Graines d’artistes pour L’Arche de Noé nouvelle génération au Théâtre de Caen
Benjamin Britten avait l’ambition de désacraliser l’opéra, en invitant notamment le public à chanter quelques couplets pour mieux monter dans cette Arche de Noé. Olivier Opdebeeck et Benoît Bénichou ont souhaité rester fidèles à cet esprit joyeux et fédérateur : avant le lever de rideau, le chef fait ainsi travailler le public (des enfants avec leurs parents pour l’essentiel) sur 3 chants de l’œuvre, aidé par les jeunes maîtrisiens. L’ambiance est bon enfant, les résultats sont relativement rapides : l’opéra peut donc commencer, dans une version française permettant la compréhension de tous, tout en conservant tout le sens et les références du texte d'origine.
Le metteur en scène a néanmoins fait le choix de transposer au XXIème siècle cette œuvre au thème Biblique créée en 1958. Plus d’arche mais un théâtre (celui de Caen) devenu bunker où les êtres vivants (y compris les spectateurs) ont trouvé refuge. La terre est devenue inhabitable sous l’effet de la montée des eaux, des catastrophes écologiques, des pandémies, des guerres. En l'absence d’animaux à sauver, l'enjeu devient la préservation des espèces végétales. Le point de repère de cette scénographie (conçue par Christophe Ouvrard) est une réserve de graines récoltées à temps, disposées dans des pots alignés sur des étagères. Le plateau prend alors l’aspect d’un laboratoire phytologique. Noé et ses enfants les préservent, les font germer dans l’espoir de les replanter, une fois sortis.
Le metteur en scène a souhaité que le personnage de Dieu soit représenté par des enfants, et non par un comédien adulte comme dans la version originale. Selon lui, les enfants héritent du monde laissé par leurs aînés et c’est à eux de prendre en main l’avenir et de faire le choix d’une terre respectée et humanisée. Aux manettes, trois jeunes maîtrisiens (les plus âgés) devenus des rappeurs au look « bling bling » : ces nouveaux dieux au vrai pouvoir d’influence sur la jeunesse, traitant de tous les sujets de sociétés. L’opéra revêt alors un rôle sociétal où la transmission est essentielle.
Agrémenté de nombreux effets vidéos (projection d’images, de films sur des écrans ou en dessus de scène) le texte devient métaphorique, poétique (comme le passage du Kyrie Eleison où sont projetés des vitraux pour rappeler le mystère médiéval dont s’inspira Britten) : un visuel parlant à tout le monde et qui n’engendre jamais l’ennui.

Tout au long de la représentation, la Maîtrise (avec Marie-Pascale Talbot en cheffe de chant) montre ses qualités musicales collectives. L’envie de chanter et de jouer la comédie est sincère, reflet d’un travail rigoureux mené par une direction précise à tout niveau.
Les jeunes solistes de la Maîtrise et les jeunes chanteuses du Conservatoire de Caen, à qui sont confiés les rôles des fils et belles-filles de Noé, déploient leur présence scénique avec aisance. Les voix sont justes et leurs nuances de timbres se complètent harmonieusement. Le jeune Hadrien Joubert (déjà remarqué en Yniold à l'Opéra de Lille l'année dernière) impressionne par sa puissance vocale et le phrasé naturel de sa ligne mélodique, ainsi que sa complicité avec les deux chanteurs professionnels.

Jean-Christophe Lanièce (dont nous assistions à la prise du rôle de Pelléas à l'Opéra Comique en 2018) tout de blanc vêtu, sculpte sa voix de baryton clair, au timbre soyeux, bien projetée et à la bonne compréhension pour interpréter le sage Noé : tour à tour protecteur, autoritaire, doutant puis convainquant. Il apporte beaucoup d’humanité à son personnage ainsi que de l’émotion, peut-être aussi due au fait qu'il retrouve la scène de ses débuts (il fut tout comme Cyrille Dubois élève de la Maîtrise).
Dans cette version, le conflit entre Noé et sa femme est plutôt anecdotique, Madame Noé se ralliant finalement sans trop de résistance au projet collectif et se montrant même réconfortante envers son époux. Décalée dans sa veste couture rose, la mezzo-soprano Anne-Lise Polchlopek à la voix ample et au timbre rond varie les couleurs de ses registres vocaux pour se prêter aux intentions comiques ou sérieuses du personnage. Les deux chanteurs professionnels savent adapter leurs moyens en se mêlant aux voix d’enfants, avec générosité.

La direction précise et vigoureuse d’Olivier Opdebeeck rassemble tous les participants de l’orchestre constitué de onze musiciens professionnels issus de l’Orchestre Régional de Normandie et d’une quarantaine d’élèves de l’orchestre pédagogique du CRR encadrés de professeurs référents. L’orchestre sonne soit délicatement lors des solos des instrumentistes, soit brillamment dans les tutti avec l’instrumentarium respecté et des cuivres disposés en stéréophonie dans les loges de côté. L’effet sonore est ainsi grandiose lors du finale, enveloppant l’auditoire se mettant à rêver sous un ciel étoilé (celui du plafond du théâtre) à une issue heureuse. C’est alors soulagé qu’il voit le fond de scène s’ouvrir directement sur la rue, espoir d’un monde renaissant, source de lumière vers laquelle chaque protagoniste se dirige, enfin libre.
Et c’est un déluge d’applaudissements qui récompense l’ensemble de la production.