Jean-Philippe Collard annonce « un évènement considérable » aux Flâneries musicales de Reims
Jean-Philippe Collard, pouvez-vous nous raconter l’histoire des Flâneries musicales de Reims, dont vous êtes Directeur artistique ?
L’ADN de ce festival est très particulier. Il est né il y a environ 35 ans, d’une adjointe à la culture de l’époque qui a fait le constat que Reims n’avait pas d’équipement de concert spécifique pour la musique, mais qu’il y a des sites de patrimoines, nombreux, qui pouvaient servir d’abris à certains concerts. Elle a donc eu l’idée d’inventer un festival ambulant permettant d’aller de lieu en lieu : c’est la raison pour laquelle il a été appelé « Flâneries ». Après d’autres, j’ai essayé de perpétuer cette idée formidable. À l’origine, les musiques étaient très mélangées. Il y avait deux festivals couplés : la musique classique et le jazz. Le festival se déroulait sur tout l’été, avec une centaine de concerts du 15 juin au 15 septembre, le plus souvent en plein air. L’idée était que les gens se promènent en famille et aillent d’un concert à l’autre. Malheureusement, il y avait un mauvais principe dans cet ADN : tous les concerts étaient gratuits, ce qui empêchait le festival de bien fonctionner. Il y a eu de très grands artistes comme Rostropovitch ou Caballé, mais très peu. Petit à petit, c’est devenu un festival pour les jeunes artistes, sans que leurs qualités soient respectées puisqu’ils n’étaient pas rémunérés. Par ailleurs, les concerts étant gratuits, les gens entraient et sortaient, ce qui nuisait à la qualité globale. L’idée était formidable, mais il fallait que ce soit un peu cadré. La gratuité a été remise en cause en 2006 (je n’étais pas encore là) : peu à peu, l’idée s’est imposée que les artistes devaient être payés.
Comment votre histoire a-t-elle débuté avec ce festival ?
Je suis natif de la région. Étudiant en musique, je connaissais donc les Flâneries musicales. Quand j’ai eu 25 ou 30 ans, j’ai été approché pour faire un concert. J’ai été très honoré. Mais le directeur de l’époque, charmant, m’a toutefois prévenu que le festival n’avait pas d’argent pour me payer. Cela m’a posé question, parce que si je commençais à jouer gratuitement, je ne pourrais pas gagner ma vie. J’ai essayé de discuter, mais la position était inflexible, j’ai donc renoncé. Le même scénario s’est reproduit l’année suivante, puis l’année d’après. J’ai alors dit à la direction des Flâneries que j’habitais à 25 kilomètres de Reims, dans un village où les gens me connaissaient car mon nom commençait à rayonner un peu. Je jouais alors de temps en temps en récital dans l’église de mon village, mais je ne pouvais pas donner de concert avec orchestre. J’ai donc proposé de jouer un concerto à condition qu’ils invitent tous les gens de mon village qui souhaitaient y assister. J’ai donc demandé qu’ils mettent des bus à disposition et que nous puissions avoir un temps convivial dans une brasserie après le concert. À ma grande surprise, la proposition a été acceptée et ce concert reste aujourd’hui un souvenir majeur pour la population de mon village qui m’en parle encore. Voilà jusqu’où il m’a fallu aller pour jouer pour la première fois aux Flâneries musicales.
Dans quels lieux le festival se tient-il ?
La Basilique Saint-Remi nous offre une acoustique tout à fait correcte pour la musique symphonique, à condition de bien choisir les œuvres que l’on y donne, ce qui limite le répertoire. Cette Basilique nous sert de pilier : elle accueille les concerts d’ouverture et de clôture et souvent d’autres concerts entre les deux. Le Parc de Champagne est aussi un lieu emblématique : nous y faisons un seul concert chaque année. Nous jouons également dans des églises, des maisons de Champagne ou encore dans des parcs. Il y a un très beau patrimoine à Reims. La Cathédrale, qui est le monument emblématique de la ville, n’a en revanche pas une acoustique adaptée à des concerts. J’ai mis à la mode le cloître du Musée Saint-Remi, qui se situe sous les flèches de la Basilique. On peut y faire jouer un instrument seul et la sonorité y est d’une pureté incroyable. Il y a également une très jolie salle de musique de chambre de 400 places au Conservatoire. Elle a une remarquable acoustique, mais le Conservatoire étant en pleine action pendant le festival, il ne leur est pas facile de nous la céder. Enfin, nous nous servons parfois de la salle de l’Opéra pour quelques grandes manifestations. Nous allons donc d’un lieu à l’autre, ce qui suppose des budgets de production énormes parce qu’il faut déplacer les estrades, les chaises, le courant, la sécurité, etc.
Cette édition du festival s’ouvrira le 16 juin avec Les Vêpres de Monteverdi : pourquoi avoir choisi cette œuvre pour lancer les festivités ?
Cela fait 11 ans que je suis Directeur artistique de ce festival. J’ai toujours eu envie de donner cette œuvre : j’attendais la circonstance. Elle n’est jusqu’ici jamais venue, mais je quitterai la direction artistique après ce festival et je ne me voyais pas partir sans avoir entendu cette œuvre, qui est un pilier (si ce n’est le pilier) du répertoire baroque. En même temps qu’au public, c’est donc un petit cadeau que je me fais.
Simon-Pierre Bestion et son Ensemble La Tempête seront à la manœuvre : pourquoi les avoir choisis ?
Bien que j’aie beaucoup d’amis dans le monde de la musique, je n’ai jamais voulu créer une bande pour ne pas lasser notre public. Mais La Tempête est toutefois déjà venue à plusieurs reprises : ils ont à chaque fois un très grand succès et je les apprécie beaucoup aussi car ils font toujours un travail remarquable. Leur manière de traduire le répertoire n’est pas statique. La plupart du temps, ils sont en déambulation, font une petite mise en scène, la Basilique est un peu transformée : on arrive à donner aux gens une impression de lévitation. La partition est merveilleuse, mais ce qu’ils font pour que la musique inonde le public, qu’elle vienne de toutes les parties de la Basilique, donne un effet auquel je suis très sensible, car il est très propice au recueillement.
Vous avez choisi une autre pièce de musique sacrée pour clôturer le festival le 8 juillet, avec la Petite Messe Solennelle de Rossini : pourquoi ce choix d’œuvre ?
C’est une œuvre de grand intérêt, que j’ai jouée moi-même dans des versions un peu raccourcies, et qui n’avait plus été donnée aux Flâneries depuis des années. Ses thèmes musicaux sont tellement joyeux qu’ils finissent par paraître totalement profanes : c’est un petit accident de l’histoire de la musique. C’est un véritable exercice de style car l’œuvre reste malgré tout dans les limites de la concentration. Le public aime bien cette œuvre : c’est un choix idéal pour clôturer à la fois le festival et mon mandat.
David Reiland sera à la tête de l’Orchestre national de Metz : pourquoi l’avoir choisi ?
Dans l’ancien découpage géographique de la France, il y avait 27 régions dont la Champagne-Ardenne. La quasi-totalité des régions disposait d’un orchestre, sauf notre région. La culture du répertoire symphonique est du coup peu développée dans cette région, puisque quantité d’œuvres n’y ont jamais été données. Lorsque les régions ont été redécoupées, j’ai immédiatement sollicité les orchestres de la région Grand-Est, où exercent les orchestres de Mulhouse, de Nancy, de Strasbourg et de Metz. L’Orchestre de Metz, dont David Reiland est le chef principal, a de grandes qualités musicales et a l’avantage supplémentaire d’offrir une proximité géographique qui permet que les musiciens rentrent chez eux après le concert, ce qui évite de devoir séjourner à l’hôtel. Ils sont donc régulièrement invités, tout comme l’Orchestre de Mulhouse qui vient de temps en temps.
Cette édition laissera une place significative au chant choral : quelle importance accordez-vous à ce répertoire ?
Mon père était un homme d’affaires qui œuvrait dans le Champagne. Il était passionné de musique et a fondé quatre ensembles vocaux, à Château-Thierry, à Reims, à Châlons-en-Champagne et à Épernay : tous les lundis de son existence depuis la sortie de la guerre, il faisait chanter des chœurs amateurs. Chaque fin de saison, il rassemblait ces quatre chœurs, leur adjoignait un petit orchestre de chambre qu’il recrutait dans la région, et il chantait tous les grands oratorios. Comme j’étais étudiant au Conservatoire, il me demandait souvent de participer : je me mettais entre les ténors et les barytons et j’aidais à donner les départs, si bien que j’ai une culture d’oratorios qui est extrêmement large. J’ai chanté quasiment tous les oratorios sauf le Requiem de Verdi que mon père n’a jamais réussi à monter parce que ça coûtait trop cher. Ces concerts ont été parmi mes plus beaux frissons musicaux. Le plaisir que donne le fait de chanter ensemble, de relever les défis que représentent ces oratorios, est incroyable.
Votre public a-t-il lui aussi un goût développé pour ce répertoire ?
Oui, il y a une culture du chant choral, qui a été créée par l’absence de salle de concert : il n’était possible de faire des concerts que dans les églises où le chant est le plus adapté, qui sonnent merveilleusement bien, mais qui hélas n’ont pas d’énormes capacités. Cela a permis de créer une véritable culture : nous avons ainsi sur le territoire l’Ars Vocalis qui est de très haut niveau, ainsi qu’une maîtrise de haute tenue, ou encore le Chœur Variatio de Jean-Marie Puissant et le formidable Chœur Nicolas de Grigny qui fait office de chœur symphonique : c’est un chœur amateur, mais qui travaille deux fois par semaine et qui est donc aussi de très grande valeur.
Vous inviterez ainsi Voces8 le 23 juin, puis l’ensemble Ars Vocalis pour des Sérénade Anglaise le 25 juin et La Maîtrise Notre-Dame de Paris pour de la musique du XXème siècle le 5 juillet. Qu’attendez-vous de ces trois concerts ?
J’espère d’abord montrer la variété du répertoire. Les anglais de Voces8 présentent la particularité de s’être intégrés dans la ville : certains musiciens sont présents toute l’année, et vont dans les collèges pour faire chanter les jeunes. Apprendre à chanter juste et en mesure n’est pas donné aux enfants de tous les territoires. Cela donne aussi aux élèves la possibilité de s’ouvrir un imaginaire, de s’intéresser à la musique classique et pourquoi pas rejoindre une formation chorale un jour. Ce travail de Voces8 est remarquable : ce sont de grands professionnels qui font la joie des écoliers par leur humour anglais. Ils travaillent deux ou trois chants dans l’année et donnent une représentation dans un magnifique cirque à l’ancienne, qui est un lieu extraordinaire même s’il n’est pas particulièrement adapté à la musique, et qui peut accueillir jusqu’à 1.000 personnes. Ces concerts sont généralement très suivis. Ars Vocalis est notre fleuron vocal. C’est un chœur qui explore tous les répertoires de manière très intelligente. Enfin, le concert de La Maîtrise Notre-Dame de Paris est l’occasion pour nous d’accueillir cet ensemble orphelin de son lieu d’accueil habituel.
Votre programmation compte aussi des spectacles dédiés au jeune public : pourquoi ?
Quand je suis arrivé il y a 11 ans, j’ai constaté qu’on ne voyait pas les enfants aux concerts. Nous avons donc créé une série de concerts les mercredis et samedis appelée Les Petits flâneurs pour leur donner envie d’y venir. Ce sont des spectacles musicaux qui sont préparés à l’avance dans les écoles. Cette série a eu énormément de succès : elle permet de leur faire plaisir à l’âge qu’ils ont, et de les former pour qu’ils deviennent le public de demain.
La Maîtrise de Reims mènera ainsi un spectacle pour enfants le 29 juin et Les Lunaisiens proposeront des Fables baroques et hip hop de Jean de la Fontaine le 6 juillet : pourquoi mélanger le classique et le hip hop ?
Le public a toujours besoin d’être surpris, même s’il aime entendre les grands standards : il aime les spectacles dans lesquels les idées sont mélangées, comme s’il y avait quelque chose de nourrissant pour l’esprit de ne pas être dans une réflexion mono-stylistique. J’ai toujours eu une politique assez généraliste en termes de musique : on m’a reproché à une époque de n’avoir du coup pas de spécialité. De fait, je chasse sur des terres annexes : nous avons fait des hommages à Bécaud, à Piaf, mais aussi de la musique Sud-Américaine et de musiques du monde. Cela permet de mélanger les populations.
Vous inviterez également Agathe Peyrat le 23 juin pour un programme de cabaret et Véronique Gens le 24 juin pour explorer le répertoire français : vous semble-t-il aussi important de mettre en avant une pratique individuelle de la musique ?
S’il n’y a pas ici une grande culture du récital instrumental, faute de salles adéquates pour les accueillir, il y a en revanche un goût prononcé pour le chant. C’est un art qui me plait parce qu’il s’agit de la première expression de chaque être humain : il y a une reconnaissance immédiate entre le ou la vocaliste et chacun d’entre nous. C’est donné à tout le monde. Dans mon métier de pianiste, je chante d’ailleurs quand j’ai des questionnements sur un phrasé musical. Cela permet de trouver la ligne juste, la respiration, le tempo d’une phrase musicale : c’est l’instrument qu’a utilisé le compositeur, dans sa tête en tout cas, pour définir la phrase musicale. C’est le point commun de chaque être humain dans le monde : nous sommes tous capables de chanter. Le chant est universel : il serait bon de l’exploiter davantage pour accueillir le plus possible de gens autour de la musique.
Vous prendrez vous-même part à 3 concerts : vous accompagnerez Yves Duteil le 21 juin, puis vous jouerez les 28 et 29 juin, entouré d’un sextuor à cordes, du Dvorak, Debussy, Mozart, Nino Rota et Fauré : comment avez-vous choisi ces programmes ?
La musique de chambre est probablement le plus bel art musical qui existe car il est à la fois exigeant et profond. J’ai voulu donner deux concerts avec des musiciens que j’estime particulièrement, dans un lieu incroyable, le Palais du Tau : il s’agit de l’ancien archevêché de la Cathédrale. Il y a là une salle, appelée Salle du Festin, qui peut accueillir 300 personnes et qui sonne magnifiquement. La musique y prend toute sa dimension. Je ferais aussi un concert avec mon ami Yves Duteil, dont j’admire la poésie et l’art de façonner les chansons. Certaines sont très chères à mon cœur. J’ai toujours beaucoup aimé l’accompagner. Nous nous sommes rencontrés sur le plateau du Grand Échiquier. C’est de la très jolie musique populaire.
Le 16 juillet, vous organisez au Parc de Champagne un Concert Pique-nique : comment l’idée vous en est-elle venue ?
Le Concert Pique-nique a, à trois ans près, le même âge que le festival. Il était jusqu’à mon arrivée dévolu au jazz et à la variété américaine. J’ai voulu tenter le coup d’y jouer de la musique classique. La première année, je n’ai pas voulu prendre trop de risques car c’est un évènement en plein air qui nécessite beaucoup de matériel et donc des coûts importants : j’ai donc proposé un concert de musiques de films, dédié à John Williams. Ce fut un succès incroyable. Nous sommes passés de 3.000 spectateurs à des jauges de 11.000 à 18.000 spectateurs payants. C’est devenu un évènement considérable.
Quel en est le principe ?
Le parc ouvre à 17h, les gens arrivent avec leur glacière, leur bouteille de Champagne, et s’installent avec des tables pliantes ou des couvertures. Il y a un premier concert à 19h, qui accueillera cette année un DJ qui mixera sur des motifs de Jean-Sébastien Bach. Puis un second concert débute à 21h30, avant un feu d’artifice. C’est un évènement unique en son genre, avec un succès qui ne se dément pas.
Avez-vous un regret à l’heure de quitter ce festival ?
L’absence de salle de concert à Reims a été l’un de mes combats depuis 11 ans : je trouvais indécent que la douzième ville de France n’ait pas un auditorium pour accueillir proprement les répertoires symphoniques et romantiques, alors que des villes bien plus petites sont très bien équipées. Je me suis battu sans rien obtenir. Surtout, je ne crois même pas être parvenu à changer les mentalités.