Karine Deshayes et Les Paladins à Fénétrange : “Exultate Jubilate”
Pour sa 42ème édition, dans la délicate Collégiale Saint-Rémi du village mosellan, Les Paladins offrent pléthore de pièces composées à l’adolescence par le génie salzbourgeois, agrémentées des explications et anecdotes du chef Jérôme Correas.
Il apprend ainsi au public -par exemple- que les six délicieuses petites Sonates d’Église, enjouées ou recueillies, doivent leur brièveté à l’impatience de l’évêque de Salzbourg, Colloredo (Jérôme Joseph François de Paule, comte de Colloredo-Wallsee et Mels), qui ne voulait pas que ses messes s’étiolent passés trois quarts d’heure, ou que, excédé par les nombreux retards du fantasque Mozart, il lui aurait signifié son renvoi par un coup de pied aux fesses, coup de pied salvateur puisque le jeune compositeur se remit dès lors à voyager, développant encore d’autant son talent et sa carrière. Autre anecdote que Les Paladins ont découverte le jour du concert, Mozart fit une même halte à Fénétrange !
Dès l’exécution de la Symphonie n°17 en sol majeur, le chef propose une attaque vivifiante, tonique sur l’allegro, un andante noble et un allegro final pétillant, sur lequel il semble esquisser des pas de danse. La direction prend d’emblée une couleur joyeuse, et le chef vogue, d’un pied à l’autre, transmettant sa vigueur et sa précision en pointant même du doigt certains instrumentistes. S’essayant à une exécution rapide sur les Sonates d’Église, suivant les exigences de Colloredo, les petites pièces trouvent immédiatement l’expression de leur vélocité intrinsèque. La virtuosité des instrumentistes illustre le commentaire en préambule de Jérôme Correas : ces petites pièces sont « délicieuses comme des petits fours, relevées, épicées » et se savourent effectivement sans fin, en toute logique dans un festival qui allie musique et mets de choix.
La Litaniae de Venerabilis Altaris Sacramento, seconde des quatre Litanies que Mozart composa pour les offices du soir en 1772, voit l’arrivée sur scène de Karine Deshayes. Dans une robe rouge élégante et vaporeuse, la mezzo soprano attaque le début d’une longue liste de trésors de technicité et d’émotion. La voix est immédiatement en place. Le timbre, chaleureux, descend avec agilité dans des graves duveteux. Les mediums, tendus sur un filin, semblent suspendus dans le temps. Les aigus, vibrés, débutent par une émission très fine, avant une prodigieuse amplification. À la Grande Messe en Ut, la magie opère, encore et toujours. Les vocalises sont d’autant plus impressionnantes qu’elles sont exécutées sans ouvrir exagérément la bouche, paraissant presque s’achever a bocca chiusa. La diction ne souffre aucun écueil, « r » roulés finaux sur une vocalise, et montagne russe d’aigus et de graves.
Le célèbre Exultate Jubilate est une première pour Karine Deshayes, non qu’elle ne l’ait jamais travaillé auparavant, mais elle ne l’a tout simplement jamais chanté en récital. C’est chose faite à Fénétrange, dans une diction toujours ciselée, le détachement de chaque syllabe renforcé par la nature du récitatif Fulget amica dies (Le jour ami resplendit). La portée fend l’air de la collégiale, les graves poitrinés cèdent la place à des aigus adamantins. L’allegro Alleluia, alleluia faisant la part belle aux vocalises, le tour de force impressionne par son économie de moyens, Karine Deshayes semblant encore une fois à peine ouvrir la bouche, le son s’amplifiant dans un éclat final.
Passés les applaudissements nourris et une fois reçus leurs beaux bouquets enveloppés dans un papier orné de partitions, la mezzo soprano et Jérôme Correas offrent en rappel l’Agnus Dei de la Messe du Couronnement, dont Mozart réutilisera la mélodie pour l’air Dove sono de la Comtesse Almaviva, preuve que liturgique et légèreté savent se marier. Les mediums renforcés par la clarté lumineuse des cors mènent une fois encore au dernier Alleluia triomphal et longuement ovationné.