À l'Opéra de Monte-Carlo, Jean-Louis Grinda rend hommage à Berlioz et Gunsbourg
La nouvelle production de La Damnation de Faust (Berlioz), mise en scène par le Directeur Jean-Louis Grinda, et l'exposition consacrée à son illustre prédécesseur Raoul Gunsbourg est un double point d'orgue, continuant de tisser un fil historique qui relie Berlioz, Albert Ier et Albert II, Raoul Gunsbourg et Jean-Louis Grinda, avant Cecilia Bartoli.
Opéra et Exposition en résonances
Le spectacle et l'exposition que présente Jean-Louis Grinda est un double événement qui permet à la maison de célébrer son histoire en ravivant deux souvenirs importants : "Il me semblait impossible d’arrêter ma carrière de Directeur d’Opéra sans avoir comblé deux manques, nous confie Jean-Louis Grinda : rendre hommage à Raoul Gunsbourg et proposer à nouveau La Damnation de Faust en version scénique, ce qui a été fait pour la toute première fois à l'Opéra de Monte-Carlo grâce à Raoul Gunsbourg (le 18 février 1893). Figurez-vous d'ailleurs que dans toute ma carrière de Directeur d’Opéra (qui a tout de même débuté en 1985), je n’ai jamais monté un opéra de Berlioz. J’ai parcouru tous les répertoires, des anciens aux contemporains, mais jamais Berlioz.
De surcroît, cette année 2022 est particulière en Principauté de Monaco car elle commémore le centenaire de la disparition du Prince Albert Ier, Prince qui a beaucoup compté dans notre histoire car il était à la fois scientifique, humaniste et amoureux des arts. C’est lui qui a engagé, à l’Opéra de Monte-Carlo, Raoul Gunsbourg, dont le premier “grand coup” (avant bien d’autres) fut cette création mondiale de La Damnation en version scénique. C’était son premier événement de portée internationale, annonçant bien l’ambition du Directeur et de la maison : il ne voulait pas simplement divertir de temps en temps les clients du casino (ce que souhaitait la Société des Bains de Mer). Il a fait de cette salle un grand théâtre d’art international en y mettant les moyens, le savoir-faire : d’où toutes les créations qui ont eu lieu en nos murs, qui ont accueilli les plus grands chanteurs de leur temps. Il savait d’ailleurs combien il est aussi important de faire savoir que de savoir faire.
Il a tout de même programmé 54 saisons (en l’espace de 59 années, avec les interruptions en temps de guerre). C’est un record qui ne sera certainement jamais battu.
En parallèle aux représentations de La Damnation de Faust (les 13, 16 et 19 novembre 2022) nous présentons donc, également au Grimaldi Forum du 14 au 27, une exposition consacrée à Raoul Gunsbourg. Tout est venu d'abord de mon admiration affectueuse envers mon prédécesseur et à travers lui pour mon père évidemment qui chantait ici même durant son mandat. C'est là aussi l'occasion de réparer une incongruité avant la fin de mon mandat : nous n'avions pas encore organisé d’événement en son honneur. La fin de mon directorat répare donc cet oubli de 70 ans. Je me suis attelé à la tâche avec mon ami Eric Chevalier qui a dirigé les Opéras de Nice et de Metz, qui est toujours scénographe et metteur en scène. Nous sommes quasiment nés ensemble, nous nous connaissons depuis 60 ans, et nous partageons cet amour du métier et de son histoire.”
L’occasion est ainsi donnée de parcourir un demi-siècle : “L’exposition va embrasser toute la carrière de Raoul Gunsbourg à l’Opéra de Monte-Carlo qu’il a dirigé de 1892 à 1951.
J’ai également demandé à Nicolas Courjal (qui incarne Méphistophélès dans La Damnation de Faust) d'enregistrer un air de l’opéra Le vieil Aigle que Raoul Gunsbourg avait composé pour Chaliapine : même sa musique sera donc représentée.
Il y aura de nombreux témoignages audio, des photos, des fac-similés des partitions et un trésor extraordinaire : le livre d’or que le Prince Rainier III lui a fait remettre à son départ et qui a été signé par tout le monde de l’opéra, car le monde de l’opéra (et leurs héritiers) était passé à l’Opéra de Monte-Carlo. Ce livre d'or sera aussi projeté en livre virtuel, permettant d'en tourner les pages et de lire ses dédicaces amusantes et émouvantes : rappelant combien il a marqué son époque. C'est l'occasion de traverser la gloire de l'Opéra de Monte-Carlo pendant les 59 années Gunsbourg, en parcourant cette exposition, même le temps d'un entracte. La scénographie est muséale, avec des photos, costumes d'époque (notamment de Boris Godounov), ainsi que des maquettes de décors très bien conservées au Musée national.
Ce sera un hommage à sa carrière et au Directeur d’opéra mais nous montrons aussi combien Raoul Gunsbourg a été victime de l'antisémitisme. Raoul Gunsbourg a été très attaqué pendant la Seconde Guerre mondiale où il a même dû abandonner la direction de l’opéra, parce qu’il était juif. Déjà avant la Première Guerre mondiale, il était la cible d'un antisémitisme assumé. Léon Daudet, rédacteur en chef de L'Action française, avait pris en grippe le Prince Albert Ier et la Principauté de Monaco qu’il considérait comme un lieu cosmopolite, un nid d’espion et de dépravation avec le casino, le tout monté en épingle de manière caricaturale par un antisémitisme féroce déjà très enraciné. Tout avait été amplifié avec l’Affaire Dreyfus, or le Prince Albert Ier fut un Dreyfusard de la première heure (considérant, comme Zola dans son célèbre J'accuse… !, que Dreyfus était victime d’une erreur judiciaire). Le Prince de Monaco s'est donc impliqué, “mouillé” en tant que chef d’Etat pour défendre Dreyfus, ce que les antisémites ne lui ont jamais pardonné. Une manière d’attaquer Albert Ier était donc de publier d’horribles caricatures de Gunsbourg sur ses origines juives (Gunsbourg a d’ailleurs traîné Daudet en justice).”
Deux hommes au sommet d’un rocher lyrique
Forcément, deux directeurs qui ont occupé le même fauteuil pendant de si longues années ont des choses en commun et se construisent un destin commun, d’autant qu’il est patriotique et même familial pour Jean-Louis Grinda : “J’ai l'impression d’avoir vécu avec Raoul Gunsbourg. Je suis monégasque, mon père baryton était monégasque, ses parents, grand-parents, arrière-grand-parents aussi.
Mon père, né en 1923, s’est dédié au chant. Pendant la guerre il travaillait au conservatoire de Nice, il a eu son Premier Prix après guerre et il a cherché du travail chez lui à Monaco. Il s’est présenté à Raoul Gunsbourg qui l’a tout de suite engagé, s’est pris d'amitié pour lui et l’a pris sous son aile. Mon père a chanté ici de petits rôles mais, dès ses 24 ans, il incarnait Silvio de Paillasse (et puis Sharpless, et de nombreux rôles), en se partageant entre Monaco et Nice dans ses années d’apprentissage.
Pour la petite histoire, Raoul Gunsbourg, notamment à la fin de sa vie, ne supportait pas les répétitions (un paradoxe pour un homme de théâtre) et les artistes devaient donc répéter en cachette. Et puis Raoul Gunsbourg ne voulait pas que les chanteurs de Monte-Carlo chantent à Nice alors mon père a pris un pseudonyme : il était 'Grinda' sur le Rocher, et 'Dagrin' à Nice. Une autre époque (rires) mais bien sympathique.”
Cette production et cette exposition sont donc l'occasion de raconter Raoul Gunsbourg, que Jean-Louis Grinda raconte comme nul autre et tel qu’il ne se racontait pas, en véritable homme de théâtre : "Gunsbourg a écrit ses mémoires mais c’est un tissu d’affabulations extraordinaires, quoiqu’enrobant des vérités. On sait qu’il est d’origine juive roumaine (ce qui lui a donc causé beaucoup d’ennuis pendant les deux guerres mondiales). Il était dans l’armée proche des russes, il a gagné des batailles à lui seul et appris la musique avec un chef militaire sans travail préalable, puis il a monté un théâtre français à Saint-Pétersbourg (ce qui est avéré) qui a eu un certain succès. Il a ensuite dirigé l’Opéra de Lille et celui de Nice juste avant Monte-Carlo où il a été engagé par le Prince. L’histoire raconte qu’il aurait été recommandé au Prince par le Tsar, mais une chose est sûre, Son Altesse Sérénissime voulait donner à l'Opéra de Monte-Carlo, qui avait été inauguré le 25 janvier 1879 (seulement 13 ans auparavant) une vie artistique plus intense. Avec Gunsbourg il a été servi !
Son premier coup de maître a donc été La Damnation de Faust et il a fait venir les plus grandes voix de l’époque : Caruso quand presque personne ne connaissait Caruso, Chaliapine, Titta Ruffo, les grands compositeurs aussi (7 des derniers opéras de Massenet y ont été créés, La Rondine de Puccini aussi, ainsi que L’Enfant et les Sortilèges de Ravel dont Monte-Carlo célébrera en 2025 le 100ème anniversaire sous l’égide de la Directrice Cecilia Bartoli qui m’aura succédé). L’histoire des opéras de Wagner est aussi extraordinaire : il était interdit de jouer Parsifal hors de Bayreuth avant le 1er janvier 1914, mais Raoul Gunsbourg voulait le jouer tout de même. Le Prince Albert Ier lui a écrit en lui disant de ne pas se mettre en difficulté vis-à-vis de la Société des auteurs (mais avec un ton que je pense complice), alors Gunsbourg a eu l’idée géniale de ne pas le ‘jouer’ en public mais de le ‘répéter’ en public. Tout Gunsbourg est là, il était lui aussi Méphistophélique avec cette capacité à saisir l’occasion et à transformer l’essai pour son théâtre. Il a eu de grandes réussites car il avait des projets mais en sachant les mener à terme (tout le monde peut avoir des projets et faire une saison sur le papier, la réaliser c’est une autre histoire). Il était profondément génial.
Je n’aurais pas la prétention de dire que je me suis inspiré de lui, et nous vivons un autre monde. Mais j’ai moi aussi voulu avoir une très grande ambition pour mon théâtre (celui dont j’ai la charge durant mon mandat, pour mieux le transmettre à d'autres). J’ai développé la saison en l’augmentant d’un mois, avec davantage de représentations, en l’ouvrant à davantage de répertoires (nous n'avions jamais joué Janacek, Lady Macbeth de Mzensk, Le Joueur, Wozzeck…). Je le dis toujours : je suis un bibliothécaire, qui propose de relire de beaux livres et d’en ajouter dans nos collections. Le Wozzeck pour la première fois dans l’histoire de l’Opéra de Monte-Carlo (dans la formidable mise en scène de Michel Fau, qui est sans doute la plus belle que j’aie vue) est pour moi une grande fierté et si j’avais été amené à continuer j’aurais présenté Lulu. Ce théâtre foisonne et rayonne : nos productions se jouent partout (en ce moment La Traviata est à Hong Kong, nous avons coproduit avec Sydney, Copenhague, l'Irlande, nombre de théâtres italiens, Madrid, etc.).”
Une Damnation pour finir
C’est donc un hommage complet et dynamique qui sera rendu à la figure tutélaire des lieux, par celui qui n’aura certes pas égalé le record de Gunsbourg, mais qui aura tout de même dirigé l’Opéra de Monte-Carlo durant quinze saisons (et demie : jusqu’à la fin de l’année civile 2022, pour passer le relai à Cecilia Bartoli). Mettre en scène La Damnation de Faust est en soi un hommage à Gunsbourg et aux lieux et un départ en fanfare, mais le contenu de la production résonnera aussi concrètement avec les lieux, comme nous le dévoile le Directeur metteur en scène : “Ma production de La Damnation, avec ses décors et ses costumes, plonge dans l’époque post-napoléonienne (sauf le Pandémonium qui plonge dans le délire absolu des costumes de Jorge Jara, montrant ce qu’est l’enfer : le vrai, le seul, l’unique). Ce sera un voyage dans le temps avec des passages très fluides d’un tableau à l’autre. Ce qui sous-tend pour moi ce spectacle est la vision de Méphisto comme un mal nécessaire : sans Méphisto il n’y a pas de mal, ni donc de bien, et donc pas d’apothéose finale. Méphisto (celui de Goethe, de Berlioz, de Gounod ou de Boito) est en outre un raconteur d’histoire, qui entraîne les protagonistes ailleurs. Vous menant dans les rêves qu’il a envie de vous montrer, finalement, Méphisto c’est un peu Raoul Gunsbourg [et Jean-Louis Grinda, qui finira par s’avouer aussi un attrait pour le diable, lui qui a programmé Mefistofele de Boito comme dernière production de son mandat à l’Opéra Royal de Wallonie, avant de nous confirmer qu’il n’y a ‘pas de hasard’]. Méphisto est un illusionniste et Faust se laisse complètement abuser. Pour cela, j’ai voulu que le public, lui, voie les ‘trucs’ du magicien. Ce sera un grand spectacle, rien de minimaliste, et très beau. Je me suis aussi inspiré, avec le décorateur Rudy Sabounghi, d’une idée basée sur une concordance de l'époque : quelques temps avant La Damnation de Faust, Berlioz avait écrit une musique pour l’inauguration d’une gare de chemin de fer à Paris et je me suis dit qu’il y avait quelque chose du chemin de fer dans cette descente, cette course à l’abîme. Les chevaux qui sont représentés musicalement dans cette partition sont des chevaux… mais peut-être des chevaux-vapeur.”
Le lien aux chemins de fer est là aussi une référence supplémentaire vis-à-vis de ce lieu, vers lequel confluait en train toute une partie de la population à la saison des bains de mers. Et le lien avec Napoléon résonne avec l'histoire de la famille princière. Albert Ier et Berlioz ont ainsi des ancêtres qui ont lutté sous le même drapeau : le Prince Honoré V de Monaco devint capitaine de l'armée Napoléonienne et baron d'Empire, tandis que “Berlioz avait un oncle soldat de la grande armée napoléonienne, auquel il vouait une admiration sans faille, rappelle Jean-Louis Grinda en évoquant le prestige formidable du hussard. Cette épopée Napoléonienne a incontestablement nourri Berlioz dans son désir de faste et de grandeur, et nous la retrouverons dans le spectacle notamment au cours de la très fameuse Marche hongroise (mais pas forcément comme on l’attend).”
Une distribution d’enfer
La Damnation de Faust est également l’occasion pour le passionné des voix qu’est Jean-Louis Grinda, de mitonner une distribution d’exception, réunissant des voix toujours montantes et des habituées des lieux. Dans une maison si profondément marquée par les voix d'opéra c'est aussi du choix des chanteurs que se lancent les projets, c'est le cas avec le Faust de cette Damnation : “J’ai pris la décision de programmer cette œuvre concomitamment au moment où j’ai rencontré Pene Pati (avec Nadine Sierra en Roméo et Juliette, pour l’ouverture de saison à San Francisco [mise en scène par Jean-Louis Grinda en septembre 2019, ndlr]). Il était un très jeune artiste, il devait faire une seule date de la production mais a remplacé l’autre ténor pour toutes les représentations. J’ai beaucoup apprécié son français parfait, sa musicalité, son goût pour cette musique, son chant jamais forcé. Je me suis donc dit que le Faust de cette Damnation était pour lui. La partition est très particulière pour le ténor : avec ce rôle à la fois très central mais aussi des passages qui culminent très haut. Il faut une souplesse vocale et une capacité d’accéder à ces aigus délicats à appréhender, qui n’est pas la marque de tous les ténors.
Aude Extrémo et Nicolas Courjal (qui incarneront Marguerite et Méphistophélès) sont deux artistes avec lesquels j’aime beaucoup travailler, et je voulais évidemment une distribution francophone. Ils sont ouverts, disponibles, agréables, pour faire de la belle ouvrage.”
Nicolas Courjal lui aussi peut déjà retracer toute une histoire personnelle avec l'institution et son Directeur, histoire qui là encore boucle une boucle : “Le premier grand rôle de basse que j'ai chanté est La Damnation de Faust, mais je l'ai toujours fait en concert, jamais en mise en scène. Ce sera donc la première fois que je pourrai et le chanter et le jouer pleinement. L'incarner dans une mise en scène change tout car Méphisto, Mefistofele , Méphistophélès chez Gounod, Boito ou Berlioz est un personnage extrêmement dans l'action, dans le jeu. Je suis donc très impatient, d'autant que chaque occasion de le chanter me donnait envie de le jouer. Même si ce n'est pas un 'opéra' dans le pur sens du terme mais une 'légende dramatique', cet opus semble se prêter très bien à la scène et j'en suis d'autant plus impatient dans la mise en scène de Jean-Louis. J'ai fait quelques méchants avec lui et un diable dans Les Contes d'Hoffmann, je suis donc très content de poursuivre cette aventure en sa compagnie dans la recherche du malin.
Pouvoir enfin l'incarner sur scène, pouvoir avoir son costume, va permettre de plus le nourrir. J'ai ainsi pris goût à incarner ce genre de personnages multi-facette qui peuvent être drôle, méchant, ironique, parfois sincère (comme Bertram dans Robert le Diable). Pouvoir le vivre permet de découvrir encore davantage cette partition, la rendre encore plus concrète. Sur le plan vocal, la difficulté tient à la tessiture, à la limite du basse-baryton (je suis plutôt basse) : c'est l'un de mes rôles les plus aigus même s'il y a des ossias dans la partition permettant de choisir une note plus grave, la basse explore avec ce rôle la partie aiguë de la voix. Mais là aussi le travail avec Jean-Louis, qui connaît très bien les voix (les partitions par cœur et les opéras comme sa poche) est toujours un vrai bonheur : c'est de l'échange. On se sent toujours mis en valeur dans ses mises en scène, ce qui est précieux pour un artiste.
Maquettes des costumes de La Damnation de Faust par Jean-Louis Grinda | (© Jorge Jara) |
On a vraiment l'impression d'être face à un artiste complet, musicien et metteur en scène, et on peut se laisser mener en confiance au mieux de ce qu'on peut proposer. Pour un chanteur c'est l'idéal, face aux stress, aux enjeux personnels inhérents quand on aborde un rôle. Il est très observateur, il voit très vite les forces et les fragilités, et il travaille avec, sans même qu'on s'en rende compte. Je le ressens à chaque fois à l'Opéra de Monte-Carlo depuis mon premier engagement qui a été Gessler dans Guillaume Tell : c'est un personnage important mais loin d'être central. Il peut très vite être mis en retrait mais Jean-Louis en a fait un personnage très fort, c'était la première fois que je travaillais avec lui en mise en scène, j'étais donc ravi. Et ensuite bien sûr Les Contes d'Hoffmann : c'est lui qui m'a convaincu de les chanter. Il m'a incité, poussé à regarder la partition alors je lui ai fait confiance et c'était une superbe aventure, un rôle et une musique formidables, et de prendre le rôle avec lui dans les conditions privilégiées de l'Opéra de Monte-Carlo avec cette équipe soudée a fait disparaître le stress : je me suis laissé porter et je m'en souviendrai longtemps.”
Un autre souvenir mémorable avait déjà réuni (comme pour cette Damnation de Faust) Nicolas Courjal, Jean-Louis Grinda ainsi que Kazuki Yamada, Directeur artistique et musical de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo depuis 2016 : “Il est très dommage qu'il s'agisse du dernier grand projet de Jean-Louis Grinda comme directeur, mais j'étais d'autant plus enthousiaste d’en faire partie. Avant lui, j'avais l'expérience de diriger l'opéra presque seulement au Japon, et c'est Jean-Louis Grinda qui m'a fait confiance pour diriger en Europe, à Monaco.
Le travail avec Jean-Louis Grinda est un bonheur de chaque jour. Il a d'emblée une stratégie globale avec des rôles très clairs, puis il entre dans le détail. C'est la meilleure manière de travailler. Il est très facile de travailler avec lui : nous pouvons parler de mise en scène et de musique avec lui, il est très ouvert et avenant.
Nous avons fait ensemble Samson et Dalila qui était un grand moment pour la maison, tout comme le Wozzeck de Berg et donc déjà une version concert de La Damnation de Faust. Ce fut un moment mémorable avec ce chœur que je dirige. La fin fantastique de cet opéra dépend de l'excellente qualité de la phalange. Nous avons travaillé très dur sur cette œuvre, et obtenu un excellent résultat en version de concert. J'en pleurais presque devant ces voix si belles, ces harmonies si délicates et émouvantes. Je m'attends à revivre de tels sentiments. Quant à l'orchestre, l'instrumentation de Berlioz semble parfois folle (mais il n'est pas obligatoire de recourir à 12 harpes) et elle s'adapte en fait très bien : Berlioz est un orchestrateur de génie. Pour le chef il est ainsi très facile de trouver les équilibres de cette musique et nous avons le plaisir de cette Marche de Rákóczy que tout le monde connaît.”
“Le maestro Kazuki Yamada, poursuit et résume Jean-Louis Grinda, est arrivé pour les cinq dernières années de mon mandat (incluant l’année Covid) mais le temps de faire des choses marquantes : à commencer par la nouvelle production de Samson et Dalila qu'il a dirigée au Grimaldi Forum, une très belle collaboration. J’ai beaucoup aimé son approche de la musique française à cette occasion : il la comprend et déploie la parfaite sensibilité. Nous avons présenté ensuite La Damnation de Faust en version de concert, et il a dirigé le Wozzeck de Berg, en menant un travail tout aussi formidable sur ses affinités avec cette musique. C’est notre quatrième et ultime collaboration au moins pour moi en tant que Directeur, mais je pense qu’il y en aura d’autres. C’est un chef qui dirige très bien le symphonique et le lyrique.”
Fête nationale
Cette Damnation de Faust est le spectacle donné cette année au jour de la fête nationale, une tradition principielle en Principauté : “La fête nationale est par définition un moment où nous exprimons ce que nous sommes en tant que nation, affirme Jean-Louis Grinda. Le 19 novembre est un moment de liesse et de recueillement, toujours couronné par une représentation à l'Opéra de Monte-Carlo, parce que l'Opéra est une représentation et une démonstration de ce que nous voulons être en Principauté.
Nous présentons un répertoire varié, avec des opéras ambitieux (L'Or du Rhin, La Fanciulla del West…) pour montrer le meilleur de la Principauté et de ses phalanges musicales. La Damnation s'y prête ainsi en venant commémorer le centenaire de la disparition du Prince Albert Ier.
Le soutien des Princes aux beaux-arts et à la musique date de bien avant Albert Ier et se poursuit jusqu'à nos jours sans réserves : qu'il s'agisse de l'Opéra, du Musée, de l'Orchestre Philharmonique, du Ballet de Monte-Carlo, du Festival Printemps des Arts et de tant d'autres. Le soutien est important et personnel, et intéressé dans le sens noble, pas du tout "pour la galerie" : le Prince et la Princesse viennent assister aux spectacles, aux récitals, invitant de jeunes élèves du Conservatoire et de l'Ecole d'Art plastique pour voir par exemple Wozzeck depuis la loge Princière avec la famille Princière. Cela compte énormément.
Autre exemple plus triste mais qui montre bien le fonctionnement artistique en principauté, nous avons vécu une tragédie : le décès suite à une longue maladie du jeune et brillant directeur musical de l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, Yakov Kreizberg avec lequel nous avions de nombreux projets. Il a dirigé jusqu’au bout avec une énergie folle. Lorsqu’il est décédé, hommage lui a été rendu dans la salle de son Orchestre, la salle de l'Auditorium a été baptisée à son nom et tout le monde était là (toute la famille princière et le gouvernement : pas seulement un sous-secrétaire d'État). Cela aussi montre combien la culture est prise au sérieux.”