Edwin Fardini remporte le troisième Concours Voix des Outre-Mer
Edwin Fardini remporte évidemment le Concours Voix des Outre-mer 2020/2021, comme nous l'avions déjà prévu et annoncé en voyant son nom parmi les candidats de l'étape régionale. Le baryton fait en effet déjà une belle carrière (détaillée dans nos articles et notre base de données) et n'avait d'ailleurs pas pu participer l'année dernière car il était retenu par La Scala de Milan. Les mêmes qualités que nous décrivions lors de la manche précédente se retrouvent ce soir, d'autant qu'il interprète le même morceau Deep River (parcourant de même son ambitus du profond grave jusqu'au falsetto bouche fermée). Toutefois, à la différence de la Finale régionale et des Finales des années précédentes, Edwin Fardini et ses concurrents ne chantent ce soir qu'un seul morceau. Cela contribue à concentrer cette soirée qui pouvait durer fort longtemps les années précédentes mais qui permettaient certes à tous les chanteurs (aguerris ou totalement néophytes) de montrer deux facettes de leur vocalité. Edwin Fardini ne chante donc pas ce soir "Monstre affreux, monstre redoutable" (Dardanus) qui avait fait forte impression la dernière fois et il aurait donc pu se faire coiffer au poteau par celle qui était déjà son évidente dauphine lors de la Finale Régionale : Axelle Saint-Cirel (originaire de la Guadeloupe, étudiante au Conservatoire National Supérieur de Paris), elle qui chante ce soir comme alors l'ambitieux, nourri et délicat "Cara sposa", là encore avec les mêmes qualités.
Le podium de cette Finale Nationale est au final exactement le même que pour la Finale Régionale Île-de-France, Auguste Truel (représentant Haïti quoique ce pays soit indépendant de la France depuis 1804) remportant à nouveau et de manière tout aussi prévisible le Prix Jeune Talent avec la même interprétation du "Veau d'or".
La soirée contribue ainsi à valoriser les parcours déjà lancés d'ultra-marins qui ont dû venir à Paris pour se former, comme c'est le cas de la 1ère Lauréate de ce Concours, Marie-Laure Garnier (qui nous détaille cela dans notre interview à paraître à l'occasion de sa nomination aux Victoires de la Musique Classique 2021).
Mais ce Concours, dans un esprit de "dénicheur de talents" invite aussi sur scène de grands débutants et autodidactes qui découvrent la beauté de l'art lyrique et le potentiel de leurs voix. Les sélections Voix des Outre-mer se rendant dans les territoires, y donnant cours et y proposant des auditions, encouragent ainsi tous les habitants à découvrir la pratique de l'art lyrique, notamment là où il n'y a aucun Conservatoire voire aucune classe de chant. Un constat qui est rappelé tout au long de l'émission ainsi qu'à la Ministre de la Culture venue remettre le Grand Prix. Roselyne Bachelot s'adresse pour sa part au Directeur de l'Opéra de Paris, Alexander Neef en le félicitant pour la mission menée dans la maison sur la diversité et en l'invitant dans ce cadre à intégrer pour ses distributions des artistes parmi ce "magnifique vivier des Voix d'outre-Mer".
Les jeunes artistes présents ce soir (jeunes par l'âge de leur état civil ou au moins de leurs gosiers) sont notamment présentés pour tout ce qui les éloignait de l'art lyrique et par le fait qu'ils ne connaissaient -voire qu'ils n'appréciaient- pas l'opéra. Ils l'ont pourtant découvert et pratiqué en cette occasion jusqu'au voyage à Paris.
Tinalei Mahuta (Polynésie-Francaise) remporte ainsi la Mention Encouragement Autodidacte pour son interprétation de "Lascia ch'io pianga". La jeune chanteuse de 14 ans joue déjà d'une posture de récital (de profil dans le creux du piano) et de ses élans vocaux avec un peu de souffle. Les intensités raccourcies de ses phrases et ses aigus fins conviendraient mieux à des cavatines (mais l'ensemble des jeunes candidats, cette année comme les autres, se lance dans des choix de répertoire démesurés pour leur niveau, s'offrant d'emblée le plaisir de tubes lyriques et les conseils choisis de leurs professeurs).
Clémence Hausermann (15 ans, Martinique) décroche la Mention Encouragement Jeune Talent grâce à sa formation vocale et scénique (forgée au Centre de Musique Baroque de Versailles) ici mise au service de la zarzuela Gigantes Y Cabezudos de Caballero. L'aisance scénique et vocale s'appuie sur une technique de soutien vers la découverte de couleurs chaleureuses.
Ludivine Turinay (Martinique) qui chantait Dreamgirls hors compétition l'année dernière rejoint le giron lyrique avec un "Pie Jesu" mais extrait du Requiem d'Andrew Lloyd Webber (compositeur du Fantôme de l'Opéra) avec une tessiture appuyée en construction de sa justesse.
Waaydah-Hydjrat Bakary (Mayotte) "qui n'écoutait pas de classique et maintenant n'écoute que ça" (raconte la présentatrice de cette émission-compétition Audrey Chauveau) affronte crânement rien moins que la Habanera de Carmen. Sa voix est appuyée mais encore très gutturale et tendue. La justesse basse ne déstabilise pourtant pas la mémoire et une interprétation qui se joue des clichés sur le personnage.
Toni Catherine (La Réunion) violoncelliste de 16 ans a trouvé en deux ans de chant lyrique un médium chaleureux en souffle, pas aussi timbré que ses aigus qui s'écartent un peu de la justesse (dans "Batti, Batti, O Bel Masetto").
Véronika Nugent (Guyane) chanteuse et violoniste qui rapproche le classique et le rock métal interprète avec intensité et une sensualité piquante "Ah! Que j'aime les militaires! (La Grande-Duchesse de Gérolstein d'Offenbach). Comme ses collègues, l'artiste suivant son parcours de formation démontre son travail de mémorisation sans failles, son travail du style et des cadences.
Moanna Laou (Martinique) "vétérinaire accomplie" chante "S'altro che lacrime" d'une voix sonore vers des aigus un peu perçants.
Cédric Nourry (La Réunion) admirateur des grands ténors historiques (il est d'ailleurs homophone d'un des plus légendaires entre tous) chante "Vainement ma bien-aimée" (Le Roi d'Ys de Lalo) avec une prononciation modèle et des subtilité de timbre.
Jess Rodrigues (Guyane) contribue à la richesse du répertoire mais toujours par des difficultés démesurées pour des débutants. Toutefois, lui qui était "plus que réticent à participer" déploie une grande douceur et des élans marqués (malgré quelques creux vocaux) avec "Maria" de West Side Story.
Kamar Boura (Mayotte) finaliste régional de la Nouvelle Star 2003 chante L'ultima ebbrezza (la dernière ivresse) de Respighi dans une version pop-soul serrée sauf dans l'aigu nécessairement lyrique pour ainsi sonner.
Carole Dorlipo (Guadeloupe) déploie avec "My Man's Gone Now" une brillante voix soul un peu assourdie pour l'effet mais néanmoins la plus marquante en timbre de sa catégorie.
Coretta Moueza (Guadeloupe), professeure d'éducation musicale rend les hommages les plus seyants qui soient à ce concours et en cette année : au Chevalier de Saint-George (musicien et escrimeur de Basse-Terre dont elle interprète Ernestine) et à la légendaire Christiane Eda-Pierre disparue en septembre dernier.
Et puis, ces découvertes inattendues produisent de petits miracles d'un instant, comme cette interprétation par Lesly-Aniel Mouila (Guadeloupe) d'Amarilli mia bella (puisé dans le recueil Le nuove musiche de Caccini). L'interprétation est diamétralement opposée aux canons de la tradition (notamment baroqueuse). Le timbre paraîtrait même grinçant s'il n'était d'un appui poignant rappelant d'autres traditions insulaires populaires (notamment italiennes).
Le piano (éclairé de néon) est tenu par David Zobel pour accompagner tous les candidats quel que soit leur niveau et besoins à travers tous les répertoires. Jeff Cohen accompagne ensuite les lauréats des précédentes années qui font montre de leurs talents pendant les délibérations et démontrent que ce Concours est déjà une grande famille.