Plácido Domingo chante Nabucco à Vienne pour fêter ses 80 ans
Doté d'un charisme naturel, Placido Domingo souligne d’une manière remarquée (même à travers l’écran pour cette captation en direct) la gloire perdue d’un tyran vieillissant qui se voit comme « ombre d'un roi ». Si le pathos est parfois trop appuyé aux dépens de l'aspect féroce du tyran (presque absent dans le jeu d'acteur), le maestro affiche une pénitence particulièrement touchante, comme s'il la souffrait personnellement. La tristesse imprégnée de désespoir et d'impuissance est mise en valeur par la mélodicité inhérente de sa voix et la couleur caractéristique de son timbre. Ces derniers, malgré un manque de puissance vocale, sont livrés avec aisance et élégance.
Anna Pirozzi impressionne en Abigaille. L'obstination de la reine combattante se traduit vocalement dans la densité et l'intensité du timbre d'une rondeur bien maîtrisée. Le chant dense et intense dans les registres bas et moyen, foudroie avec précision et acuité glaçante dans le registre haut. D'une forte présence scénique, Pirozzi offre une Abigaille in the making (en plein potentiel), sans oublier l'insécurité sociale de la fille d'esclave devenue reine des babyloniens. Passionnée et fiévreuse aux bords de l'hystérie, elle fournit un contrepoids vocal et dramatique substantiel pour Nabucco et Fenena.
Freddie De Tommaso, qui chantait en septembre dernier Pinkerton avec la Butterfly d'Asmik Grigorian dans la production d'Anthony Minghella, incarne Ismaele, puni à la fois en raison de sa résistance contre les babyloniens et de son amour interdit pour Fenena, fille légitime de Nabucco. Sa forte présence scénique libère le personnage de la représentation typique d'un amant sentimental, et établit, par conséquent, un jeune homme fier et obstiné qui ne se laisse aucunement écraser par les monstruosités d'Abigaille. Son timbre, naturellement brillant et résonnant, se manifeste de bout en bout dans une densité chaleureuse et mélodieuse du chant qui fait preuve d'une maîtrise affirmée de la charge virtuose et dramatique du rôle.
La mezzo-soprano hongroise Szilvia Vörös incarne Fenena avec prudence et empêche que le personnage ne soit piégé par la contrainte dramatique en antithèse d'Abigaille. Son timbre, d'une densité naturelle et bien arrondi dans le registre aigu, complémente harmonieusement la brillance vocale d'Ismaele et le registre aigu perçant d'Abigaille. Sur le plan dramatique, elle manifeste sa lutte contre la présence écrasante de la reine. Riccardo Zanellato est aussi impressionnant et charismatique en Grand-prêtre Zaccaria. Il puise également dans son timbre résonant et puissant pour renforcer la gravité du rôle. Daniel Jenz, incarnant Abdallo, couple son beau timbre avec son expressivité vocale pour garantir sa présence scénique malgré ses courtes apparitions. La scène profite également de l'engagement dramatique de Dan Paul Dumitrescu dans le rôle du Haut-prêtre de Baal et d'Aurora Marthens dans le rôle d'Anna, sœur de Zaccaria.
L'Orchestre de l'Opéra d'État de Vienne sous la direction de Marco Armiliato privilégie de superbes nuances et une bonne coordination entre les instruments, produisant des textures bien ciselées qui s'avèrent bénéfiques pour l'énergie et la dynamique générale de la masse sonore. La collaboration entre les cordes et les vents capte les moments de tension comme ceux de lyrisme avec sensibilité et précision. Le chœur, sous la direction de Thomas Lang, fait preuve d'unité et de sensibilité dans la démonstration de la souffrance collective comblée par la nostalgie et la douleur. La célèbre lamentation "Va, pensiero" devient, plus qu'un moment lyrique : un moment d'intimité et de méditation.
La mise en scène signée Günter Krämer, présentée pour la première fois en 2011, privilégie la simplicité de l'ensemble scénique. Le cyclorama y tient une place centrale et seuls les éléments nécessaires y sont présents pour délimiter le décor (signé Manfred Voss et Petra Buchholz) dominé par les teintes sombres de l'éclairage. Cela crée par conséquent une impression de profondeur et d'espace qui remet la focalisation sur le drame. Les costumes de Falk Bauer, nettement façonnés pour convenir aux temps passés comme au style moderne, contribuent au maintien de l'actualité pour l'ensemble scénique.