Roselyne Bachelot fait le point sur la situation en Commission des affaires culturelles
La Commission des affaires culturelles auditionnait ce mardi 12 janvier 2021 Mme Roselyne Bachelot, Ministre de la Culture, sur les conséquences de la crise sanitaire pour le secteur culturel et ses acteurs, en vue des perspectives pour 2021.
"Quand je me regarde, je me désole. Quand je me compare, je me console" disait Talleyrand. Le propos de ce Ministre qui a su, en son temps, traverser régimes et révolutions inspire encore l’action du Gouvernement (qui continue d’ailleurs son projet d’Etats Généraux de la Culture). Les allocutions présidentielles, les Conférences de Presse du Premier Ministre, puis les interviews et auditions de la Ministre de la Culture recourent systématiquement -et même de plus en plus- à la comparaison (insistant fortement sur le nombre de victimes et le tragique de la situation chez nos voisins). Bien entendu, l’argument est puissant pour la Ministre de la Culture française étant donné le soutien unique au monde qui est apporté aux artistes et à la culture dans l’Hexagone. La crise sanitaire terrible qui s’abat partout sur les lieux de spectacles ne montre qu’avec d’autant plus de violente évidence combien la planète rêverait d’avoir un système d’intermittence du spectacle et un tel niveau de subventions (socles aussi du modèle français, de son exception culturelle et de son identité).
La situation n’est toutefois pas aussi simple et idyllique, nous avons ainsi fait un point détaillé sur la complexe conjoncture des festivals, des théâtres, ainsi que des décryptages sur ce que représentent vraiment les milliards d’aides et de soutiens annoncés, et concernant l’année blanche pour les intermittents. La Ministre de la Culture n’a cessé de redire que les mesures nécessaires seront prolongées. Or, l’année blanche arrive à échéance au 1er septembre prochain et le discours de Roselyne Bachelot s’infléchit désormais à ce sujet : un suivi interministériel de l’année blanche pour les intermittents doit être attendu “afin de pouvoir anticiper les difficultés rencontrées au 1er septembre et identifier le cas échéant les mesures nécessaires.”
Si la comparaison peut consoler, “Comparaison n’est pas raison”, rappelle le dicton, a fortiori lorsque la Ministre choisit les comparaisons, et notamment de ne pas comparer avec la situation en Espagne où les théâtres sont ouverts. Ce n’est qu’interrogée à ce sujet par un parlementaire que Roselyne Bachelot évoque l'ouverture (enviable) du Teatro Real de Madrid, expliquant qu’elle regarde attentivement la situation (exactement le même discours que pour les enquêtes scientifiques) avant d’évoquer les changements climatiques brutaux au-delà des Pyrénées (l’Espagne passant de la chaleur à des tempêtes de neige). Là encore, ces informations ne sont pas étayées de faits et servent à défendre une fermeture générale, sans tirer de conséquences des ouvertures qui fonctionnent (les régions françaises où les climats sont changeants auraient-ils eux aussi le droit d’ouvrir leurs théâtres ?).
L’art vivant blackboulé, le chant encore pire
Les arts lyriques (dont la Ministre est pourtant férue) sont même pointés du doigts, eux seuls sont ainsi totalement interdits dans les établissements d'enseignement, quels que soient les aménagement imaginables et possibles, ce "pour des raisons que tout le monde comprend, dixit Roselyne Bachelot, parce que pour chanter de l'opéra, ce ne sont pas des cordes vocales qu'il faut avoir, c'est une colonne d'air". Là encore, la Ministre, comme son Premier Ministre lorsqu’il s’exprime en Conférence de Presse, énonce des verdicts couperets sans les appuyer sur des faits ou enquêtes (elles sont très loin d’être ainsi unanimes et beaucoup démontrent même le contraire).
D’autres éléments employés par la Ministre pour se consoler sont également désolants, comme le fait qu’elle invoque la diversité des situations dans les établissements culturels (certes, mais alors pourquoi toujours niveler des décisions globales par le moins-disant) et soutenant que le milieu culturel est “très divisé” (si les Directeurs d’Opéras que nous avons interrogés étaient partagés, ils n’étaient toutefois pas divisés sur leurs besoins, les nuances de leurs réponses s’expliquant souvent aussi à l’aune des soutiens financiers d’urgence apportés ou espérés du Ministère). Roselyne Bachelot conclut même sur ce point, bien loin de la réalité : “Les annonces du Premier Ministre ont clarifié la situation, donné davantage de visibilité” (sic).
Grands Chantiers
La Ministre de la Culture a également tenu à rappeler ses grands chantiers et à faire un certain nombre d’annonces. Une attention extrême est portée sur les travaux de Notre-Dame de Paris et la situation du Mont Saint-Michel, vecteur de tourisme et de croissance comme c’est le cas pour les institutions culturelles. Cet argument d’attractivité avait notamment été utile pour justifier les importantes sommes allouées à l’Opéra de Paris. Les deux missions en cours concernent d’ailleurs le monde lyrique, l’une exclusivement pour la situation de l’Opéra de Paris (ses conclusions sont attendues dans les prochaines semaines) et l’autre sur l’art lyrique en France (rendue en juin).
La Ministre a également confirmé la poursuite des Etats Généraux de la Culture (l’occasion de rappeler l’incertitude qui pèse sur les prochains grands événements). La deuxième partie des ces Etats généraux devraient se tenir lors du prochain Printemps de Bourges, pour “passer du diagnostic aux solutions”.
Du macro au micro, la culture doit aussi avancer désormais sur un Comité stratégique (comme les filières innovantes de l'Intelligence Artificielle, l'Hydrogène ou le Quantique) et favoriser ses conditions d’accès. Le Pass culture (système de bon d’achat offert à tous les jeunes à leur majorité), dont le sort était plus qu’incertain, vient ainsi d’être entériné : il est sauvé, au moins en partie. La mesure phare promise par Emmanuel Macron pour la culture lors de sa campagne électorale doit être généralisée sur tout le territoire ces prochains mois, mais la Ministre explique que son montant (qui était prévu à 500 €) sera “réajusté au regard des comportements constatés dans le cadre de l'expérimentation”. Il sera donc baissé et sa mise en place risque d’être retardée, car “évidemment, ouvrir le Pass culture quand l'offre culturelle est à l’arrêt n’aurait pas grand sens.” Tous ces lieux culturels qui bâtissent en ce moment un modèle économique avec des propositions payantes en ligne seront assurément en désaccord avec une telle assertion, qui ne soutient donc pas le lien entre Pass culture et numérique (alors que c’est une passerelle indispensable pour initier les jeunes générations à l’art). Toutefois, le Pass culture sera également décliné avec un dispositif complémentaire pour les moins de 18 ans dans le cadre scolaire, là encore un sujet qui devait être encouragé d’une manière bien plus soutenue et continue (même si la Ministre cite le Plan 100% Education Artistique et Culturelle).
La Ministre de la Culture s’appuie ainsi sur ces annonces pour expliquer avoir entendu “le désarroi des professionnels et des citoyens” et affirme que le soutien inédit de l’Etat est à la mesure de la dimension inédite de cette crise.
Enfin, Roselyne Bachelot reprend une fois encore son élément de langage vers une sortie de crise (répété désormais à chacune de ses communications officielles), expliquant poursuivre les concertations afin de "travailler ensemble à l'élaboration d'un modèle de réouverture progressive selon des modalités plus adaptables" pour ne pas être face "à un choix binaire" fermer/ouvrir, selon l'évolution de la situation. Mais pour cela, il faudra encore attendre les conséquences des fêtes de fin d’année, des réouvertures de commerces non-essentiels et autres : tout ce sur quoi la Culture n’a aucune prise mais dont elle paye les conséquences. La Ministre expliquant même que le Réveillon du Nouvel An est un moment “toxique” pour les contaminations (remuant le couteau dans le plaie des théâtres qui vont être victimes de cette toxicité, eux qui sont remplis de gel, de masques et de sièges condamnés prêts à servir avec mesure et distanciation). La Ministre explique également que le Gouvernement a “beaucoup de mal à poser les causalités exactes" des “échappements de la crise sanitaire”, alors pourtant que ce même Gouvernement a jugé les théâtres comme des causalités tellement graves qu’ils devaient rester fermés.
Une situation qu’il aurait été bon d’anticiper, a fortiori si le Gouvernement en est encore à chercher les questions qui se posent après que les lieux de Culture leur ont donné un grand nombre de réponses (des protocoles sanitaires aux études scientifiques). En attendant, la Ministre se refuse toujours à donner une date ou un calendrier de réouverture. Elle reviendra toutefois devant la Commission des affaires culturelles, un petit théâtre de la vie politique qui ne ferme pas ses portes.