Léo Vermot-Desroches : « À la sortie du confinement, j’étais inarrêtable »
Léo Vermot-Desroches, comment vous présenteriez-vous ?
Je suis ténor. Je fais du chant ma profession depuis quelques années. Je suis passé par le CNSM de Paris, après être passé par l’École Nationale de Musique de Villeurbanne. J’ai commencé mes études musicales à Besançon d’où je suis originaire. J’ai aussi fait de l’écriture, de l’improvisation, du piano, du violon avant de découvrir le chant lorsque j’avais 19 ans.
Comment avez-vous découvert le chant lyrique ?
J’avais une option musique au lycée et mon professeur m’a conseillé d’entrer dans un chœur ou de prendre des cours de chant. C’est ce que j’ai fait, et j’ai bien aimé. Durant mon Master de musicologie à Lyon, on m’a de nouveau poussé sur cette voie : je me suis donc aussi inscrit à Villeurbanne chez une professeure que l’on m’avait conseillée. Tout est ensuite allé très vite.
À quel moment avez-vous décidé d’en faire votre métier ?
Cela s’est fait assez progressivement, sans que je m’en rende compte. Il n’y a pas eu de déclic. Lorsque je me suis vraiment intéressé au chant, à la technique, j’ai commencé à faire des concerts en soliste. J’ai petit à petit lâché la branche universitaire, pour m’y consacrer de plus en plus sans vraiment m’en rendre compte, jusqu’à ce que je prenne conscience de ce que je pouvais faire. Cela m’intéressait : je n’ai alors plus eu de doute.
À vos débuts, vous avez chanté comme basse : comment cela s’est-il fait ?
Dans le chœur, j’ai été à peu près dans tous les pupitres, y compris la basse 2, la basse la plus grave. J’aimais bien car ce n’était pas fatigant : je n’avais pas besoin de travailler. Petit à petit, je suis monté dans les pupitres, jusqu’au ténor aigu et haute-contre. Je me suis même essayé à la voix d’alto, avant de redescendre.
Comment avez-vous vécu la période du Covid ?
J’étais encore étudiant et je commençais à préparer ma sortie du CNSM. Lors du confinement, il y a eu deux semaines durant lesquelles j’avais du mal à comprendre ce qui m’arrivait. Je travaillais beaucoup pour préparer la suite et j’avais déjà des projets, qui ont été stoppés brutalement. Finalement, j’ai profité de cette période pour travailler énormément, préparer les concours : à la sortie du premier confinement, j’ai pu passer plusieurs concours qui m’ont ouvert beaucoup de portes, Marmande notamment. Cela a donc finalement été une sorte de tremplin : après avoir autant travaillé, j’étais prêt et inarrêtable.
Vous êtes sorti du Conservatoire en 2022 : qu’en avez-vous retiré ?
J’ai du mal à me rendre compte que c’est aussi proche car j’ai eu beaucoup de productions extérieures sur la dernière année du Conservatoire : je remercie la direction de m’avoir laissé faire tout cela. Le jour de mon prix, j’ai fait un aller-retour car j’étais au Festival d’Aix. Je n’ai même pas pu attendre les résultats. Je n’étais déjà plus dans l’ambiance étudiante, mais je suis content d’avoir été jusqu’au bout du cursus et d’avoir passé mon prix.
Qu’est-ce que le Conservatoire vous a appris ?
C’est au CNSM que j’ai vraiment appris à chanter : c’est pour apprendre vraiment et être solide pour la suite que j’ai voulu aller jusqu’au bout du cursus. Je ne voulais pas être pressé par le temps. J’ai beaucoup appris dans tous les domaines. Nous avons eu la chance d’avoir beaucoup d’auditions et d’occasions de se faire entendre. J’en ai bien profité : j’ai postulé à tout !
Vous avez été mis en avant par de nombreux organismes : l’Académie Jaroussky, Opera Fuoco, Génération Opéra, le Concours de Marmande. Que vous ont apporté ces différentes institutions ?
Toutes ces institutions sont différentes et ont apporté des choses complémentaires. Elles m’ont toutes apporté de la visibilité et des contacts avec le monde professionnel, que ce soient des directeurs, des agents, la presse, à une époque où je n’en avais pas du tout. Cela m’a également permis de faire mes armes sur plein de répertoires. J’ai pu monter des programmes. Avec Opera Fuoco, j’ai par exemple pu faire des productions d’opéra dans un cadre sécurisant. J’aime bien les concours qui me mettent au défi : cela m’oblige à travailler certains aspects de mon chant. Par ailleurs, le stress des concours m’a préparé à celui des auditions. C’est une bonne école.
Comment avez-vous vécu l’audition de Génération Opéra, devant un parterre de professionnels ?
Cette audition était vraiment stressante car il y avait beaucoup de monde du métier dans la salle : c’est un peu mettre tous ses œufs dans le même panier car tout le monde nous entend le même soir. J’ai essayé de me mettre dans la tête que c’était un concert comme un autre, que j’allais faire ce que je sais faire. J’ai essayé de rester le plus naturel possible car cela s’entend.
Suite à cette audition, vous avez intégré la promotion 2022 de Génération Opéra : qu’est-ce que cela vous a apporté ?
Ils m’ont apporté beaucoup de visibilité : ils ont fait une grande campagne, ce qui a eu un impact important. Ils m’ont aussi proposé plusieurs projets, mais ma saison était déjà bien chargée.
En effet, vous avez eu très vite beaucoup d’engagements : comment l’expliquez-vous ?
J’ai récolté les fruits de toutes les auditions que j’ai passées pendant mes études : j’en ai vraiment passé beaucoup. Du coup, tout s’est mis en place rapidement. Ajouté aux concours et académies que nous avons mentionnés, cela a pu donner confiance aux programmateurs. En particulier, le concours de Marmande a pu être un déclic chez certains pour me proposer des projets. Cela m’a aussi donné confiance à moi, et cela m’a permis de rencontrer beaucoup de monde.
Le choix de l’agent est une étape importante : comment cela s’est-il fait ?
En effet, je travaille avec Dominique Riber de l’agence Backstage, que j’ai rencontrée au concours de Canari. Je m’y suis inscrit notamment pour la rencontrer car cela m’intéressait de travailler avec elle. Le concours était un bon moyen de se faire entendre sur plusieurs jours. Nous avons discuté au moment des retours et nous avons eu une bonne connexion humaine. Nous avons convenu de nous reparler, et nous avons démarré rapidement la collaboration ensuite.
Qu’est-ce que cela change d’avoir un agent ?
Les effets se font sentir petit à petit : on met en place un projet permettant d’organiser les actions afin de se faire connaître des décideurs. En effet, en tant qu’artiste, on n’a pas les moyens de contacter les maisons d’opéra directement, ou alors de manière exceptionnelle. Cela devient beaucoup plus facile avec une agence. L’agent soulage aussi beaucoup sur les aspects administratifs. Cela évite les impairs ou les oublis.
Parmi toutes vos premières expériences professionnelles, lesquelles vous ont plus particulièrement marqué, et pourquoi ?
J’ai fait beaucoup de choses différentes, marquantes pour différentes raisons. Salomé au Festival d’Aix était important car ce festival est un foisonnement culturel qui m’a permis de rencontrer beaucoup de monde. J’ai passé deux mois dans cette musique de Strauss que j’adore. De plus, cette période marquait la fin de mes études. J’ai aussi eu des rôles de premier plan, que je ne m’attendais pas à obtenir si vite, et qui ont été très formateurs. Je pense notamment à L'Amour des trois oranges à l’Opéra de Nancy, L'Auberge du Cheval Blanc à l’Opéra de Marseille où je chantais Léopold, un rôle complet pour lequel il fallait danser, chanter, jouer du texte parlé, sur lequel on attendait de moi que j’aie déjà toute l’aisance scénique requise. Ça a été une expérience très formatrice, dans laquelle je me suis senti à l’aise. Cela m’a rassuré sur mon choix de carrière : j’ai pu vérifier que je ne m’étais pas lancé dans une aventure qui ne me correspondait pas.
Il y a eu aussi Une autre histoire de Manon à Saint-Étienne, Massy et Vichy. C’est un répertoire que je souhaite défendre, un rôle que j’estime m’aller bien. Bien qu’en version réduite, c’était une découverte du rôle sur scène, avec orchestre. J’ai aussi participé à Deux hommes et une femme à l’Opéra de Tours, ce qui était un défi car il s’agit d’un répertoire plus léger, qui me faisait peur, dans une vocalité différente de mes autres projets. Cela m’a finalement beaucoup appris et fait progresser techniquement. Je l’ai pris comme un exercice. Il s’agissait de mon premier Donizetti, ce qui m’a permis d’aborder une vocalité différente.
Quels sont vos rêves, vos ambitions en tant que chanteur ?
Déjà, une partie de mes rêves se sont réalisés : ce que je fais aujourd’hui me plait beaucoup. J’espère pouvoir interpréter les rôles et les répertoires que j’aime. Pour l’instant, cela va dans le bon sens : j’aime beaucoup le répertoire romantique français, et je vois que ces rôles m’appellent. Les signaux sont au vert sur ce chemin-là, même si je chanterai bien sûr beaucoup d’autres choses. Tout ce qui s’annonce me plait beaucoup.
Quels sont selon vous les rôles qui peuvent vous faire franchir des paliers dans votre carrière ?
Certains rôles me font peur mais pourraient m’aider. Par exemple, je n’ai pas beaucoup de Mozart à mon actif, et il serait bon que je m’y attelle afin de travailler des aspects techniques sur lesquels je peux encore gagner en précision. J’attends impatiemment un Tamino pour me replonger dans ce répertoire.
Je chante souvent l’air des Contes d’Hoffmann car il y a une certaine évidence : c’est assez facile pour moi. Je crois que le reste du rôle pourrait me correspondre, mais il est encore trop tôt pour le chanter. Pour l’instant, je l’utilise pour montrer mon interprétation des airs français, car il y a les mêmes caractéristiques dans d’autres rôles. Le rôle de Des Grieux est un autre rôle que je pense pouvoir défendre correctement.
Avez-vous des rôles-modèles ?
Il n’y a pas un artiste que je prends comme modèle pour tout. Personne ne fait tout parfaitement. Lorsque je cherche un détail technique d’interprétation, je peux écouter le passage en question dans 60 enregistrements pour construire ma propre interprétation. Il m’arrive aussi par exemple de repasser une scène d’un film pour décortiquer la manière dont une émotion est jouée.
Comment avez-vous construit votre prochaine saison ?
Je chanterai huit rôles pour autant de prises de rôle. C’est la difficulté des premières années : il faut se construire un répertoire et donc apprendre chaque rôle que l’on chante. Je fais attention à ne pas aller trop vite : des maisons avec lesquelles des projets se sont bien passés me proposent des rôles pour lesquels il est encore trop tôt selon moi. J’ai besoin de me faire aux différentes vocalités, de laisser ma voix s’épanouir. J’ai besoin de faire de la scène pour me former, sans que ce soient des rôles trop lourds. Il y aura un mélange de rôles de premier et de second plans, ainsi que deux oratorios : la 9ème Symphonie de Beethoven à Dijon et Besançon et le Stabat Mater de Dvorak à Limoges.
Quels seront donc vos projets ?
Je vais notamment faire un peu de Mozart et de Beethoven, puisque que serai Arbace dans Idomeneo à Nancy et Jacquino dans Fidelio à Dijon. Je passerai aussi par Marseille en Camille dans La Veuve Joyeuse. Dans un autre style, je chanterai Manoël, le premier rôle masculin du Tribut de Zamora de Gounod à l’Opéra de Saint-Étienne. J’irai à l’Opéra de Lyon en Harry dans La Fille du Far-West de Puccini, et à Versailles, au Théâtre des Champs-Élysées et au Theater an der Wien dans Alceste de Lully avec Les Épopées. J’y chanterai les rôles de Lycas et Phérès. Je passerai également par l’Opéra Comique et les Chorégies d'Orange dans des projets qui ne sont pas encore annoncés.
En-dehors de mes projets opératiques, j’essaie de développer une activité en récital, car j’adore le Lied et la mélodie. J’essaie de garder de l’espace dans ma tête et dans mon agenda afin de créer des programmes. Cela m’apporte aussi beaucoup pour les productions scéniques. C’est important pour mon enrichissement personnel. Je travaille notamment avec la pianiste Yun-Ho Chen, que j’ai rencontrée au Conservatoire puis à l’Académie Jaroussky. Nous avons une bonne connivence et trouvons de bonnes idées ensemble. Selon les répertoires, je crée aussi des programmes avec d’autres artistes.
[Mise à jour du 18 février 2024] Vous êtes nommé dans la Catégorie Révélation Artiste lyrique aux Victoires de la Musique Classique cette année, que représente cette nomination pour vous ?
C’est une fierté ! Je suis très honoré de participer à cette soirée et d’avoir été nominé. Cela arrive après deux années où j’ai été très présent sur scène, avec beaucoup de challenges et plein de découvertes. À la fin de cette saison j’aurai fait 18 rôles en deux ans. J’ai un peu fait la tournée des maisons d’opéra françaises ! Je suis aussi fier de ce chemin parcouru et de toutes ces années de préparation. Ça a été un véritable artisanat. Une pierre après l’autre. Et cette nomination arrive un peu comme la cerise sur le gâteau.
Où étiez-vous lorsque vous avez appris votre nomination ?
J’étais en répétition de La Veuve joyeuse de Lehár à l’Opéra de Marseille. Je sortais d’une journée épuisante et ça m’a redonné la pêche directement !
Qu’en attendez-vous ?
Je vois cela plutôt comme un moment pour célébrer ce que j’ai déjà fait ! Je n’attends rien de plus que cela. Tout le reste sera du plus !
Retrouvez nos interviews de Juliette Mey et de Lauranne Oliva également nommées dans la catégorie Révélation Lyrique aux Victoires de la Musique Classique 2024