Broadway fermé jusqu’en 2021 : silence sur la 53ème rue
Opéra et comédie musicale ont prouvé leur parenté et points communs en tant que genres musicaux et artistiques. Dans le contexte de la crise sanitaire, c’est dans leur mode de gestion et problématiques qu’ils se retrouvent sur un triste pied d’égalité.
Le 12 mars 2020, le Metropolitan Opera House de New York et les Théâtres de Broadway fermaient brutalement leurs portes en raison de la pandémie. En dépit de la stabilisation de la propagation du virus à New York, Peter Gelb, Directeur du MET annonçait début juin la fermeture de la maison jusqu’au 31 décembre 2020. Ce 29 juin 2020, c’était au tour de Charlotte St Martin, Présidente de la Broadway League -association professionnelle nationale de l’industrie du théâtre- de faire une déclaration similaire sans même évoquer de date de réouverture des théâtres. De nombreuses productions ne seront tout simplement pas reprogrammées courant 2021, à l’instar de Frozen, Hangmen et Who’s Afraid of Virginia Woolf? D’autres sont reportées à une date indéfinie. Seule certitude, les établissements de la 53rd Street ne rouvriront pas leurs portes avant 2021 et auront jusqu’au 3 janvier pour rembourser leurs publics.
Cette chute de rideau prolongée se justifie entre autres par la mise en place d’opérations de maintenance et le développement d’un protocole sanitaire visant à l’accueil des publics dans des conditions optimales. Concernant les mesures de distanciation sociale, la Broadway League défend une posture similaire à celle de Peter Gelb, décrivant l’impossibilité de donner des représentations à jauges réduites en ce qu’elles ne seraient pas suffisamment sécurisées. Cet argument résonne d’autant plus intensément qu’Adam Krauthamer, Président du syndicat des musiciens de Broadway Local 802 déplore la perte de plusieurs adhérents et collègues des suites de la pandémie de Covid-19.
Un autre argument de taille est évidemment celui de l’économie. Au début de l’épidémie, Charlotte St Martin avertissait déjà dans une interview pour le webzine Deadline : « Le modèle économique de Broadway est tel que la distanciation sociale est impossible. Même avec des salles remplies à 50%, un spectacle ne pourrait pas payer ses factures ». Les places pour les représentations à Broadway sont pourtant légendaires parce qu'elles ont la réputation d'être inabordables (le prix du ticket moyen est passé ces dix dernières années de 80 $ à 125 $ la place pour les spectacles musicaux tandis que les événements de gala et spéciaux reviennent à 300 $, des sommes qui peuvent être beaucoup plus importantes en premières catégories, et il demeure pourtant très difficile d'obtenir ces billets tant la demande est forte).
Dans ce contexte, la question du soutien aux artistes affectés par cette fermeture à durée indéterminée se pose, de la même manière que dans le monde de l’Opéra où Peter Gelb a décidé de renoncer à son salaire et où même les personnels font des appels aux dons.
Les théâtres de Broadway représentent près de 100.000 emplois (3.000 au Met). Les artistes et techniciens se retrouvent dans une situation préoccupante où ils ne peuvent plus compter que sur des allocations dont les versements se font (ou pas) de manière aléatoire du fait des bouleversements administratifs. Leur situation est d’autant plus précaire que les institutions américaines fonctionnent selon un schéma privé ne comportant qu’un faible degré de protection sociale et de subventions (à rebours du système français dont nous avons étudié les rouages dans une enquête exclusive).
Si le syndicat Actor’s Equity saluait la décision de maintenir les salles de spectacles fermées en cette période d’incertitude, ses représentants exhortent désormais le gouvernement à débloquer des fonds en faveur du spectacle vivant et de ses acteurs. En effet, le HEROES Act, projet de loi adopté le 15 mai 2020 par la Chambre des Représentants aux États-Unis fournit une réponse économique à la pandémie par le déblocage d’un budget de 3 milliards de dollars mais ne prévoit aucun financement supplémentaire en faveur du domaine artistique. En apnée jusqu’à la reprise, Broadway se mobilise et les syndicats s’activent auprès des élus locaux et du Congrès pour travailler à de nouvelles mesures de soutien à l’économie du spectacle vivant.
En attendant, de la même manière que les opéras ont développé une offre streaming pour entretenir l’appétit des publics pendant le confinement, les aficionados du genre pourront se délecter de l’un des plus gros succès made in Broadway : Hamilton, disponible en juillet sur Disney +, auquel nous avons eu un accès en avant-première et dont nos équipes rendront compte très prochainement.