Stefano Pace sur la saison 2023/2024 de Liège : « De l’élégance ! »
En France, beaucoup d’opéras ont été obligés de procéder à des coupes dans leur prochaine programmation afin de tenir compte des contraintes générées par la situation économique. Qu’en est-il pour l’Opéra de Liège ?
Déjà, nous avons la chance d’avoir un public fidèle, qui a été très présent depuis la réouverture post-Covid. Nos taux de remplissage ne sont jamais descendus sous les 90% et atteignent régulièrement 100%, quel que soit le type de spectacle, y compris pour des mises en scène plus modernes. Il ne s’agit pas uniquement d’un public liégeois : nos spectateurs viennent aussi d’Allemagne, du Luxembourg, des Pays-Bas. C’est aussi un public qui rajeunit : nous avons énormément, et de plus en plus, de jeunes dans notre public. Ils découvrent que l’opéra est aussi pour eux et savent l’apprécier.
Bien sûr, nous avions l’espoir d’une reprise et nous subissons l’impact très fort de l’inflation et de l’augmentation des salaires, qui était certes nécessaire pour le personnel. Cela nous oblige à une très grande rigueur dans la gestion du budget. Mais nous n’en sommes pas encore à devoir supprimer des productions : je veux absolument garantir les emplois de nos salariés, et donc la qualité et la quantité de l’offre. Si nous réduisons le nombre de nos productions, nous nous privons de toute façon des recettes de billetterie mais aussi du support dont nous avons besoin pour attirer des investisseurs privés, des annonceurs et du « tax shelter » [niche fiscale belge permettant de financer des œuvres audiovisuelles et scéniques, ndlr]. L’équation est difficile car nous n’avons pas la maîtrise sur l’inflation ni sur nos revenus parmi lesquels les subventions : il y a donc un effet ciseau.
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Dans notre interview de l’an dernier vous énonciez l’objectif de répartir votre programmation en trois tiers : italien, français et autres. Il y aura finalement quatre opus italiens (plus trois concerts), trois opus français et deux autres : vous maintenez donc finalement la tradition italienne de la maison ?
Il s’agit là d’un idéal mais pas d’un objectif en soi. D’ailleurs certains ouvrages sont difficiles à catégoriser : où mettre une création contemporaine avec un compositeur belge, un auteur américain et un metteur en scène français ? Le répertoire italien doit bien représenter la moitié des opéras créés dans le monde : c’est un répertoire incontournable. Surtout, nous avons encore cette année et la prochaine des productions qui ont été décidées par la précédente direction. Enfin, Mozart mériterait une catégorie à part car c’est un répertoire particulier, universel : je ne compte donc pas Idomeneo dans le répertoire italien. Il y aura d’ailleurs un Mozart dans chaque saison. Parmi les autres œuvres, nous présenterons Rusalka qui n’a jamais été joué ici alors qu’il s’agit d’un opéra magnifique. Ce sera donc une nouvelle entrée au répertoire après Le Turc en Italie cette saison. Je ne veux pour autant pas tomber dans l’excès de découvertes car le public a aussi besoin de voir les pierres angulaires du répertoire, qui constituent le chemin initiatique de l’opéra : certains ouvrages doivent être reproposés tous les trois, quatre ou cinq ans.
Vous indiquiez également vouloir commander de nouveaux opéras : que prévoyez-vous dans votre saison principale ?
Ce qui m’intéresse dans la création contemporaine, c’est de pouvoir aborder des thèmes et des dramaturgies d’aujourd’hui. Nous aurons une création dans notre programmation principale en 2025/2026 : une création de cette ampleur prend du temps. Elle sera signée par un compositeur belge. Il est difficile pour un théâtre comme le nôtre de proposer plus d’une voire deux productions contemporaines tous les cinq ans. Nous aurons toutefois chaque année une création destinée au jeune public, ce qui ne veut pas dire que ce seront de « petits » spectacles. Mais cela permet de faire de la pédagogie auprès des plus jeunes, qui dans dix ans seront ainsi plus réceptifs à des sonorités et des écritures contemporaines. La musique est comme une langue : il faut en connaître la syntaxe pour apprécier les compositions.
Il y aura deux créations jeune public la saison prochaine (Patiente, mon cœur de Lionel Polis et une autre, non encore nommée définitivement, en collaboration avec la Fédération des Maisons de jeunes) : quel sera le style musical et dramaturgique de la première ?
Je ne le sais pas encore moi-même. Ce sera une musique accessible et enthousiasmante, écrite pour la voix. La partition a une base de percussions très prononcée : il y aura beaucoup de rythme. L’œuvre permettra aussi à la Maîtrise d’avoir une participation très importante, avec une ligne de chant plutôt mélodique.
Pouvez-vous nous décrire le projet de la seconde création ?
Nous aurons plus de 80 jeunes. Le projet est en constante évolution. Le titre est pour l’instant « L’Opéra en fusion » : il indique bien que nous n’avons pas encore coulé la pièce. Son titre sera plus clair une fois son écriture terminée. Le projet n’est pas confié à un compositeur. Les animateurs et les jeunes sont les créateurs principaux de cette œuvre, qui évolue énormément, de jour en jour, et pas seulement sur la dramaturgie, le texte, la danse ou la musique, mais aussi sur les ateliers de création des décors, costumes et accessoires. Il y aura des extraits d’autres compositions, issus d’horizons divers. Il y aura du rap, de la pop, de tout ce que ces jeunes écoutent. Nous leur mettons à disposition notre institution et ses moyens, et leur offrons l’opportunité d’investir nos murs. C’est pour eux une expérience immersive : j’espère que cela suscitera des vocations.
Contrairement à l’un des objectifs fixés l’an dernier, il n’y aura pas d’opéra rare. Est-ce une année de transition ou avez-vous évolué sur ce sujet ?
En effet, je ne voulais pas dire que nous irions faire de l’archéologie musicale en déterrant des partitions inconnues : d’autres institutions comme le Palazzetto Bru Zane le font mieux que nous. En revanche, nous jouerons des œuvres qui sont peu jouées, comme ce fut le cas cette saison avec Alzira [lire notre compte-rendu]. Nous programmerons par exemple dans une saison future un Grétry, compositeur liégeois, ainsi qu’un opus de sa fille Lucile, Le Mariage d'Antonio, plutôt destiné au jeune public. C’est le seul opéra que cette pauvre fille ait composé avant de mourir de la tuberculose à 18 ans. Il a été joué 54 fois à Paris, preuve de sa qualité.
Enfin, vous souhaitiez sortir de vos murs : comment cela va-t-il se concrétiser ?
Cela ne dépend pas seulement de nous : nous pouvons avoir une offre, mais il faut que des lieux s’en emparent et la situation économique n’y pousse pas. Ce projet est donc ralenti, mais nous aurons une tournée internationale dans deux saisons. Nous renforçons également notre collaboration avec le Palais des Beaux-Arts de Charleroi. J’ai eu une rencontre avec les centres culturels de la province de Liège pour leur proposer les spectacles jeune public, sur lesquels nous ne pouvons satisfaire toutes les demandes : si nous avions une seconde salle consacrée à cette activité, nous pourrions la faire fonctionner 200 jours par an tant la demande est forte.
Après la Clémence de Titus en concert cette saison, vous proposerez deux autres Mozart l’année prochaine, Idomeneo en septembre et La Flûte enchantée en décembre : pourquoi avoir choisi Jean-Louis Grinda à la mise en scène du premier ?
J’avais déjà programmé l’une de ses productions lorsque je dirigeais l’Opéra de Trieste. Idomeneo est un opéra qui n’est pas monté si fréquemment, et qui est très difficile à mettre en scène. J’ai participé à quatre productions de cet ouvrage et aucune n’était réellement satisfaisante en matière de mise en scène. Jean-Louis Grinda a un univers d’images : son utilisation des projections m’a semblé adaptée, afin que la production puisse être compréhensible par le public et qu’elle gomme les aspects qui apparaissent aujourd’hui anachroniques, sans aller sur une interprétation trop moderne : je ne voulais surtout pas d’un débarquement de migrants sur l’île de Lesbos. J’ai par ailleurs voulu confier la direction à Fabio Biondi qui est un spécialiste de ce répertoire.
Le second opus mozartien est une reprise de la production de Cécile Roussat et Julien Lubek : pourquoi avez-vous souhaité la remontrer au public ?
Il est important de puiser dans le fonds de répertoire de l’institution, à la fois pour des raisons économiques, de planning et artistiques. C’est une belle production qui a eu la faveur du public : il aurait été stupide d’essayer d’en faire une nouvelle. De plus, nous serons sur la période de Noël : le public appréciera le ton léger de cette production. La Flûte enchantée peut être jouée tous les trois ans car c’est un opéra pour tous. Il y a tellement de choses dans cette œuvre. C’est difficile à rater, même si beaucoup s’y ont essayés !
Pourquoi avoir programmé deux Mozart dans la saison ?
Cela tombait pour moi sous le sens d’ouvrir la saison avec un opéra sérieux de Mozart. Mais je voulais aussi proposer un Mozart plus léger. Par la suite, j’aimerais aussi reproposer la trilogie Da Ponte : cela débutera l’an prochain.
Votre Directeur musical Giampaolo Bisanti dirigera Le Barbier de Séville en octobre, Les Contes d’Hoffmann en novembre, Rusalka en janvier et Falstaff en février : quatre opus dans la saison restera-t-il son rythme ?
Nous avons convenu d’un minimum de trois productions, une quatrième pouvant s’ajouter en fonction des contraintes de calendrier. Nous avons la chance d’avoir un Directeur musical qui est très impliqué dans la formation et la construction de l’orchestre. Il est présent souvent, pour des séances de travail ou des auditions et concours, et pas seulement lors des productions. Nous voulons faire de cet orchestre l’un des tous meilleurs d’Europe, et cela passe par un travail de fond avec le Directeur musical.
Trois langues différentes, des styles variés : est-ce important pour vous et pour l’orchestre qu’il touche ainsi à tout ?
C’est important qu’il y ait des répertoires variés placés sous sa direction, à la fois pour lui et pour l’orchestre. C’est un musicien fantastique, capable de tirer le meilleur de chaque orchestre (je l’ai bien entendu vu également diriger d’autres phalanges). Il participe également au choix des chefs d’orchestre invités pour les productions qu’il ne dirige pas.
Vous confiez Le Barbier à Vincent Dujardin, qui connait déjà la maison pour y avoir mis en scène Ursule et Hirsute [lire notre compte-rendu] : est-ce un objectif pour vous de participer au développement des carrières des artistes que vous invitez ?
Oui, c’est pensé ainsi. Dès lors que son travail sur Ursule et Hirsute était de qualité, avec beaucoup d’imagination, il n’y a pas de raison de ne pas lui faire confiance pour une production plus importante, d’autant qu’il est issu de notre région. Par contre, ce n’est pas parce qu’il est un jeune metteur en scène qu’il ne faut pas lui donner les moyens pour bien s’exprimer. Il sera accompagné de créateurs de décors et de costumes de grande expérience, mais aussi d’une distribution de qualité et de notre Directeur musical. C’est un risque, mais c’est notre rôle de l’accompagner, et le public décidera si nous avons eu raison.
Les Contes d’Hoffmann seront ceux de Stefano Poda présentés à Lausanne en 2019 et à Tel Aviv en 2022 : qu’aviez-vous apprécié dans cette production ?
Le concept dramaturgique est intéressant et très cohérent. La production est moderne et élégante, avec un grand impact visuel. L’œuvre n’a plus été donnée ici depuis 2004 : il faut dire qu’elle est difficile à monter, notamment parce qu’il faut une distribution à la hauteur. Ici, Giampaolo Bisanti a tout de suite été intéressé pour diriger cette œuvre. Nous aurons une distribution formidable : Jessica Pratt, qui a triomphé dans La Somnambule (les Quatre femmes), Erwin Schrott (les Quatre antagonistes), Celso Albelo (Hoffmann) et Julie Boulianne (La Muse & Nicklausse). Les décors et costumes ont été faits chez nous : la production devait être créée ici, mais est finalement passée d’abord à Lausanne et à Tel Aviv à cause du Covid.
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Qui est Rodula Gaitanou à qui vous avez confié Rusalka ?
C’est une jeune femme grecque que j’ai rencontrée dans le programme Jette Parker du Royal Opera House. Je l’avais engagée pour reprendre à Trieste une Cenerentola créée à Athènes, qui était un bijou et que la critique avait placée parmi les meilleurs opéras de la saison en Italie. Elle a depuis fait plusieurs mises en scène remarquables. La dernière est Ariane à Naxos, pour Opera North : une mise en scène très vivace et élégante. Elle fait partie des jeunes metteurs en scène qui m’intéressent le plus. J’aime beaucoup cette œuvre et j’espère qu’elle attirera aussi un jeune public, par sa proximité avec La Petite sirène. Là encore, la mise en scène devrait offrir un grand impact visuel : elle se demandera ce que l’on est capable d’endurer pour obtenir quelque chose qui nous apparaît meilleur. Cette question, ici posée pour un personnage en quête d’amour, est aussi pertinente pour toute personne qui poursuit un grand rêve.
Quel est l’univers de Jacopo Spirei, qui mettra en scène Falstaff ?
Avec Giampaolo Bisanti, nous voulions faire un Falstaff. J’ai été attiré par sa production, donnée à Parme. C’est une mise en scène très amusante, très fraiche visuellement, faite avec beaucoup d’ironie et de finesse. L’intrigue est placée dans l’Angleterre des années 1950, ce qui ne déforme absolument rien dans le livret. J’ai aussi beaucoup aimé le Pelléas et Mélisande de Parme : l’accord conclu avec eux contenait donc ces deux productions.
Qu’est-ce qui vous a plu dans cette mise en scène de Barbe et Doucet de Pelléas et Mélisande ?
Elle est d’une grande poésie, qui colle parfaitement au texte de Maeterlinck et au discours musical. D’un point de vue visuel, le symbolisme s’exprime dans chaque image. C’est très onirique.
Pierre Dumoussaud tiendra la baguette : pourquoi l’avoir choisi ?
Lors de la première édition de notre Concours International de Chefs de d’orchestre d’Opéra, le premier prix n’avait pas été attribué, mais lui et Michele Spotti avaient eu le deuxième prix. Je connais bien Michele Spotti, qui reviendra diriger notre orchestre : je me suis dit que si Dumoussaud était du même niveau, c’était intéressant de l’inviter. A ce moment-là, nous ne savions pas encore qu’il allait diriger à l’Opéra de Paris.
En mai, le public pourra découvrir une nouvelle production des Capulet et des Montaigu par Allex Aguilera : qu’est-ce qui vous a attiré dans cette œuvre et ce metteur en scène ?
J’adore cet opéra. Pour l’Opéra de Genève, je m’étais occupé de la réalisation des décors de la production de Robert Carsen. C’est une très belle production qui est encore jouée, 33 ans après sa création. J’ai entendu quand j’avais 5 ans mon premier opéra au Théâtre Bellini de Catane, maison dont j’ai plus tard été le Directeur artistique : je connais tout Bellini et ce titre m’est venu tout de suite lorsque j’ai voulu programmer un ouvrage de bel canto. J’avais confié à Allex Aguilera l’ouverture de ma première saison à Trieste : il avait mis en scène un Don Giovanni de manière remarquable, lui qui m’avait déjà accompagné pour mettre sur pied l’équipe de production du Palais des arts de Valence. Il sait créer des images qui collent très bien au livret, avec là encore beaucoup d’élégance. Il a une profonde connaissance musicale, des voix et des chœurs. J’ai choisi de donner la direction musicale à Maurizio Benini, un chef que j’adore, que je connais depuis des années et qui est parfait pour ce répertoire.
La saison se refermera avec Carmen dans une mise en scène de Marta Eguilior : qui est-elle ?
J’ai été impressionné en voyant son travail en Espagne : elle avait des idées intéressantes, et certaines de ses productions m’ont poussé à parier sur elle. La banalité de proposer Carmen à une metteure en scène espagnole m’a fait hésiter, mais Marta s’est en fait montrée très enthousiaste. Je ne voulais pas tomber dans une interprétation ultra-féministe de l’œuvre qui l’est déjà suffisamment : elle m’a proposé une Carmen qui puisse faire ressortir ce qu’il y a de plus profond dans l’âme espagnole. J’ai moi-même une grande affection pour l’Espagne où j’ai vécu. Elle dessine elle-même ses décors et collabore avec une formidable costumière. Elle n’a jamais travaillé en-dehors d’Espagne et d’Amérique du Sud, et je pense qu’elle mérite de plus apparaître dans le panorama européen. Parfois, en découvrant un artiste, on comprend pourquoi il n’a pas bénéficié de plus d’espace auparavant. Mais là, j’ai découvert quelqu’un avec une imagination très fertile et très cohérente. Leonardo Sini, un autre jeune talent, dirigera la production. Il aura, je pense, un grand avenir. Giampaolo Bisanti l’apprécie beaucoup et il y a un lien de respect entre eux [il a repris la baguette de Giampaolo Bisanti pour quelques représentations d’Alzira à Liège et de L’Elixir d’amour à Bastille, ndlr]. Giampaolo Bisanti a cette qualité : il n’a pas peur de faire émerger des talents à côté de lui. Et son travail permet aussi de convaincre des baguettes importantes que notre orchestre mérite leur présence.
Vous prévoyez une double distribution pour les deux rôles principaux : qu’est-ce qui a rendu cela nécessaire ?
Cela permettra d’enchainer huit représentations (l’opéra n’aura pas été donné depuis six ans, donc nous devrions attirer du public), tout en résolvant des problèmes d’engagements. Sur un rôle comme celui de Carmen ou Don José, il n’est pas évident de trouver un remplaçant en dernière minute avec la qualité nécessaire pour satisfaire le public. Or, nous avons programmé cet opus durant le Covid, à une époque (que l’on tend déjà à oublier et tant mieux) durant laquelle les remplacements étaient fréquents. J’ai ainsi dû annuler une représentation de La Force du destin car je n’étais pas parvenu à remplacer María José Siri. Cette double distribution nous permet ainsi de disposer aussi de doublures de qualité.
Plus généralement, comment avez-vous conçu vos distributions ?
Nous cherchons toujours à avoir des distributions qui collent au mieux aux intentions des compositeurs pour chaque rôle, et qui soient aussi capables d’attirer l’attention du public et de la critique. Nous portons une grande attention aux rôles secondaires, qui donnent parfois la première impression sur la production. Il est parfois plus facile d’avoir un bon chanteur dans le premier rôle que dans les rôles secondaires. Pour cela, nous faisons un grand travail d’auditions afin de trouver de nouvelles voix. Cela permet aussi de belles découvertes : c’est ainsi que nous avons identifié Lucie Kaňková, une jeune soprano tchèque, qui débutera en Dame de la nuit dans La Flûte enchantée. En pleine pandémie, nous avons eu besoin de faire appel à quatre chanteuses pour chanter Gilda. Je l’ai croisée dans un couloir, un mois après l’avoir eue en audition. Je me suis souvenu qu’elle m’avait chanté l’air de Gilda : je lui ai proposé de chanter le rôle le lendemain. Elle l’a chanté magnifiquement. Si je ne l’avais pas écoutée en audition, je n’aurais jamais pu prendre ce risque. De même, j’ai entendu Carolina López Moreno en audition dans le rôle d’Adriana Lecouvreur. J’ai alors demandé à Anna Pirozzi, initialement prévue dans la distribution, de lui laisser deux dates dans notre production de cette saison afin de la présenter au public. Elle reviendra chanter chez nous à l’avenir.
De même, nous cherchons à offrir des prises de rôle aux artistes que nous invitons. Lionel Lhote poursuivra son chemin ici avec sa prise du rôle de Pelléas. J’aime demander aux chanteurs de ce niveau ce qu’ils aimeraient prendre comme rôle. Cela me donne parfois des idées de projets. Lorsque j’ai pris la direction de l’Opéra de Trieste, Marina Rebeka m’a proposé d’y prendre le rôle de Norma avant de le chanter au Met. J’ai donc fait une Norma exprès pour l’occasion, et ce fut un triomphe.
La saison est complétée par trois concerts et un récital. Vous rendrez notamment hommage à Puccini à l’occasion du centenaire de sa mort avec Le Villi et la Messe de Gloire : pourquoi ces deux titres et pas de production scénique ?
C’est un choix que j’ai fait avec Giampaolo Bisanti. Le Villi n’est pas une œuvre souvent donnée et je ne me voyais pas employer des ressources importantes pour une version scénique de cette œuvre, même en me projetant sur un second mandat. Mais c’est une belle pièce, encore jamais donnée à Liège, et je voulais la faire connaître à notre public. Pour lui rendre hommage, je voulais faire connaître une composition moins connue de Puccini, ainsi que la Messe de Gloire qui est une belle pièce de célébration, qui montre aussi Puccini en compositeur de musique sacrée. Je n’exclus cependant pas de faire une production scénique de La Rondine dans le futur.
Vous offrez enfin un récital à Marcelo Álvarez : quel en sera le contenu ?
Il chantera de l’opéra dans la première partie, puis de la zarzuela dans la seconde, comme les chanteurs hispaniques aiment le faire.
Vous jouerez aussi le Requiem de Verdi sous la direction de Zubin Mehta : est-ce un évènement important ?
Oui, c’est important. C’est un évènement qui s’est ajouté au dernier moment : nous sommes encore en discussion avec lui pour établir la distribution. J’ai collaboré pendant trois ans avec lui lorsque je dirigeais le Palais des arts de Valence et lui le Festival de la Méditerranée de Valence (Festival del Mediterrani de Valencia), mais encore bien avant pour une Tosca à Rome, montée dans les lieux et aux heures où se déroulent l’action de l’opéra. C’est un immense artiste, dont j’ai particulièrement usé les enregistrements. Nous avions là une occasion unique de l’avoir à la direction de notre orchestre, et c’est une reconnaissance de sa qualité car Zubin Mehta ne dirige que des orchestres importants : c’est pour lui un choix du cœur qui montre qu’il sait que son niveau d’exigence sera respecté par nos musiciens.
Enfin, vous proposerez un ballet, Roméo et Juliette de Prokofiev : cela restera-t-il un axe de programmation au fil de votre mandat ?
Les grands ballets classiques manquaient depuis longtemps à l’Opéra de Liège. J’espère pouvoir donner un grand ballet tous les deux ans : nous analyserons les possibilités selon les disponibilités des compagnies et selon la réponse du public. Ce Roméo et Juliette sera donné dans la version de John Cranko avec les décors et costumes de Jürgen Rose, une chorégraphie classique donnée par le Ballet du Théâtre National de Prague, compagnie de très grande qualité. Cela nous permet de montrer deux visions dramaturgiques de l’œuvre : la version lyrique qui s’éloigne de l’œuvre de Shakespeare et le ballet qui y colle.