L'Opéra de Paris aurait pu être en cessation de paiement en 2021
Lorsque l'Opéra de Paris a réuni une conférence de presse en ligne, son unique but n'était pas d'annoncer le lancement d'une nouvelle plateforme numérique et l'enregistrement du Ring de Wagner (dont nous rendons d'ores et déjà compte), mais aussi de faire un point sur la situation financière de l'institution, malmenée par une année noire, faite de grèves et de crise sanitaire au cours de laquelle elle n'aura pas pu avoir recours au chômage partiel. Elle a déjà dû annuler 145 représentations cette année, engendrant un déficit de 49 Millions d'euros en 2020 (dont 5 M€ de baisse du mécénat et 4 M€ liés aux grèves) auxquels s'ajoutent les 15 M€ de déficit générés par les grèves en 2019. Au point d'affirmer aujourd'hui que sans le plan de relance, la maison aurait été en cessation de paiement en 2021.
Ce plan a fait couler beaucoup d'encre et grincer les dents de certains acteurs du secteur. Il faut dire que le montant est massif : 81 M€, dont 20 M€ viennent boucler le financement de la salle modulable. Concernant cette dernière, Alexander Neef, Directeur de l'Opéra de Paris, et son adjoint Martin Ajdari, plaident pour le maintien du projet, qui pourrait toutefois encore être remis en question par le Ministère suite au rapport Hirsch/Tardieu. Les 61 M€ restants sont scindés en trois : 41 M€ pour éponger une partie du déficit 2020, 15 M€ pour faire face aux difficultés de 2021 (l'Opéra anticipe un déficit supérieur à 20 M€, lié notamment à une poursuite des réductions de jauges et à un retour progressif du public, notamment international, et des mécènes dont les avantages fiscaux baissent à partir de 2020), et 5 M€ pour 2022 (un déficit supérieur à 10 M€ est d'ores-et-déjà budgété sur cet exercice). Autrement dit, aussi colossal que la subvention puisse paraître, elle ne couvrira qu'en partie les déficits liés à la crise sanitaire (sans compter les pertes liées aux grèves). Martin Ajdari rappelle d'ailleurs que la subvention reçue représente un quart des aides attribuées au secteur lyrique, quand l'Opéra de Paris vend 900.000 billets, soit près de la moitié des ventes françaises en volume.
L'Opéra souligne par ailleurs les efforts considérables consentis depuis dix ans pour compenser la baisse d'un quart de ses subventions (-16 M€, soit -13% par rapport aux 112 M€ perçus en 2010, auxquels il convient d'ajouter l'effet de l'inflation : si le montant initial avait suivi l'inflation, il représenterait aujourd'hui 126 M€, la baisse de subvention en termes réels est donc bien de -23%) et l'augmentation de ses coûts (+1,5% par an, soit peu ou prou l'inflation pour une activité où les gains de productivité possibles sont très limités). Les recettes de billetterie ont été augmentées de +46% (soient +24 M€, à la fois par une augmentation du nombre de levés de rideau, du prix moyen et de l'évolution des contingents par catégorie), le mécénat de +141% (+11 M€) et les recettes commerciales (visites de Garnier, boutiques, restauration, locations, etc.) de +165% (+11 M€).
L'avenir restera éprouvé. Si Alexander Neef précise qu'il compte maintenir l'ensemble des effectifs de la Grande boutique, le modèle global de la maison devra être revu. Côté recettes, et comme le signalait Stéphane Lissner devant le Sénat cet été (mais aussi Alexander Neef dans notre interview), les prix des billets ont atteint un niveau qu'il sera difficile d'augmenter. "La crise va nous obliger à augmenter les contingents de places accessibles", précise même Martin Ajdari. Le modèle économique de la nouvelle plateforme numérique, qui proposera des captations en streaming payant, est plus pensé pour atteindre de nouveaux publics que pour apporter de nouvelles ressources à l'Opéra ("les recettes provenant des accès payants à nos captations auront vocation à couvrir les minimums garantis ou avances versés aux ayants droit, voire (nous l’espérons) de dégager une petite marge complémentaire qui bénéficiera à l’Opéra", expliquait Martin Ajdari). La solution ne pouvant à court terme venir du mécénat, le principal levier pourrait être les recettes commerciales (la salle modulable, si elle devait être construite, pourrait notamment apporter à terme de nouveaux revenus).
Au-delà des recettes, c'est donc sur les coûts que l'Opéra va devoir travailler. La transformation du modèle artistique de la maison en théâtre de répertoire que nous révélions il y a quelques semaines, peut permettre de mieux amortir les coûts de création. Ôlyrix sera là pour analyser ces évolutions.