La Fille du Far West se transforme en récital au Festival de Verbier
Après l’annulation de son édition 2020, le Festival de Verbiersemblait devoir retrouver toutes ses marques pour 2021 avec un programme comme à l’habitude riche, diversifié et ambitieux. Hélas, plusieurs cas de Covid 19 ayant été décelés parmi les membres du Verbier Festival Orchestra, tous les concerts auxquels cette phalange se trouvaient associée ont été de fait malheureusement annulés. Les jeunes musiciens recrutés sont retournés dans leur pays d’origine.
Pour la soirée d’ouverture du Festival, Valery Gergiev a fait appel au Verbier Festival Chamber Orchestra, non touché pour sa part par le virus, avec un programme remanié en conséquence. Par contre, les deux grandes soirées lyriques prévues ont subi les tristes conséquences de cet état de fait. Ainsi, l’acte II de Tristan et Isolde de Richard Wagner programmée le 23 juillet et réunissant, comme tout récemment au Festival d’Aix-en-Provence, le duo éblouissant Nina Stemme/Stuart Skelton dans les rôles-titres, avec en sus à Verbier René Pape en Roi Marke et Okka von der Damerau en Brangäne, l’ensemble se trouvant placé sous la baguette de Daniele Gatti, a été annulé. Il en fut de même trois jours plus tôt pour la rare Fille du Far-West de Puccini.
Le concert vocal programmé en remplacement, sans parvenir à étouffer les regrets, a permis en premier lieu de découvrir la soprano dramatique russe, Maria Bayankina, encore peu connue en dehors de son pays. Soliste depuis la saison 2019/2020 du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, elle a déjà abordé plusieurs rôles importants dans sa Russie natale (Aïda, Tatiana d’Eugène Onéguine, Violetta Valery et déjà Minnie en 2019). Sa carrière prend depuis peu un caractère plus international, notamment avec l’appui de Valery Gergiev, qui donc lui avait demandé de reprendre le rôle de Minnie à Verbier.
Maria Bayankina ouvre la soirée avec l’air d’entrée d’Elisabeth du Tannhäuser de Richard Wagner "Dich teure Halle". La voix possède une ampleur véritable, une facilité réelle et immédiate pour ce rôle. Le timbre reste toutefois un rien métallique, un peu mat à certains moments et l’aigu pourrait être émis de façon plus libre. Ce dernier sonne un peu contraint et paraît assez dur d’émission, comme au final un peu abrupt d’un "bel di vedremo" extrait de Madame Butterfly de Puccini. Le timbre se colore plus aisément, de façon plus élaborée, dans l’air de Lisa de l’acte II de La Dame de Pique de Tchaïkovski. Particulièrement gracieuse en scène, Maria Bayankina possède de précieux atouts pour rayonner sur les scènes d’opéras. Il faudra toutefois patienter jusqu’en avril 2022 pour l’entendre hors de Russie à l’Opéra de Lausanne dans Eugène Onéguine.
En sus de ses airs solos, elle a rejoint le baryton Ambrogio Maestri pour le duo célébrissime Violetta/Giorgio Germont de l’acte II de La Traviata. Elle offre un portrait qui manque encore un peu de relief, de juste proportion pour Violetta, tandis que son partenaire lui donne une réplique un peu trop appliquée.
Ambrogio Maestri, grand Falstaff et Guillaume Tell à la scène, apparaît bien plus à son aise dans le « Nemico della patria » extrait d’Andrea Chénier d’Umberto Giordano, air qui demande assurance et énergie ou dans l’air de Dulcamara de l’Élixir d’amour de Donizetti où sa verve et son humeur joyeuse s’en donnent à cœur joie. Mais c’est dans le duo Don Alvaro/Don Carlo di Vargas « Invano Alvaro » de l’acte IV de La Force du destin de Verdi que le chanteur prend toute sa pleine dimension avec une voix de caractère qui se déploie avec ferveur et libère un aigu assurément magnifique. Le personnage de Don Alvaro s’impose d’emblée.
Marcelo Alvarez, à l’aube de ses 60 ans, s’empare pour sa part avec une rare vaillance et une efficacité dramatique intacte de Don Carlo, sa voix de ténor lyrique voire dramatique répondant avec acuité aux sévères exigences de la partition. Il débute son programme avec, choix peu propice, l’air de Rodrigue « ô Souverain, ô père » du Cid de Massenet, continuant ensuite avec l’air de Federico de l’Arlesiana de Cilea et le second air de Mario Cavaradossi de Tosca « E lucevan le stelle », ce dernier rôle interprété sur presque toutes les scènes lyriques du monde. L’intelligence de l’interprète demeure, son sens du style et du phrasé aussi. Mais la voix requiert un peu plus de temps désormais pour pleinement s’extérioriser -le ton est quelquefois un peu bas- et le souffle paraît plus court. Mais l’attraction de l’interprète demeure au même titre que son impact auprès du public comme constaté par les saluts enthousiastes qu’il obtient à Verbier.
Le pianiste James Baillieu, qui préside par ailleurs le programme de mélodies de l’Atelier Lyrique de l’Académie de Verbier -Véronique Gens est intervenue plusieurs jours pour dispenser ses conseils avisés auprès des jeunes de l’Académie Lyrique- tente de domestiquer le vaste espace de la Salle des Combins en donnant force et caractère à toutes ses interventions.
Des bis, il convient de retenir l’incontournable Brindisi de La Traviata réunissant outre les solistes, les jeunes de l’Académie Lyrique pour la partie des autres intervenants et des chœurs. Une heureuse conclusion pour un concert marqué par la qualité et l’enthousiasme malgré tous les impondérables subis actuellement.