythmique à un sens dramatique marquant les inflexions de la musique lors de l’expression d’une émotion, d’un sentiment, d’un geste fort, etc.
Après les applaudissements enthousiastes du public, la possibilité de visiter la salle du théâtre entre les répétions du Viol de Lucrèce est annoncée.
Exposition : La Fabrique de l’Opéra du Capitole
À quelques minutes à pied à peine du Capitole, se situe le couvent des Jacobins qui en plus de ses fonctions religieuses encore d’actualité a temporairement abrité dans son réfectoire les ateliers du Théâtre du Capitole entre 1954 et 1981. Permettant avec le même ticket de visiter par ailleurs son cloître et quelques autres salles, l’exposition éphémère « La Fabrique de l’Opéra » est l’occasion de revenir sur ce passé et de découvrir la myriade de métiers et de savoir-faire peuplant les ateliers de l’Opéra National du Capitole de Toulouse (aujourd’hui situés dans le quartier Montaudran).
Agencée par le scénographe Roland Fontaine, la présentation met en valeur les plus belles productions du Théâtre du Capitole depuis l’ère du regretté Nicolas Joel jusqu’à aujourd’hui. Elle s’articule autour de deux grands espaces centraux au début et au milieu de l’exposition. Le premier est constitué du décor de la grotte d’Ariane à Naxos et de quelques costumes de cette même production tous deux dessinés par David Belugou (mise en scène de Michel Fau) et le second du grand escalier de La Walkyrie conçu par Ezio Frigerio pour Nicolas Joel, bien mis en valeur par l’éclairage, et sur lequel trônent les costumes de diverses productions.
Un espace vidéo séparé projette des extraits de quelques emblématiques succès scéniques toulousains. Et ci et là, on retrouve quelques groupes de costumes : de La Dame de Pique (Carla Ricotti), Le Chevalier à la rose (Franca Squarciapino), Le Prophète (Alessandro Ciammarughi) mais aussi des maquettes (Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg, Giselle…), dessins et croquis (La Traviata, Ariane et Barbe-Bleue) des scénographes qui ont marqué la maison (Ezio Frigerio, Antoine Fontaine, Thierry Bosquet).
Ces composants se retrouvent également dans les stands disposés autour de la salle, qui présentent les différentes étapes de la longue conception d’une production d’opéra depuis la décision du directeur artistique jusqu’aux répétitions. Après les choix artistiques, viennent les impératifs techniques liés aux différents éléments (solidité, mobilité, légèreté, sécurité, etc.) ainsi que leurs étapes de fabrication dans les ateliers avec des stands consacrés à la peinture, au travail des métaux (serrurerie) pour les châssis et suprastructures notamment, du bois (menuiserie), à la couture (tailleur pour les costumes assemblés et « flou » pour les robes et pièces drapées), aux accessoires ou encore aux perruques. Le visiteur apprend d’ailleurs, concernant ces dernières, que le Capitole est un des trois derniers opéras encore pourvus de ses propres perruquiers.
Chaque stand est illustré d’objets présentant les métiers associés : croquis, ébauches, exemples de réalisation, outils de travail des professionnels concernés, et surmonté d’un panneau explicatif en trois langues. Ces derniers sont très bien conçus : simples et suffisamment brefs pour ne pas noyer les informations et permettre aisément leur lecture exhaustive tout en donnant un bon aperçu des travaux présentés (temps nécessaire, choix des matériaux, nombre de personnes dédiées,…).
L’exposition « La Fabrique de l’Opéra du Capitole » réussit ainsi le pari d’allier la satisfaction visuelle dans le choix et l’agencement des pièces présentées à l’éducation du public aux divers métiers, aussi artistiques que techniques, des ateliers de l’opéra. Elle permet ainsi d’entrevoir, au travers du nom d’un costumier ou d’un scénographe, les dizaines de personnes travaillant à la réalisation d’un projet.
Superbe exposition "La Fabrique de l'Opéra" au couvent des Jacobins de #Toulouse, jusqu'au 24 septembre.https://t.co/c5oewtFL0Q Dans les secrets de la création des décors, costumes et accessoires pour l'Opéra du Capitole. ? pic.twitter.com/3yryYL6M1U
— Pauline Delande (@Pauline_Delande) 7 mai 2023
Concert du chœur de l’Opéra National du Capitole
Gabriel Bourgoin (chef du Chœur de l’Opéra National du Capitole) présente, anime et dirige le « récital » du chœur. Si le théâtre est loin d’être comble malgré la gratuité, peu de places sont disponibles à l’orchestre et au balcon. Les paroles du “Va pensiero” ont été distribuées à l’entrée. Gabriel Bourgoin fait lever le public, qui comprend qu’il va falloir participer. Le chef commence, avant même l’arrivée du chœur et avec quelques notes d’humour à faire faire au public des exercices de respiration d’abord, puis des notes bouches fermées et enfin quelques vocalises sur la phrase de la journée « Tous à l’Opéra ». On se rassoit, le chœur arrive en musique, accompagné par sa pianiste attitrée, Elisabeth Matak.
Nombre de chœurs, exclusivement d’opéra, parmi les plus populaires sont présentés, tout au long de la soirée dans une démarche didactique, accompagnés par les explications de Gabriel Bourgoin. De quoi (re)découvrir par l’exemple l’évolution historique du chœur d’opéra : héritier du chœur antique, il commente l’action dans l’opéra baroque alors qu’il intègrera celle-ci dans les périodes futures. Le chœur de L’Orfeo de Monteverdi est comparé à celui de l’Orphée et Eurydice de Gluck. Son usage partiel est exploré : chœur masculin des prêtres de La Flûte enchantée versus chœurs féminins de la dispute des cigarières de Carmen, ainsi que sa capacité à incarner un groupe spécifique et identifié de personnages par la même occasion, mais également sa possibilité de figurer des personnages abstraits tels que les esprits de la bière et du vin dans Les Contes d’Hoffmann, avec également bruitages et onomatopées, ou encore son opposition à un personnage unique dans Peter Grimes. Pas moins de douze chœurs sont ainsi interprétés en comptant le rappel.
À l’aise dans un répertoire qu’il connaît sur le bout des doigts, le Chœur de l’Opéra National du Capitole se montre sous son meilleur jour. L’interprétation, souvent par cœur, se fait avec unité et coordination. Les pupitres sont ainsi identifiables. L’éclectisme du programme lui permet d’exposer son vaste panel de compétences et de jouer tant sur les contrastes et les oppositions que sur les ensembles. Le chœur déploie aussi ses qualités d’acteur, faisant vivre chaque extrait malgré l’absence de costumes et décors. Les choristes s’impliquent ainsi, tant dans leurs intentions personnelles que dans les indications collectives de mise en espace utilisées sur quelques morceaux. Elisabeth Matak prend toute sa part dans l’unité de l’ensemble. Son jeu est dynamique et ferait presque oublier qu’il manque l’orchestre. Sa précision permet la tenue cohésive de l’ensemble à ses notes.
Le public participe également en rythmant, en tapant dans ses mains, le chœur des bohémiennes et des matadors de La Traviata. La tentative de lui faire chanter le “Va pensiero” est par contre beaucoup moins concluante, malgré l’implication de Gabriel Bourgoin. Si de vrais efforts sont faits au début, de nombreux spectateurs se découragent avant la fin. Peut-être que le choix d’un texte en français limitant ainsi au moins la barrière de la langue, un peu plus simple et un peu moins long aurait rencontré un plus franc succès.
Le concert qui aura duré une heure environ se conclut après le rappel annonçant Les Pêcheurs de perles à venir la saison prochaine, par de vifs applaudissements et une standing ovation.
Le Week end « Tous à l’Opéra » de l’Opéra National du Capitole aura donc permis aux novices comme aux plus initiés de balayer plusieurs aspects liés aux productions d’opéra : le chant soliste avec les mini-récitals, les rôles et aspects divers du chœur d’opéra avec le concert du soir et le travail complexe et de longue haleine des ateliers avec l’exposition « La fabrique de l’Opéra »… Le tout sans fausse note !