La patte d’Aviel Cahn à Genève, « une écriture très moderniste des programmations »
Aviel Cahn, vous avez choisi « Réalité augmentée » comme thème pour votre saison 2020/2021 : qu’avez-vous voulu exprimer par ce choix ?
C’est une thématique actuelle, que nous avions choisie avant le Covid-19, mais qui l’est devenue d’autant plus que ces derniers mois, tout est devenu virtuel. Nous ne l’entendons toutefois pas dans le sens purement technique du terme, mais nous l’élargissons à tout ce qui nous interroge, à ce qui dépasse les habitudes de l’opéra comme forme d’art, ou encore aux œuvres traitant de science-fiction : il n’y aura pas de vérisme cette saison ! Parfois, c’est le choix du metteur en scène qui crée le lien avec le thème : c’est le cas de La Clémence de Titus par Milo Rau. Nous sommes là dans une réalité augmentée pour la forme d’art lyrique car Milo Rau n’a jamais travaillé pour l’opéra. Sa manière de faire du théâtre, de se manifester, est de la réalité augmentée.
Malheureusement, la crise sanitaire nous a obligés à faire des changements de programmation : toutes les productions ne répondent du coup plus à ce thème. Nous devions démarrer avec une mise en scène extrêmement technologique de Turandot, avec beaucoup de réalité augmentée par les moyens : il devait y avoir des artistes visuels, 50 lasers sur scène et d’énormes installations vidéo. A la place, nous présentons une production plus classique de La Cenerentola par Laurent Pelly, qui devait être jouée en fin de saison passée. De même, nous devions faire une nouvelle production de Candide, mais cela ne sera pas possible en raison de la pandémie : nous reprendrons la version de Barrie Kosky déjà montée à Berlin. En revanche, nous espérons encore pouvoir jouer L'Affaire Makropoulos, qui entre pleinement dans le thème, avec cette idée de vie éternelle qui relève de la science fiction. Nous traiterons également un sujet métaphysique avec Pelléas et Mélisande, surréaliste avec Candide, puis de l’idée de rédemption avec Parsifal.
Comment décririez-vous la patte Aviel Cahn ?
C’est d’abord une écriture très moderniste des programmations, avec un œil vers le futur. Peut-être pas tellement par le choix des œuvres cette saison, même si ce sera par exemple la première fois que L'Affaire Makropoulos sera jouée à Genève. J'invite surtout des créateurs qui ne sont pas des habitués de l’opéra, comme c’est le cas de Milo Rau ou du collectif de danse Peeping Tom qui mettront en scène pour la première fois à l’opéra. De même, Michael Thalheimer est un grand homme de théâtre allemand, souvent venu au Théâtre de La Colline, qui mettra en scène son premier Wagner avec Parsifal. Même si ce n’était pas prévu ainsi au départ, c’est la première fois que Barrie Kosky viendra diriger une production à Genève. Les choix de distribution suivent la même logique avec de nombreuses prises de rôles : j’aime engager des chanteurs-acteurs, qui se jettent théâtralement dans les productions. C’est enfin important pour moi de faire appel à des chefs spécialisés dans les répertoires que je les invite à diriger.
Vous lancez la saison lyrique avec La Cenerentola mise en scène par Laurent Pelly : comment décririez-vous cette production créée la saison dernière à Amsterdam ?
C’est une coproduction que nous étions prêts à jouer lorsque nous avons dû tout annuler. Il s'agit d'une œuvre Covid-compatible, puisqu’il y a un petit orchestre et un petit effectif sur scène, une production familiale, pour tout public. Elle est très proche de l’œuvre et visuellement impressionnante, avec de très beaux effets. S’agissant de la première production post-Covid, c’est une proposition qui devrait rendre tout le monde de bonne humeur, ce qui est nécessaire actuellement.
Le chef Antonino Fogliani est un grand spécialiste du répertoire italien : comment décririez-vous son style ?
C’est l’un des vrais chefs spécialistes du bel canto : il y en a très peu aujourd’hui. Il est inventif, cherche toujours des nuances, des couleurs, des rubati. Il ne joue pas la musique de manière superficielle. Avec lui, il n’y a jamais de routine : il y a toujours la volonté d’une créativité, d’une expressivité et d’une énergie exacerbées. Il ne joue pas le bel canto comme du Vivaldi, comme le font certains chefs : c’est ainsi que l’on doit rendre justice à Rossini.
Comment décririez-vous Anna Goryachova, qui interprète le rôle-titre et chantera Sesto dans La Clémence de Titus ?
D’abord, c’est une actrice et une chanteuse qui est très expressive sur scène. Elle capte l’attention dès qu’elle entre en scène grâce à une forte présence. Elle est aventureuse et a une voix vraiment rossinienne. J’ai été l’un des premiers à l’engager en 2011 à l’Opéra de Flandre, dans Le Voyage à Reims dirigé par Alberto Zedda, qui l’a de suite engagée à Pesaro. C’est l’une des vraies mezzo-sopranos rossiniennes actuelles.
Le second opus présenté, en octobre, sera L'Affaire Makropoulos de Janacek. C’est une production que vous aviez présentée en Flandre. Que pouvez-vous en dire ?
C’est une production qui prend vraiment le parti de la science-fiction. Emilia Marty y est une sorte d’alien, sans que les gens autour d’elle ne le réalisent. Cela crée une atmosphère dans la veine des films de David Lynch ou de Shining de Stanley Kubrick. Le metteur en scène Kornél Mundruczó devait déjà venir à Genève l’an passé pour la création mondiale de Voyage vers l’espoir de Christian Jost. Du fait du Covid, cette reprise de L'Affaire Makropoulos déjà donné à l’Opéra de Flandre restera donc comme sa première production à Genève. C’est une production extrêmement réussie, qui a été acclamée et appréciée lors de sa création. Nous aurons d’ailleurs une distribution très similaire dans les rôles principaux.
C’était en effet déjà Tomáš Netopil qui tenait la baguette à l’époque : qu’apporte-t-il à cet ouvrage ?
C’est l’un de mes chefs tchèques préférés. Nous avons beaucoup collaboré ensemble à l’Opéra de Flandre, dès le tout début de sa carrière. Depuis, il a fait sa place dans toutes les grandes maisons d’opéra et est devenu Premier chef associé à la Philharmonie Tchèque. C’est l’un des chefs importants de son pays et pour ce répertoire. Il reviendra à Genève dans les années à venir. Je suis très content d’avoir un spécialiste du répertoire tchèque pour diriger Janáček. Pour certains répertoires, c’est un vrai apport.
Quels aspects vous intéressent particulièrement dans cet ouvrage ?
C’est le seul Janáček que j’aie monté à l’Opéra de Flandre car il n’avait pas été fait lors du cycle entrepris avant mon arrivée avec Robert Carsen. Cette fois, nous utilisons cette production pour initier un cycle Janáček à Genève : l’œuvre se prête particulièrement au thème de l’année.
Rachel Harnisch, qui incarne le rôle principal, est une artiste suisse : est-ce important pour vous d’inviter des artistes locaux ?
J’aime que les artistes d’envergure suisse viennent se produire chez nous : Bernard Richter viendra d’ailleurs aussi cette saison chanter Titus. Mais au-delà de cet aspect, Rachel Harnisch est une artiste exceptionnelle, qui a une grande présence scénique, capte l’attention et chante avec une grande musicalité. Par ailleurs, je préfère qu’Emilia Marty soit chantée par une voix lyrique plutôt que par une voix plus lourde, plus dramatique comme celle d’Evelyn Herlitzius qui a été distribuée dans ce rôle à Berlin. On risque sinon de perdre la fragilité du personnage, qui, dans cette production en particulier, est très importante.
Vous inviterez ensuite la production de Candide par Barrie Kosky : comment traite-t-il cette œuvre souvent donnée en version concert tant elle est difficile à scénographier ?
Ce sera très animé, avec plein de danseurs, plein de changements de costumes et toute la fraicheur et l’humour qu’il apporte à ses productions. Nous y trouverons un style un peu Brechtien dans son approche. Ce sera très approprié pour la fin d’année et le temps de Noël. Candide est un ouvrage difficile, mais il a trouvé une clé aussi simple que vivace.
Comment avez-vous choisi le couple central, Claire de Sévigné et Paul Appleby ?
Je cherchais des chanteurs dont l’anglais est la langue maternelle : Claire de Sévigné est canadienne et Paul Appleby est américain. Ce sont deux artistes que j’apprécie. Par ailleurs, Claire a fait partie de la jeune troupe du Grand Théâtre de Genève la saison passée. C’est bien de participer de suite à son parcours professionnel. Cunégonde devrait être un rôle idéal pour elle : elle avait d’ailleurs été une Blonde fantastique dans L'Enlèvement au Sérail et devait interpréter l’Ange dans Saint-François d'Assise, qui a dû être annulé et sera finalement joué dans quelques années.
Qu’apportera Titus Engel à l’ouvrage ?
C’est un chef qui est très à l’aise dans la musique contemporaine mais qui a aussi un goût prononcé pour le jazz et pour différents styles de musique. Cette ouverture est importante pour Candide car Bernstein s’est inspiré du jazz, de la pop, de Mahler, du chant Grégorien : il y a une vaste palette. Cet ouvrage a également besoin d’un chef ayant un sens théâtral développé, ce qui est le cas de Titus Engel.
Autre production amenée de Flandre dans votre valise, le Pelléas et Mélisande par Damien Jalet et Sidi Larbi Cherkaoui : quel souvenir gardez-vous de cette production ?
Ça a été une production emblématique à l’Opéra de Flandre, dont Genève était coproducteur dès le départ car j’avais déjà été nommé ici. Cela me semblait une production parfaite pour mes premières années à Genève, d’abord parce que le répertoire français est important ici, mais aussi parce que je voulais renforcer le lien entre le ballet et l’opéra : un Pelléas avec deux chorégraphes à la mise en scène me semblait très juste. Cela m’intéressait de faire venir à Genève, ville qui dispose de nombreuses collections d’art contemporain, une artiste comme Marina Abramović [la scénographe de la production, ndlr] : cela sera l’occasion de créer des liens avec une exposition qui sera présentée au même moment.
Vous indiquiez apprécier l’idée de confier un opus tchèque à un chef Tchèque, mais il n’y a aucun français distribué pour ce Pelléas : comment avez-vous du coup construit votre choix d’interprétation ?
Jonathan Nott est le chef principal de l’Orchestre de la Suisse Romande qu’il dirigera pour l’occasion, donc il est à ce titre dans la ligne directe d’Ernest Ansermet [le fondateur de l’Orchestre, ndlr] : il est donc absolument pertinent qu’il dirige ce type d’œuvre. Par ailleurs, il a un faible particulier pour ce répertoire, qu’il a dirigé au cours de ses années à Paris à la tête de l’Ensemble intercontemporain. Il connaît parfaitement les tonalités debussiennes. Cela a donc été un choix assez évident pour moi.
En ce qui concerne les chanteurs, nous avons repris la distribution de l’époque car cette production exige des costumes très particuliers ainsi qu’un grand travail chorégraphique : dès le départ, nous avions d’ailleurs cherché des artistes pouvant se prêter à cet exercice. Nous n’avions pas la possibilité de mobiliser les maîtres d’œuvre suffisamment de temps pour un travail de recréation, et il y avait de toute façon aussi un vrai désir de retravailler avec la même équipe. Jacques Imbrailo est un Pelléas de référence : il l’a déjà chanté dans de nombreux théâtres prestigieux [voir sa lyricographie, ndlr]. La personnalité de Mari Eriksmoen correspondait au personnage que l’équipe de production avait en tête. Bien sûr, un travail particulier sera fait sur la prononciation car le public est encore plus exigent sur ce point à Genève qu’à Anvers.
Vous proposerez ensuite une nouvelle production de La Clémence de Titus, mise en scène par Milo Rau : comment décririez-vous cette production ?
Milo Rau est l’un des créateurs de théâtre les plus importants, les plus discutés, du moment dans le monde entier. Il marque les scènes de théâtre et de festival actuels. Son dernier film, The New Gospel, a été présenté à la Mostra de Venise. Ce sera très intéressant de le voir débuter à l’opéra. Il a un discours très politique et sociétal : il sera passionnant d’avoir sa lecture des thématiques de la responsabilité d’état, de la générosité des politiciens, qui sont traités dans La Clémence de Titus.
Comment imaginez-vous l’interprétation de Titus par Bernard Richter ?
C’est un chanteur et un homme très noble : son Titus le sera aussi, mais cette noblesse sera interrogée par Milo Rau qui explorera l’ambivalence du personnage.
Vous présenterez en février la création de Jérémie Rhorer Le Soldat de plomb. Le public connait Rhorer comme chef, mais pas encore comme compositeur : comment décririez-vous sa musique ?
C’est une production pour jeune public : l’objectif de Jérémie Rhorer n’est pas de réinventer la musique contemporaine. Ce devrait être une écriture très facile d’accès pour les enfants, mais avec l’ambition d’un artiste d’envergure, car c’est la première fois qu’il a une chance de s’exprimer comme compositeur sur une scène comme celle du Grand Théâtre. Nous sommes curieux de découvrir ce joli projet en création mondiale. Ce sera l’occasion de collaborer avec la Haute école de musique de Genève.
Parsifal, donné fin mars, sera mis en scène par Michael Thalheimer, qui a dirigé plusieurs productions verdiennes pour vous en Flandre. Quel type de metteur en scène est-il ?
Son style est très épuré, très esthétique. Il travaillera avec les chanteurs pour mettre en place un théâtre très expressif mais très humain. Il y aura très peu d’accessoires, donc c’est vraiment la relation entre les chanteurs, entre les personnages, qui portera la mise en scène. J’ai collaboré avec lui sur des Verdi, qui sont d’ailleurs toujours au répertoire du Deutsche Oper am Rhein, mais je suis très curieux de le voir mettre en scène son premier Wagner.
Comment avez-vous conçu le plateau vocal ?
Ce sont tous des voix wagnériennes et des comédiens très expressifs. Je connais très bien Michael Thalheimer donc je n’ai même pas eu besoin de lui poser de question : je savais très bien quels chanteurs lui proposer. Même si Tanja Ariane Baumgartner, qui incarnera Kundry, est allemande et habite aujourd’hui à Vienne, sa carrière a été très influencée par la Suisse car elle a été très associée aux théâtres de Lucerne et de Bâle. Elle est régulièrement invitée à Bayreuth et commence à chanter les grands rôles wagnériens. Le ténor Daniel Brenna, qui chantera le rôle-titre, est lui aussi distribué dans Wagner partout dans le monde. En revanche, contrairement à ce que son nom laisse penser, Josef Wagner, qui sera Amfortas, a peu chanté Wagner, mais il a beaucoup chanté Strauss et sa voix prend la direction du répertoire wagnérien. Enfin, Mika Kares effectuera sa prise du rôle de Gurnemanz.
En mai, vous proposerez Didon et Énée de Purcell. Est-ce important pour vous de jouer le répertoire baroque ?
Oui, il y a du baroque presque chaque saison à Genève. On a aussi la possibilité d’inviter des orchestres baroques donc il faut en profiter. Ce sera donc les débuts au Grand Théâtre d’Emmanuelle Haïm et du Concert d'Astrée, ce qui est remarquable ! Elle a fait un enregistrement de référence de cette œuvre mais l’a peu dirigée depuis. Bien sûr, ce n’est pas la première fois que des chorégraphes travaillent Didon et Énée, mais avec le collectif Peeping Tom, ce sera une aventure spéciale. Ils amènent leurs danseurs qui sont des performers très particuliers : il va y avoir plein de surprises.
Quel sera le concept de cette mise en scène ?
Comme Didon et Énée ne dure que 50 minutes de musique, ils vont ajouter de la musique [avec des créations d’intermèdes musicaux par Atsushi Sakaï, ndlr] et du théâtre pour proposer un spectacle d’une heure trente.
Pouvez-vous nous présenter le plateau vocal ?
C’est un plateau de spécialistes de musique baroque, que j’ai composé avec Emmanuelle Haïm. Nous avons notamment eu de grandes discussions concernant le rôle d’Énée : fallait-il choisir un ténor ou un baryton ? Nous avons opté pour le jeune baryton Jarrett Ott, un personnage intéressant qui a débuté à Stuttgart et a aujourd’hui une carrière importante. Ensuite, Marie-Claude Chappuis, une autre suissesse, chantera Didon et la Sorcière. Nous aurons également Emőke Baráth, qui chante beaucoup de baroque, en Belinda, et Marie Lys, qui fait partie de notre jeune troupe, en Deuxième femme.
Enfin, vous présenterez en juin La Traviata. Considérez-vous comme nécessaire de jouer les opus les plus populaires ?
Oui, j’essaie toujours de construire des saisons équilibrées. En termes de choix d’œuvre, cette saison est assez classique puisque nous jouons aussi La Cenerentola et La Clémence de Titus. La saison dernière, nous avions Saint-François d’Assise, Einstein on the Beach, Les Huguenots, la création de Voyage vers l’espoir ou même Les Indes galantes : il y avait beaucoup d’ouvrages particuliers. Cette saison, la modernité est plus dans le choix des maîtres d’œuvre. C’est le cas pour cette Traviata : Karin Henkel se fait plus que rare à l’opéra puisque ce n’est que sa deuxième mise en scène. Lui confier cette production relevait vraiment de la volonté de donner cette œuvre à une femme et à une créatrice de théâtre. Je suis très curieux de découvrir le résultat de cette Traviata.
Vous avez convoqué deux distributions pour cette occasion. Pourquoi ?
Nous voulions proposer beaucoup de dates dans une période assez brève car les disponibilités de la salle et de l’orchestre étaient limitées (il y aura notamment des travaux sur la machinerie durant l’été). Généralement, ce n’est pas une organisation que nous recherchons car cela rend les répétitions beaucoup plus complexes.
Paolo Carignani est un grand chef verdien. Qu’apportera-t-il ?
C’est encore un choix de spécialiste. Il a beaucoup d’expérience dans les collaborations avec des metteurs en scènes très créatifs et parle allemand, ce qui est un atout car Karin Henkel ne travaille habituellement que dans cette langue : cela facilitera leurs échanges.
Quels sont les autres spectacles que vous souhaiteriez particulièrement mettre en avant ?
Je trouve très drôle et intéressant de jouer le Paulus de Mendelssohn, qui est une œuvre religieuse pouvant être rapprochée de Parsifal, d’un compositeur qui fut très attaqué par Wagner. Nous jouerons cela à la Cathédrale Saint-Pierre qui fut celle de Calvin pour une œuvre très imprégnée du protestantisme : ce sera un événement très spécial aussi. Nous avons également ajouté une Petite Messe Solennelle qui n’était pas prévue en novembre, car notre chœur avait très peu de travail sur la première partie de saison du fait de l’annulation de Turandot. Nous y mettrons en avant notre jeune ensemble. Le travail du chœur sera aussi mis en avant lors de concerts donnés à l’heure du déjeuner, avec un repas servi avant dans notre bistro. Il est difficile de faire jouer de grands effectifs : il faut trouver d’autres façons de les mettre en valeur.
Vous continuez à mettre en avant votre jeune troupe : est-ce un point de votre projet qui vous tient à cœur ?
La jeune troupe a pour but de lancer des carrières, de donner à de jeunes chanteurs la possibilité de travailler aux côtés d’artistes de tout premier plan, sur une grande scène. Elle existait avant mon arrivée à Genève, et j’en avais une également à l’Opéra de Flandre.
En France, le débat a émergé durant la crise sur l’opportunité de remettre en place des troupes dans les opéras. Qu’en pensez-vous ?
Je doute qu’il soit utile d’avoir une troupe dans un théâtre de stagione. C’est adapté au fonctionnement des théâtres de répertoire qui reprennent les mêmes productions chaque année, voire à plusieurs reprises au cours de la saison, ce qui nécessite d’avoir des temps de répétition réduits.
Quelles sont vos initiatives de médiation à destination du jeune public ?
Nous aurons en novembre une production d’Aventures et Nouvelles aventures de Ligeti dans une salle en dehors du centre de la ville. Nous poursuivrons notre initiative baptisée « La Plage », qui est le volet de programmation détendue, qui joue sur la convivialité, avec des fêtes, des apéropéra, des brunch, des afterworks. C’est très important pour animer le lieu, mais encore faut-il que nous soyons en mesure de retrouver cette convivialité dans le contexte sanitaire actuel. Nous avons malheureusement dû annuler en juin la projection d’Aida sous les étoiles, qui devait être diffusé dans un parc. Nous avons essayé de le reprogrammer en juillet, puis en septembre, mais ce n’est toujours pas possible. Ces projets sont très importants pour porter l’opéra dans la ville et auprès de nouveaux publics, mais ils sont devenus très difficiles.
Quelles sont les perspectives laissées par la crise sanitaire pour cette saison très particulière ?
Durant la crise, nous avons pu limiter le déficit car nous avons pu avoir recours au chômage partiel. Nous avons également pu compter sur le soutien de nos mécènes et du public qui, pour une part, a renoncé à être remboursé. Ainsi, même si nous avons perdu beaucoup de revenus de billetterie, nous avons pu faire des économies en face. Le problème se pose donc de manière plus prononcée pour cette saison car nous jouons les spectacles et assumons tous les coûts, mais avec beaucoup moins de revenus du fait de la distanciation en salle. Certes, les récentes déclarations de la Confédération laissent espérer que nous pourrons remplir la salle plus largement à partir d’octobre, mais d’autres questions resteront toutefois posées : si, pour L'Affaire Makropoulos, qui est une œuvre relativement courte, nous pouvons demander au public de rester 1h45 avec le masque tout le temps, c’est plus désagréable quand le spectacle dure 3h de musique, comme c’est le cas de La Cenerentola. Nous avons donc décidé de maintenir la distanciation pour les spectacles longs, quand bien même nous aurions droit d’ouvrir à jauge pleine, afin de permettre au public de se démasquer. Nous allons discuter avec la ville et nos sponsors pour voir comment ils peuvent nous aider à trouver des solutions financières. Il faut être prêt à réagir à toutes les évolutions, mais même si nous devions rester à mi-jauge toute la saison, nous maintiendrions l’ensemble des spectacles.
Que disent ces premières saisons de la suite de votre programmation ?
D’abord, des productions très importantes de ma première saison, qui devaient souligner ma signature artistique, n’ont pas pu avoir lieu. Ces annulations ont rompu l’équilibre que nous avions prévu : il y avait des propositions exigeantes, et d’autres plus rassurantes. Ainsi, L’Enlèvement au Sérail, qui a pu choquer une partie du public, devait être équilibré par une production beaucoup plus classique de La Cenerentola. De même, ces annulations n’ont pas permis de rendre compte de la modernité des choix de répertoire : en effet, ni Saint-François d’Assise ni la création mondiale de Voyage vers l’espoir n’ont pu être représentés. L’écriture de mes saisons est très pensée, y compris dans l’enchaînement des opus : il n’y a aucun hasard. Il y avait la volonté d’avoir un Kosky après le Mundruczó, ou la Didon et Énée qui dure 1h30 après le Parsifal et ses 5h.
Le lien fort que vous gardez avec l’Opéra de Flandre perdurera-t-il ?
Le lien restera mais l’idée n’est pas du tout de repêcher des productions du passé. Par exemple, notre Clémence de Titus présentée cette saison à Genève se rendra ensuite en Flandre. Par ailleurs, certaines collaborations, par exemple avec Sidi Larbi Cherkaoui, ont été initiées lors de mon précédent mandat et se poursuivront ici.