Double anniversaire pour le demi-siècle du Festival de Saintes
Stephan Maciejewski, que représente pour vous le demi-siècle du Festival de Saintes à l'Abbaye aux Dames ?
Ce sont aussi les 30 ans de l'Orchestre des Champs-Élysées qui est indissociablement lié au Festival de Saintes et surtout les 25 ans du Jeune Orchestre de l’Abbaye, un orchestre maison. La plus grande célébration est avant tout que tout cela a lieu, après 50 ans et surtout après le Covid. Ce que nous avons mis en place l'été dernier avec les multidiffusions a encore ouvert de nouvelles perspectives pour le Festival, dans des formes bien entendu complémentaires aux concerts avec et pour le public dans l'abbaye. Nous aurons ainsi à nouveau nos habituelles retransmissions audiovisuelles en streaming, des répétitions au casque sous la voile tendue dans la cour de l'abbaye, des projections en multiplex sur place et à travers tout le territoire, et en poursuivant le travail de médiation mené à temps-plein toute l'année.
Cet anniversaire célébré lors de ces deux éditions post-Covid aura-t-il une résonance particulière ?
2020 a en effet été une édition très particulière, nommée "Labo" avec nos concerts en retransmissions audio-visuelles, mais elle nous a aussi invités à nous réinventer et à jouer avec d’autres espaces, en particulier l'arrière de l'abbaye, d’une verdure résonnant avec la dimension minérale de la cour (permettant en plus de se distancier pleinement). L'été dernier a aussi fait parler, fait venir, intéressé notamment les Saintais, dans la suite du mouvement mené depuis un demi-siècle : éloignant encore toute image d'élitisme de nos musiques et de notre projet. C'était aussi l'occasion de constater tout ce qu'apporte le Festival à l'image de la ville et de la région mais aussi en termes de retombées économiques. Rien n'était gagné d'avance en 1972 comme en 2020, mais nous n'avons jamais baissé les bras.
Quel sera le programme des Festivités anniversaires cet été ?
Cette édition 2021 célèbrera le retour du public avec une jauge à 100%, ce qui est normalement possible, à partir de début juillet. Comme la pleine capacité de l'abbaye n’est que de 500 places, nous avons aussi déplacé certains concerts à la Cathédrale pour que les artistes puissent jouer devant un maximum de public, rendant aussi possible une certaine distanciation. Cette édition 2021 prolonge les héritages d'un demi-siècle au Festival, mais il est aussi un héritage immédiat : il permet de reprogrammer des concerts qui étaient prévus en 2020. Les bougies d'anniversaire de l'édition 2021 seront soufflées entre autres par certains artistes essentiels à l’esprit du festival et qui reviennent régulièrement ces dernières années.
Sébastien Daucé venait déjà comme bénévole au dernier millénaire. Son Ensemble Correspondances n'avait pas encore son nom qu'il était déjà programmé à Saintes. Damien Guillon sera des nôtres également. Il y a presque 15 ans, j'avais été invité à l’écouter à l'Eglise des Billettes et je l’ai immédiatement signalé à Dominique Verkinderen en charge du casting du Collegium Vocale Gent. Un an plus tard, leur contre-ténor étant malade, ils ont appelé Damien qui ne les a plus quittés et a fondé par la suite son propre ensemble, Le Banquet Céleste. La "roue tourne" et il invite cette année pour le rôle Saint Jean-Baptiste de Stradella le jeune Paul Figuier dont le timbre n’est pas sans rappeler celui d'Henri Ledroit.
Saintes a aussi été le laboratoire du Ballet Royal de la Nuit ou encore de Perpetual Night précurseur du spectacle Songs avec Lucile Richardot. Lucile Richardot que j'ai également invitée à interpréter Le Chant de la Terre de Mahler dirigé par Reinbert de Leeuw (qui devait disparaitre deux mois après l’avoir enregistré avec elle chez Alpha).
J'ai lui ai aussi dit que je rêvais de l'entendre dans la Sequenza III de Berio. Elle ne l’a jamais chanté à Saintes, mais elle l'a au moins enregistré dans l'album Berio To Sing avec Les Cris de Paris de Geoffroy Jourdain.
Les liens avec les artistes sont très étroits et rayonnent ainsi dans toutes les activités du Festival. L'année dernière encore, par exemple, alors que j'étais en vacances fin août, Sébastien Daucé m'appelle un peu en panique pour savoir s’il était possible de venir faire un projet à l’abbaye (car la Charente-Maritime n'était pas confinée). Cinq jours plus tard les praticables étaient montés et les Membra Jesu Nostri de Buxtehude étaient retransmis en direct puis enregistré pour Harmonia Mundi dans la foulée.
Le programme américain que donnera cet été Carolyn Sampson est aussi un événement anniversaire, lié à ce qu'est le festival : chaque année elle faisait un bœuf après les concerts jusqu'à deux heures du matin, alors je lui ai demandé d'en faire un programme pour notre "in". Et à l'inverse de tous ces compagnonnages, 2022 sera dédié à "réparer des oublis" en invitant des ensembles qui ne sont jamais venus à Saintes et qui y ont toute leur place.
Saintes a été surnommé "La Mecque des baroqueux", qu'est-ce que ce titre représente selon vous ?
Saintes c'était tout à fait cela et j'ai eu la chance d'arriver au moment de cette appellation journalistique : c'était l'ère du fondateur du Festival, Alain Pacquier qui a fait venir les meilleurs artistes de l’époque, alors encore au berceau (William Christie, Jordi Savall, Paul van Nevel avec leurs ensembles). Philippe Herreweghe a ainsi invité l'école flamande baroque, d’une richesse incomparable. Avec le temps j'ai poursuivi dans cet esprit avec un peu plus d’artistes français. Sans bien entendu comparer les différentes époques et les artistes, le renouveau de la musique avec les générations actuelles rappelle ce qu'il s'est passé alors. La démarche artistique d’un Raphaël Pichon rappelle celle d’un Philippe Herreweghe, Celle de Daucé évoque celle du jeune Christie. Les personnalités artistiques sont aussi impressionnantes qu'à l'époque. Saintes a su identifier et renouveler les traditions, loin des nombreux suiveurs du paysage musical.
Authentique et authentifiée, telle est la démarche du Festival de Saintes que Philippe Herreweghe a su mener du baroque vers le post-romantique. L'accomplissement de Saintes est ainsi d'avoir prolongé le mouvement "baroqueux" historiquement informé, vers les courants esthétiques ultérieurs et d'avoir institutionnalisé la démarche, de lui avoir donné un lieu et un projet. Saintes est maintenant arrivé à un âge de maturité et ce projet authentique n'interdit plus aucune forme, répertoire ou instrumentarium (nous avons pu ainsi programmer un concert Bach et Chostakovitch au piano). La musique ancienne (baroque et renaissance) reste bien entendu extrêmement importante, notamment pour les éditions anniversaire à venir.
Quel bilan tirez-vous de votre quart de siècle comme responsable de la programmation artistique ?
Je n'ai rien fait d'iconoclaste ou de révolutionnaire à Saintes, car les lieux commandent aussi un répertoire. À Saintes, il faut donner à entendre de la musique à la mesure de la beauté du lieu. Nous ne nous interdisons rien, sauf ce qui ne sonne pas dans l'Abbaye (les récitals à plusieurs pianos, les post-romantiques hormis des couleurs comme Ravel et Debussy).
Le bilan tient aussi au fait que le Festival est assis sur une mine d'or d'enregistrements, qu'il serait hélas très compliqué de publier pour des questions de droits. La tradition et la pratique baroque a aussi infiniment évolué depuis la création : en écoutant les archives on peut ainsi mesurer le chemin parcouru.
Comment avez-vous débuté au Festival de Saintes ?
Dans les ruines de l'abbaye où fut fondé le festival, la légende raconte que Jean-Claude Malgoire et Felicity Lott déplaçaient des poutres pour pouvoir jouer. Quand je suis arrivé, la restauration allait bon train. La programmation était assurée par Thierry Lassence, critique musical pour La Libre Belgique qui nous a brutalement quittés durant les années Sida. J'ai poursuivi sa dernière programmation et pris la relève. J'étais alors en charge des castings de l’Orchestre des Champs-Elysées, de par mon expérience de chanteur. C'était déjà un travail de rêve mais Herreweghe m’a dit textuellement au bout de six ans, « tu fais le boulot, c’est logique qui tu aies le titre de Directeur ». Entre-temps le Festival de Musique ancienne de Saintes est devenu les Académies de Saintes. Ma première décision en tant que Directeur a été de le nommer simplement Festival de Saintes : Saintes est ainsi devenu synonyme de Musique.
Quelle sera votre place après ces deux éditions anniversaires ?
Je reviendrai au Festival comme bénévole.