Opéra de Barcelone 2020/2021 : l’Obsession de la qualité
Nous l’annoncions dans notre précédent article, l’Opéra de Barcelone prévoit une saison riche en synergies. Le Liceu entend rassembler le monde artistique autour d’un thème évocateur : l’Obsession. Pour ce faire, la brochure elle-même se veut support d’expression à des philosophes, psychanalystes, artistes plasticiens et poètes. Par cette initiative, l’Opéra rappelle toute l’importance de l’acte créatif comme catharsis, comme premier pas vers la sublimation de traumatismes passés. Cette démarche a notamment été initiée dans le cadre d'un surprenant concert pour plantes soulignant l'importance de la musique dans la sortie de crise du COVID-19 (article à retrouver ici). Cette quête n’est pas seulement individuelle : l’artiste interpelle la communauté et se fait porte-parole d’un message social plus large. La programmation du Liceu met en scène ce voyage mental avec des œuvres exaltant la part d’ombre des sentiments refoulés et le cheminement de personnages à la psychologie complexe vers la paix intérieure, la rédemption.
À seulement 14 ans, Mozart met en musique l’obsession du pouvoir et de la vengeance dans Mitridate, re di Ponto. Sous la direction de Marc Minkowski, le public barcelonais verra la poursuite de l'ascension de stars comme Pene Pati, rôle-titre (Prix du public du Concours Operalia 2015, ténor invité de l’Opéra de Bordeaux), Julie Fuchs dans le rôle d’Aspasia (lauréate du deuxième prix au Concours Operalia 2013), Elsa Dreisig et Jakub Józef Orliński (le contre ténor polonais en pleine ascension, à l'affiche de Tamerlano et d'un prochain récital parisien pour lequel les places sont désormais en vente sur notre site).
Mozart poursuit dans ce registre en s’inspirant du mythe de Don Juan. Serial séducteur, narcissique d'obsession et même obsédé compulsif, Don Giovanni (en Christopher Maltman, qui a interprété ce rôle à Londres, Berlin, Salzbourg et Amsterdam) enfreint toutes les règles sociales pour vivre ses aventures amoureuses sous l’œil de son serviteur Leporello (Luca Pisaroni). Reprenant le rôle qui l’a faite connaître sur la scène du Festival d’Aix, Véronique Gens incarne Donna Elvira victime criante du libertin. Après un passage à l’opéra de Francfort, Christof Loy déploie sa vision de Don Giovanni à Barcelone.
S’agissant d’obsession, Verdi est également incontournable et il sera convoqué à trois reprises dans cette programmation. David McVicar proposera une relecture contemporaine de La Traviata. Sous la baguette de Speranza Scappucci, Verdi dessine les contours d’une société obnubilée par l’argent et le prestige social où la moralité bourgeoise fait loi. Le mélodrame est porté par une double distribution en alternance : Kristina Mkhitaryan (qui s’est d’ailleurs illustrée à plusieurs reprises dans ce rôle, à Londres, Palm Beach et Berlin) et Rosa Feola campent le personnage de Violetta, Alfredo est incarné par Pavol Breslik et Dmitry Korchak (présent au cours de la saison 2019/2020 du Liceu dans Les Pêcheurs de perles).
La célèbre tragédie Otello sera présentée dans une mise en scène de Keith Warner. Gregory Kunde, acclamé pour son grand retour à l'Opéra de Paris dans ce rôle et Jorge de León porteront chacun la jalousie vengeresse conduisant Desdemona (Krassimira Stoyanova / Eleonora Buratto) vers son destin funeste.
Autre histoire d’amour, de vengeance et d’obsession dont Verdi a le secret, Le Trouvère sera porté par le duo star Anna Netrebko (récemment présente sur la scène de l’Opéra de Dresde) et Yusif Eyvazov dans une version de concert. Le couple libre et idéaliste se voit contraint par le pouvoir oppressif du Comte de Luna (Ludovic Tézier) punitif et sadique qui a développé un amour obsessionnel pour Leonora. Okka von der Damerau sera Azucena, mystérieuse gitane qui a des visions et transforme Léonora en héroïne martyre.
Ce leitmotiv des relations de pouvoir se retrouve également dans Lessons in Love and Violence de George Benjamin et Martin Crimp où la passion amoureuse du roi Edouard II (Stéphane Degout) et de son amant Piers Gavaston (Daniel Okulitch) menace la stabilité politique du pays. Ce triangle amoureux impliquant la Reine Isabel (Georgia Jarman) est mis en scène par Katie Mitchell.
Comme le rappelle la plasticienne Louise Bourgeois, citée dans la préface de la programmation, "l’art est garantie de santé mentale", une manière d'assainir les esprits individuels et collectifs. Les Contes d’Hoffmann questionnent cette affirmation : que se passe-t-il lorsque l’artiste développe une obsession pour son oeuvre, sa muse ? Laurent Pelly met en scène les péripéties amoureuses obscures du poète Hoffmann (John Osborn / Arturo Chacon-Cruz) sous l’œil jaloux de Nicklausse (Stéphanie d’Oustrac / Marina Viotti) face à ses conquêtes Olympia (Olga Pudova / Rocio Pérez), Antonia (Ermonela Jaho) et Giulietta (Nino Surguladze / Ginger Costa-Jackson).
L’obsession amoureuse conduit également à la folie dans Lucia di Lammermoor de Donizetti : Nadine Sierra incarnera la fragile protagoniste aux côtés de Javier Camarena dans le rôle d’Edgardo, le tout mis en scène par Barbara Wysocka.
Pour autant, Wagner montre qu’il existe d’autres fins possibles aux tumultes des passions. Dans Tannhäuser, le héros éponyme (Stefan Vinke) tourmenté par ses appétits charnels évolue vers la rédemption par amour pour Elizabeth (Johanni van Oostrum).
Àlex Ollé (en résidence pour 4 ans au Liceu) offre quant à lui une relecture audacieuse de La Bohème de Puccini, où les protagonistes Rodolfo (Giorgio Berrugi / Atalla Ayan) et Mimi ( Anita Hartig / Maria Teresa Leva / Adriana Gonzalez) développent un attachement obsessionnel à leur vie passée.
La thématique de l’obsession ne se discute pas uniquement sous le registre de la tragédie (au moins en apparence). Jean-Philippe Rameau évoque la passion sentimentale dans une comédie lyrique à succès. Dans Platée, l’héroïne éponyme (Marcel Beekman), une grenouille, développe un amour obsessionnel pour le Dieu Jupiter (Edwin Crossley-Mercer) qui se joue d’elle dans une farce cruelle. L’ensemble Les Arts Florissants, sous la direction de William Christie donnera son mordant à la comédie de Rameau dans une version de concert. Dans un registre proche, les élèves de l’École supérieure de musique de Catalogne donneront à entendre La Princesse Philosophe de Carl Baguer.
L’Opéra de Barcelone présentera une création originale composée de six courtes pièces pour interprètes féminines (Maria Dolors Aldea, Elena Copons, Maria Hinojosa, Marta Fiol, Elena Tarrats y Lídia Vinyes-Curtis) et instrumentistes. Six équipes de librettistes et compositeurs délivrent tour à tour des histoires aux atours de confessions intimes, déployées dans différents espace du Grand Théâtre Liceu.
Parallèlement aux productions, de nombreux récitals sont programmés : Anna Netrebko dans un registre mêlant Debussy, Fauré et Strauss, le ténor péruvien interprète émérite de Rossini Juan Diego Flórez, Estralla Morente rendra hommage à Carmen Amaya, Sondra Radvanovsky et Piotr Beczala s’illustreront avec le répertoire de Verdi et Puccini.