Marie Oppert avant les Victoires de la Musique Classique 2021 : "Enchantée !"
Marie Oppert, quels sont vos premiers souvenirs d’émotion musicale ?
Mes premiers pas remontent à mon entrée dans la Maîtrise du Conservatoire Régional de Paris. J’y ai commencé dans le cursus Classes à Horaires Aménagés Musique. C’était une formidable approche avec beaucoup de répertoire, des répétitions tous les jours, tous les après-midis. C’est une formation très riche et ouverte, avec solfège, danse, piano, clarinette : autant d’ouvertures stylistiques, et d’autres approches de la respiration. Mais même si la musique faisait partie de mon éducation, je ne savais pas qu’elle pourrait devenir une vocation.
Quel a été le moment marquant dans cette première formation ?
La révélation grâce à cette maîtrise, était l’opportunité de participer à de nombreux concerts et quelques productions théâtrales. J’ai découvert tout l’univers du théâtre et de la scène, tout ce qui s’anime et collabore parmi les équipes au fil des répétitions. Nous avions un programme très chargé et très motivant : autant de superbes opportunités en tant qu’enfant. C’est par ces expériences sur scène que la musique et le théâtre sont devenus une passion indissociablement unie pour moi. C’est aussi en jouant dans The Sound of Music au Théâtre du Châtelet, que j’ai découvert tout le répertoire de la comédie musicale américaine, grâce à la programmation de Jean-Luc Choplin qui nous a beaucoup ouvert en France à ces œuvres américaines (et dans leur langue originale). C’est devenu une passion que j’ai développée en renforçant cette polyvalence danse, musique et chant.
Votre première fois sur scène était en 2008, dans le spectacle musical Le Voyage de Pinocchio mis en scène par Sandrine Anglade, comment avez-vous vécu cette expérience ?
Avec beaucoup de plaisir ! J’avais 10 ans, Sandrine Anglade avait travaillé avec nous pendant près d’un an. Elle a sélectionné une vingtaine d’enfants autour d’un comédien professionnel qui jouait Pinocchio. Ce fut pour moi la découverte, non pas seulement de la scène et du plaisir de partager une histoire avec le public, mais aussi de toute la notion de travail en équipe, de troupe, le travail avec la technique : tout ce qui se passe en coulisses et en régie. C’est même cela qui m’a le plus passionnée, avec cette aventure de la tournée (et même le droit de rater l’école). D’autant que ce monde théâtral nous donnait un sentiment de liberté et d’égalité : il fallait être professionnels et nous étions considérés comme tels (par opposition avec le monde scolaire très vertical).
Comment conciliez-vous jeunesse et professionnalisme ?
Dès l’enfance, les arts du spectacle étaient une telle passion, la musique et les spectacles étaient mon épanouissement et ma joie. Toute ma classe CHAM [classe à horaires aménagés musicales, ndlr] était dans la même situation artistique, sans nécessairement nourrir l’espoir d’une carrière : nous avions une passion à partager entre enfants du même âge.
Vous avez ensuite continué dans cette voie avec de nombreux engagements, comment se sont-ils présentés à vous ?
Par des auditions. J’avais ce désir de développer des expériences sur scène. J’allais de moi-même aux auditions. Je me rappelle de ces mails de candidature que j'envoyais jeune, de moi-même, au culot (c'est notamment comme cela que j'ai eu le rôle d'Alice, la comédie musicale au Théâtre Clavel). J'avais besoin d’expérimenter ce métier et j’apprenais aussi énormément sur scène : quand on est entourée au plateau de Natalie Dessay et Laurent Naouri (pour Les Parapluies de Cherbourg), on apprend énormément. Apprendre jeune est une bénédiction. Cela permet de bâtir tout un immense travail de technique et de le conscientiser afin de pouvoir continuer sur une plus longue carrière, comme je le souhaiterais.
Étiez-vous inquiète ou mise en garde sur le fait d’aller trop vite, de passer à côté de votre jeunesse ?
Au contraire, j’ai eu l’impression de profiter de cette enfance heureuse en découvrant et en exerçant ma passion. Et puis j’ai eu la chance d’être entourée de ma famille très présente et des amis de mon âge avec qui je pouvais partager et vivre d’autres aventures.
Quand avez-vous franchi définitivement le pas esthétique d’en faire votre carrière ?
Mon année de terminale a été une étape très importante dans mon parcours, c’est à ce moment qu’en faire mon métier est devenu une possibilité, puis une réalité grâce à mes rencontres artistiques (notamment Natalie Dessay, Laurent Naouri, Michel Legrand). Ces rencontres ont été des grands soutiens et des sources d’inspirations, des véritables modèles artistiques.
Vous avez notamment été révélée à un large public en incarnant Geneviève dans Les Parapluies de Cherbourg avec ces artistes au Théâtre du Châtelet, comment avez-vous vécu cette aventure ?
D’abord avec la merveilleuse découverte de tout cet univers créé par Michel Legrand et Jacques Demy. J’avais vu le film mais je n’ai pas spécialement grandi avec. J’ai eu la chance d'auditionner pour ce rôle (j’avais 16 ans) et je m’y suis plongée en essayant d’abord d’imiter à l’oreille ces types de voix, entre le parlé-chanté, entre opéra et chanson. C’est une œuvre entièrement chantée, comme un opéra, mais avec ce vocabulaire très quotidien, dans la simplicité des mots qui fait toute la poésie de cet univers. Très étrangement, c’est venu assez naturellement : en écoutant l'œuvre seulement quelques fois, je connaissais par cœur la partition. C’est comme si nous parlions dans la vie de tous les jours et avec la sublime musique de Michel Legrand : dans cette simplicité naturelle et en même temps gravité et profondeur (c’est ce qui fait le style unique Demy et Legrand). Ensuite, la merveille était de le faire avec une telle équipe, et avec Michel Legrand qui dirigeait lui-même à l’occasion des 50 ans de cette œuvre. Ce travail a été décisif pour moi, sur le long terme. Michel Legrand est une légende aux Etats-Unis et je l’ai constaté lorsque j’ai eu la chance d’y travailler. Il a été d’une immense source d’inspiration, m’encourageant à traverser l’Atlantique et il a créé un style franco-américain que je veux continuer à transmettre comme il me l’a transmis. Je m’en suis encore rendue compte en chantant Peau d’âne : jeunes et moins jeunes connaissent ces chansons par cœur.
Comment avez-vous préparé votre rôle pour Les Parapluies de Cherbourg ?
Je n’avais rien vécu de tout ce que raconte cette histoire puisque je suis née dans une toute autre époque. Mais le travail des acteurs est aussi de rechercher en nous ce que d’autres ont vécu. Et puis il y a le support de la musique, l’aide des partenaires et des émotions. C’était aussi tout un travail d’évolution car le personnage vieillit dans l'œuvre. J’avais l’âge du rôle au début de l’histoire, mais c’était un travail de théâtre passionnant que de trouver la maturité de sa trajectoire finale. Vincent Vittoz et sa magnifique mise en scène ont été un guide génial dans tout cela, nous mettant pleinement à l’aise, et nous transportant avec les autres artistes exceptionnels.
Les Parapluies de Cherbourg sont également le premier extrait de votre album Enchantée comment l'avez-vous construit ?
Nous avons enregistré deux chansons de Michel Legrand dont une (The Moon and I) qui n’avait jamais été orchestrée. Après sa disparition, c’est une manière de continuer à faire vivre sa musique, qui résonnera encore très longtemps.
Cet album est le fruit de la rencontre avec le label Warner Erato, qui s’est faite grâce aux Parapluies de Cherbourg : Warner Erato avait réalisé la captation vidéo du spectacle et nous avons décidé de faire un disque (au moment où je chantais Peau d’âne à Marigny), avec et grâce aussi à l'Orchestre national de Lille et au Directeur musical Nicholas Skilbeck (j’avais participé à sa création Quand la guerre sera finie) : il travaille beaucoup dans le West End [à Londres, ndlr] et à Broadway. Nous avons décidé de construire un album sur un programme franco-américain, avec un ton très positif, très enthousiaste, correspondant à la couleur de ma voix, à mon âge. L’album adapte ce répertoire pour un grand orchestre symphonique : il représente mon voyage, l'univers dans lequel j’ai évolué. Nous ne savions pas quel public serait ainsi touché par ces genres différents, entre les amateurs d’opéra et de classique ou de chansons et de comédie musicale. Je suis donc très touchée qu’il soit si bien reçu par des publics de tout âge.
Comment s’est déroulé l’enregistrement à travers cette période si particulière ?
Le temps de conception et de réalisation était une période passionnante. C’était pour moi l’occasion de m’épanouir dans un travail d’enregistrement tellement différent de la performance sur scène. Cette aventure incroyablement enrichissante a abouti toujours dans ce même désir de partager le répertoire de comédie musicale américaine en le mélangeant à la culture française, à la chanson. Rassembler des mondes musicaux, pour créer un monde féerique : tel était l'objectif dans cette ambiance musicale magique. Pouvoir graver cela est un rêve qui se réalise.
Après le baccalauréat, vous avez été la plus jeune lauréate à recevoir la bourse Fulbright de la Commission franco-américaine pour étudier la comédie musicale au Marymount Manhattan College de New York, comment avez-vous vécu cette expérience ?
La vie à New York était encore un rêve qui se réalisait. Un rêve d’adolescente que de vivre dans cette ville extraordinairement active, “The City that never sleeps !”Tout y est très intense et d’un rythme effréné, fou, non-stop. Tout est démesuré aux Etats-Unis, y compris le monde du spectacle. Côtoyer et travailler avec l’excellence (présente chez ces étudiants) m'a fait découvrir le professionnalisme à l’américaine. J’étais dans le cadre d’une école, mais on ressent aussi une rude compétition. C’était aussi un rythme très éprouvant, de découvrir une telle réalité à 18 ans. La créativité y est un bouillonnement permanent (et ces auditions, avec des milliers de jeunes qui font la queue dans la rue). J’ai eu la chance d’être engagée pour incarner Chloe dans Wonderland au York Theatre dans le programme de l’université : nous devions tous auditionner pour plusieurs spectacles chaque année mais seule une petite minorité d’étudiants avait une telle opportunité. J’étais absolument ravie de pouvoir pleinement tirer profit de cette expérience car je ne restais qu’un an avec ma bourse. L'expérience professionnelle à l’américaine est irremplaçable. Leur façon de travailler au sein d’une production impose une extrême discipline.
J’ai pu continuer ensuite ma formation à mon retour en France et je continue de travailler, notamment ma voix lyrique, ainsi que l’art dramatique (cette saison je joue dans La Tempête de Shakespeare sur différentes scènes nationales). Je suis toujours en développement, toujours dans cette recherche de combiner le théâtre et le chant : les travailler séparément aussi mais pour les rassembler. Je veux me spécialiser dans cette polyvalence, via cette expérience américaine propre à la comédie musicale.
Comment prévoyez-vous de continuer à construire et développer votre carrière ?
En continuant sur le long terme à développer ma technique pour pouvoir poursuivre mon parcours dans le théâtre musical, le théâtre dramatique, l'opérette mais aussi l’opéra en fonction du développement de ma voix. Ma professeure de chant lyrique sait combien ce chemin est long, j’ai la chance d’être guidée dans cette progression. La comédie musicale réunit ces différents moyens de raconter des histoires. C'est ce que je voudrais : continuer à raconter des histoires dans la polyvalence. J’aimerais continuer à ouvrir les répertoires, continuer à travailler à l’étranger aussi, notamment aux Etats-Unis.
Vous traversez donc les genres différents, n'avez-vous pas peur de “déborder des cases” pour un esprit traditionnel qui aime bien associer un artiste à un genre ?
Je n’ai jamais senti ces cases, c’est peut-être propre à ma génération, mais pas seulement. Offenbach par exemple naviguait bien à travers différents styles et composait autant pour le théâtre que pour la musique. Bien entendu, les techniques vocales sont différentes, les techniques de projection ne sont pas les mêmes avec ou sans micro, mais la mission artistique est la même, autant dans la narration théâtrale que dans l’expression musicale : elles sont liées depuis très longtemps.
Comment avez-vous vécu cette nomination aux Victoires de la Musique Classique ?
Je suis tellement heureuse, car cela rejoint tout mon parcours et tout ce dont nous parlons ici : la polyvalence et les mariages des genres musicaux. C'est un grand honneur que d'être nommée, de pouvoir partager mon univers musical et faire ces rencontres avec d’autres musiciens de ma génération. C’est une chance incroyable de pouvoir contribuer à renforcer les liens entre les arts.
Cette année aussi les six artistes nommées dans les deux catégories lyriques sont des chanteuses, est un signal important selon vous ?
Personnellement j’espère que nous sommes reconnues surtout pour nos qualités d’artistes et je suis juste extrêmement heureuse d’en faire partie. Dans mon domaine, le genre et la tessiture servent à nous inscrire dans les rôles, rien d’autre.
Comment vivez-vous cette période si tragique et quels sont vos projets pour l’avenir ?
C’est vraiment compliqué pour tout le monde, et le plus dur est de ne pas savoir comment tout cela va évoluer. J’avais des concerts programmés pour la sortie de l'album, y compris à l’étranger, des événements en France déjà reportés et reprogrammés plusieurs fois (et toujours incertains). Mais j’ai eu la chance de travailler très jeune et cette situation est donc aussi l'occasion de prendre du temps, de continuer à travailler ma voix. J’ai la chance d’avoir une professeure avec laquelle je continue à travailler différents répertoires. C’est également l'occasion de s’enrichir culturellement, d’apprendre toujours. Il est très important de continuer le travail et de maintenir la forme physique. C’est aussi l'occasion de prendre les choses plus lentement. Il faut continuer à travailler pour nous-mêmes.
Retrouvez la liste complète des artistes nommés aux Victoires de la Musique Classique 2021,
avec les vidéos des morceaux interprétés au Concert des Révélations
Rendez-vous sur Ôlyrix le 24 février pour suivre la cérémonie en direct et découvrez d'ores et déjà les trois révélations artistes lyriques nommées, en interview :
Marie-Laure Garnier : "Continuer à être qui on est"
Jeanne Gérard : "Servir la beauté de la musique"
Marie Oppert : "Enchantée !"