Plongée dans Koma à l'Opéra de Dijon : Épisode 3, Entre-deux mondes
Épisode 1 : Plongée dans Koma
Épisode 2 : Koma, héritier de Carmen, Traviata, La Bohème
Épisode 3 : Entre-deux mondes
Épisode 4 : Orchestre, Musique, Chant
Entre-deux mondes
Fondamentalement, un opéra sur le coma traite d'un Entre-Deux typique de l'opéra : entre deux mondes (comme Eurydice, entre le monde des morts et des vivants, qui inspira les premiers opus et chefs-d'œuvre du genre), entre l'éveil et le sommeil (comme La Somnambule), entre santé et maladie, entre raison et déraison comme dans les airs de folie (Ophélie d'Hamlet qui elle aussi se suicide en se noyant, Lucia qui se sacrifie elle aussi pour cause de mariage malheureux).
“Pourquoi me réveiller” air légendaire composé par Massenet est comme le miroir de Koma : Werther évoque le réveil avant de se suicider, Michaela est perdue dans le sommeil après sa tentative.
Docteurs et infirmières
Koma met en scène et fait chanter deux Docteurs et trois infirmiers, prolongeant ici une autre tradition lyrique. De très nombreux Docteurs sont présents à l’opéra, à commencer par le “Docteur Faust” dans les innombrables versions du mythe immortalisé avec Marguerite et Méphistophélès (il existe aussi plusieurs opus mettant en scène le Docteur Frankenstein), ou son alter ego le Docteur Miracle dans Les Contes d’Hoffmann. Doctor Atomic (opéra de John Adams sur un livret de Peter Sellars) a également marqué les esprits à sa création en 2005, et plus récemment (en 2014) se tenait la création mondiale à Nancy d'Il medico dei pazzi (Le médecin des fous, composé par Giorgio Battistelli d’après un texte en napolitain écrit en 1908 par Eduardo Scarpetta) et deux ans avant cela The Great Doctor's Tale de Milan Dubovský au Théâtre National de Slovaquie. Mais il existe aussi une tradition de Docteurs Médecins, œuvrant pour le meilleur envers les personnages (La Traviata, Pelléas et Mélisande, Macbeth), pour le pire (Le Docteur/savant fou tortionnaire de Wozzeck, celui-ci finissant d’ailleurs également noyé dans un lac) ou pour le rire avec l’opéra-comique Le Médecin malgré lui (1858) de Gounod d’après Molière, voire un peu des deux (Docteur Bartolo dans Le Barbier de Séville, Docteur Malatesta dans Don Pasquale ou Docteur Dulcamara dans L’Élixir d’amour).
Les docteurs et infirmiers de Koma ont un rôle essentiel, les mouvements de bras qu’ils font faire à Michaela rappellent la natation et donc sa noyade (comme lorsqu'ils lui rincent la bouche). Les soignants lèvent le corps de Michaela, rappelant la fois où elle et sa sœur avaient réussi à s'endormir debout dans le jardin brûlant au soleil (le feu, opposé de la noyade). Puis Michaela revit une seconde noyade sur son lit d'hôpital : elle est en fait victime d’une hallucination et rêve qu’elle se noie de nouveau (mais ce pourrait être le moyen pour elle de justement “remonter à la surface” : revivre, se réveiller).
Deux rôles principaux muets dans un opéra
Les deux personnages féminins principaux dans Koma, la patiente alitée Michaela et sa fille Barbara, traumatisée d'avoir retrouvé sa mère au bord du lac, sont enfermées dans le mutisme. Il est paradoxal pour un personnage de théâtre (a fortiori d'opéra) d'être muet. Il en existe pourtant d'autres exemples dans le répertoire : le plus célèbre d'entre eux est La Muette de Portici de Daniel-François-Esprit Auber, dont le rôle principal est tenu par un personnage complètement muet, incarné par une mime ou une danseuse. L’ondine Rusalka (rappelant la petite sirène et mis en musique dans l’opéra de Dvorak) accepte d’être condamnée à rester muette pour rejoindre la Terre ferme, par amour du Prince. Le rôle-titre de Silvana de Carl Maria von Weber narre également l’histoire d’amour entre le Comte Rudolph von Helfenstein et la muette Silvana, trouvée dans une grotte. Plus proche de nous, un opéra de chambre intitulé The Mute Canary (Le Canari muet) a été créé à Vancouver en 2018 par Rudolf Komorous.
Le mutisme est un élément absolument fondamental dans cet opéra Koma et il se transmet de génération en génération : déjà petites, Michaela et Jasmin voulaient rester silencieuses pour apporter la paix dans le monde, mais leur illusion fut brisée par leur propre mère, muette, qui les battait.