Kévin Amiel : « La voix ne suffit pas à construire une carrière »
Kévin Amiel, vous êtes nommé parmi les Révélations lyriques des prochaines Victoires de la musique classique. Comment en êtes-vous arrivé là ?
Cette nomination est le fruit d’un travail avec mes agents : ces dernières années, je ne pouvais pas postuler car je n’étais pas disponible aux dates requises par les Victoires. Comme j’étais libre cette année, j’ai pu participer. Maintenant que je suis retenu, je vais essayer d’aller jusqu’au bout ! C’est une compétition bienveillante qui permet de se surpasser, sans pression malsaine.
Quelle importance accordez-vous à cette compétition à titre personnel ?
C’est une reconnaissance du métier, des professionnels mais aussi du public. Cela me rend heureux, même si je travaille déjà pas mal.
Il y a en effet un vote du public : le fait d’avoir déjà été exposé dans des émissions de télévision peut-il jouer ?
Oui, même si je ne fais pas de pronostiques. C’est vrai que j’ai eu de bons retours sur Musiques en fêtes et la soirée Roberto Alagna : les gens m’ont déjà vu. Du fait de l’avancée de ma carrière, je peux m’amuser, profiter de ce tremplin sans qu’il y ait de pression particulière. La cérémonie télévisée ne m’effraie pas car j’ai déjà fait des émissions : je commence à être habitué à cet exercice.
Comment avez-vous vécu votre première télévision ?
J’ai été très bien accueilli, à la fois par l’équipe d’Orange et par les collègues qui avaient déjà fait l’exercice. Quand je suis arrivé, Philippe Talbot, avec qui je partageais la loge, m’a conseillé de ne pas me mettre la pression. C’est à ma sortie de scène que j’ai réalisé ce qu’il venait de se passer.
Ces émissions changent-elles quelque chose dans votre rapport au public, dans votre notoriété ?
C’est sûr qu’on touche un plus large public, dont une partie ne connait pas l’opéra. J’ai eu de nombreux messages de gens qui ont découvert l’art lyrique à travers ces émissions, et de fait notamment à travers moi. J’en suis d’autant plus fier que cela ouvre des portes à des gens qui n’ont pas l’habitude d’aller à l’opéra, ou qui pensent que c’est trop cher alors même qu’il y a aujourd’hui beaucoup de tarifs abordables.
Vous avez enregistré le Concert des révélations : qu’avez-vous présenté ?
J’ai présenté trois airs : deux airs d’opéra, extraits de La Bohème de Puccini et l’Arlésienne de Cilea, que j’avais d’ailleurs chantés lors de Musiques en fête à Orange, et un air d’opérette, celui de Pâris, Au mont Ida, tiré de La Belle Hélène. L’air de l’Arlésienne est un peu mon air fétiche : je pourrais le chanter mille fois dans le mois qu’il me transcenderait toujours autant. Bohème est mon répertoire, un rôle que j’affectionne et que j’ai déjà chanté en français à l’Opéra Comique [compte-rendu, ndlr]. L’air de Pâris était moins évident, même si je l’ai déjà chanté il y a deux ans. Je voulais chanter un air en français : j’hésitais au départ entre Roméo et Juliette et Le Roi d’Ys, mais mes agents m’ont conseillé La Belle Hélène pour apporter du dynamisme et parce que j’aime jouer la comédie. Ainsi, on charme avec Bohème, on fait pleurer avec l’Arlésienne et on fait rire avec Pâris.
Que vous apporterait une Victoire ?
Cela rendrait surtout ma famille fière : le trophée prendrait d’ailleurs probablement place dans la maison de mes parents. En ce qui me concerne, le fait d’être nommé est déjà fantastique car cela donne de la visibilité, mais ma carrière est déjà lancée.
Juste après ces Victoires, vous chanterez Nemorino dans L’Élixir d’amour au Théâtre du Capitole, votre ville d’origine où vous avez chanté La Traviata la saison dernière : comment construisez-vous votre relation avec cette maison ?
On est toujours très bien accueilli quand on est chez soi. Les gens m’ont vu quand j’avais 18 ans pour mes débuts scéniques dans La Périchole avec Karine Deshayes et Jean-Philippe Lafont. Revenir dans des rôles de premier plan est une grande fierté. Toulouse m’aura offert les prises de rôles dont je rêvais. Le public sait que je suis toulousain : ça va être chaleureux. Il était question que j’y prenne le rôle de Tonio dans La Fille du Régiment, mais le projet ne se fait pas (la relation étant tissée, il y aura toutefois d’autres projets là-bas). Je crois que Christophe Ghristi [le Directeur du Théâtre du Capitole, ndlr] a confiance en moi et cela me rend heureux.
Que pouvez-vous dire de cette production de L’Élixir d’amour ?
Les répétitions n’ont pas encore commencé, donc je n’ai pas beaucoup d’information. C'est une reprise, dont on m’a dit qu’il s’agissait d’une très belle mise en scène, dans laquelle j’allais m’amuser.
Comme pour La Traviata de la saison dernière, il y a deux distributions en alternance, qu’est-ce que cela change dans le travail créatif ?
Nous alternons les répétitions d’un jour à l’autre, voire au sein d’une même journée. S’agissant d’une reprise avec peu de répétition, il est nécessaire d’être là même lorsque l’autre chanteur travaille pour s’observer. Pour La Traviata, cela s’est fait naturellement : quand l’adorable Airam Hernandez en avait marre de faire la scène, il passait le flambeau. Les distributions se mélangeaient. Cette fois, cela devrait bien se passer également car je connais déjà bien les autres chanteurs.
En effet, vous retrouverez d’ailleurs votre collègue Gabrielle Philiponet dans Falstaff à Lille juste après. Qu’attendez-vous de cette production ?
Nous avions déjà travaillé sur un triptyque Verdi avec Gabrielle au Festival de Versailles. Mon répertoire idéal s’articule autour de Massenet (pour lequel je vais attendre un peu), Puccini et Verdi : on sera en plein dedans. C’est une production qui s’est ajoutée assez tard à mon calendrier puisque c’est Xabier Anduaga qui devait chanter le rôle. Comme il a gagné Operalia, il a dû avoir une opportunité ailleurs. Heureusement, l’annulation a eu lieu assez tôt. Je suis concentré sur mon travail personnel. Je me documente sur les personnages pour pouvoir proposer des choses au metteur en scène. J’aime beaucoup travailler en collaboration car on est aussi des acteurs. À l’inverse, je n’aime pas être trop dirigé. Mais souvent, lorsqu’on a quelque chose à proposer, les metteurs en scène se rendent compte qu’on peut changer des choses par rapport à leur vision initiale.
Après avoir retrouvé Gabrielle Philiponet, vous retrouverez Vannina Santoni (qui chante Adina dans l’autre distribution de L'Élixir d’amour), dans Roméo et Juliette en concert à Montpellier et au TCE. Ce répertoire est-il important pour vous ?
Le répertoire italien l’est encore plus, de par ma typologie vocale et par les propositions que me font les maisons. Mais il est vrai que j’ai vraiment aimé chanter Faust à Marmande. Et si cette fois je chanterai Tybalt, mon ami Jean-François Borras chantant Roméo, j’ai travaillé le rôle-titre et attends avec impatience qu’on me le propose. En tant que français, il faut défendre ce répertoire magnifique.
Chose suffisamment rare pour être signalée : il s’agit là d’une distribution 100% française. Cela change-t-il quelque chose ?
Oui : ce sera l’occasion de retrouver plein d’amis ! J’en ai déjà le sourire rien que d’y penser.
Et que change le fait que l’œuvre soit donnée en version concert ?
C’est plus personnel. En version scénique, on est un personnage, caché derrière le costume, le décor ou le maquillage. En version concert ou en récital, nous sommes nous-mêmes. Nous sommes dans nos vêtements, redingote, frac ou smoking, et c’est nous qui chantons.
Revenons sur votre carrière : quelles en ont été les trois étapes clés ?
La première est la rencontre du bon professeur. J’ai eu beaucoup de chance de rencontrer rapidement le ténor lyrique Claude Minich. Il a créé les fondations de la voix et m’a donné une technique lyrique, qui m’a ensuite permis d’évoluer. Il y a ensuite l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris et le prix de l’AROP [l’association des mécènes de l’Opéra de Paris, ndlr] qui permet d’être identifié comme un chanteur apprécié de ces grands donateurs. L’Atelier permet de vraiment apprendre le métier : on y est à la fois exposé et protégé. On travaille avec des chefs de chant, des metteurs en scène et on peut chanter sur les grandes scènes, comme ce fut mon cas avec La Gioconda à Bastille. Ce fut également l’occasion de travailler intensément la voix avec Jean-Marc Bouget (pianiste et chef de chant) avec qui je collabore toujours. La troisième étape est la sortie de l’Atelier car il faut réussir à travailler par soi-même. J’ai trouvé mon agence à ce moment-là : la voix ne suffit pas à construire une carrière.
Avez-vous une stratégie de carrière ou vous laissez-vous porter par les opportunités ?
Il faut planifier tout en restant ouvert aux opportunités car je ne connais pas toutes les œuvres. Je sais où ma voix va aller : je suis au début du répertoire lyrique. Je vais chanter des Bohème et le Duc de Mantoue dans Rigoletto. Encore plus tard, il pourra y avoir Faust et Don José dans Carmen. Lorsque j’ai une proposition qui sort de cette route, je regarde la partition et j’écoute plusieurs enregistrements. Si cela me semble correspondre, j’en parle avec mon coach vocal qui me donne son avis. Si je fais quelque chose de plus lourd que mon répertoire, je réfléchis en fonction du lieu : j’ai par exemple chanté Les Contes d’Hoffmann parce que c’était dans le petit théâtre de Dijon avec 13 musiciens qui jouaient à l’arrière-scène. En revanche, j’ai refusé de chanter ce rôle à Bordeaux dans de vraies conditions [le rôle a finalement été chanté par Adam Smith, ndlr] : c’était encore un peu tôt.
Vous avez annoncé sur les réseaux sociaux en novembre que Macbeth à Massy signait votre dernier rôle de second plan en version scénique : s’agissait-il d’un constat ou d’une volonté stratégique ?
Les deux. Il faut aussi une volonté. Par exemple, Toulouse m’avait d’abord proposé Gastone dans Traviata. C’est parce que j’ai insisté pour être écouté en Alfredo que j’ai obtenu le rôle la saison dernière. Si on accepte toujours les rôles de second plan et qu’on les fait bien, il est tentant pour les maisons de continuer à ne proposer que ça. Lorsque je fais cette annonce, c’est parce que je constate que les rôles qui viennent sont des premiers plans, et ça permet d'assumer vis-à-vis des maisons d’opéra que je n’accepterai plus forcément de rôles de second plan. La carrière se construit aussi par des négociations, des rapports de force : le mental est important. Pour être crédible, il ne faut pas tout accepter. J’ai dit à mon agent que je préférais faire un rôle intéressant mais peu payé qu’un petit rôle bien payé. Bien sûr, si l’Opéra de Paris me propose un rôle de second plan, ce sera différent car c’est un très grand théâtre. J’ai eu 30 ans et c’était le moment de marquer le coup. Le métier sait maintenant que je n’accepte plus que des premiers plans, et on ne me propose d’ailleurs plus que ça.
Vous deviez chanter Le Pirate à l’Opéra de Paris, mais les deux représentations ont été annulées du fait des grèves : comment avez-vous vécu cela ?
Il y avait de la déception car j’avais beaucoup d’attentes : il y avait Michael Spyres et Ludovic Tézier que j’admire. Lorsqu’on m’a proposé le rôle, j’ai vérifié qu’il y avait des répliques avec eux et j’ai aussitôt accepté. Malgré cette déception, je retiens les 10 jours de répétition où nous avons beaucoup travaillé et rigolé. Mais les regrets viennent aussi de l’œuvre qui est superbe, et du lieu, magique, où j’étais content de revenir.
Quels sont vos projets après Roméo et Juliette ?
En août, je participerai au Festival Les Eurochestries, créé et dirigé par Claude Révolte depuis bientôt 31 ans. Je serai le parrain de cette édition 2020. Ils font venir des orchestres du monde entier, avec des enfants de 7 à 18 ans. Il y aura des concerts partout dans la région de Charente-Maritime pendant 15 jours. C’est une ambiance de colonie. Je pense que je resterai associé à ce projet car il me plait énormément. J’aime travailler avec les jeunes.
La transmission est-elle un sujet qui vous tient à cœur ?
Je me rends compte que des collègues qui n’ont pourtant que quelques années de moins que moi se posent des questions sur lesquelles je peux apporter des réponses. Je trouve qu’on manque de structures de transmission en France, il y a besoin que des gens d’expérience transmettent aux jeunes chanteurs, comme le fait Ludovic Tézier par exemple. Aux États-Unis, la pratique des master-classes est beaucoup plus développée. Dans quelque temps, je monterai peut-être une structure pour les jeunes chanteurs. Au-delà des conseils techniques, il y a besoin de conseils comportementaux, ou de gestion du mental. Aussi, j’ai eu la chance de bénéficier de trois ans de cours gratuits, car je n’avais pas les moyens de me les payer : je trouverais intéressant de développer un projet pour dispenser des cours gratuits à des jeunes talents, ou de leur attribuer des bourses. Mon attachement aux Eurochestries est lié à cela.
Vous avez récemment chanté Les Pêcheurs de perles à Turin : l’international est-il un axe important de développement de votre carrière ?
Bien sûr. J’ai fait récemment une audition à Madrid : nous verrons ce que cela donnera. Je voulais d’abord faire mon trou en France bien que ce soit difficile. Pour Turin, mon agent a su qu’ils cherchaient un Nadir et a proposé ma candidature. Pendant un moment, nous n’avions pas de nouvelles, puis ils ont demandé à ce que je passe une audition. Je n’étais pas disponible pour cela, et ai refusé. Ils ont alors décidé de me donner le rôle sans audition. J’ai adoré faire cette production et ai été très bien accueilli. Les gens m’appelaient Maestro, ce qui m’a fait drôle : c’est flatteur et surtout trop tôt !
Le fait de ne faire que des premiers plans, sur des rôles plus lourd, va jouer sur l’évolution de votre voix : comment anticipez-vous cette évolution ?
C’est bien d’avoir un répertoire établi, mais il faut savoir en sortir. Les récitals permettent de se tester sur des rôles qu’on n’est pas prêt à chanter. Cela permet d’anticiper ce que l’on sera capable de faire plus tard. Je discute beaucoup avec mon coach et avec mes agents. La couleur de la voix et les propositions que l’ont reçoit établissent aussi l’évolution du répertoire. Bien sûr, la volonté personnelle joue aussi. Je préfère faire évoluer tranquillement mon répertoire, et en sortir de manière occasionnelle, lorsque les conditions sont réunies.
Retrouverez-vous de fait les rôles de premier plan que vous prenez cette saison dans les saisons suivantes ?
Je pense. Nemorino dans L’Élixir d’amour, par exemple, est une leçon de chant : les lignes sont magnifiques, belcantistes. C’est un rôle qu’il ne faut pas abandonner de sa carrière : Pavarotti le chantait d’ailleurs encore à 60 ans.
Quelles seront vos prochaines prises de rôle ?
Il y aura principalement un Lenski dans Eugène Onéguine. Je reprendrai également Falstaff, Alfredo et Nadir. J’ai auditionné à Madrid avec le Duc de Mantoue, donc j’espère l’ajouter aussi à mon répertoire. C’est un opéra qui se joue partout et qui est dans mes cordes. Cela ne me gênerait pas de prendre ce rôle à Madrid parce que j’aime les défis.
Est-ce un objectif pour vous d’enregistrer un album ?
C’est un projet auquel je réfléchis avec mon agent, même si cela m’émoustille moins que les projets sur scène : plus jeune je voulais faire du théâtre ou des arts martiaux. Il n’y a pas d’urgence personnelle ou émotionnelle. C’est un passage obligé dès lors qu’on commence à être visible. De fait, j’ai beaucoup de demandes en ce sens de la part du public : cela me fera plaisir de faire plaisir à ces gens.
Ôlyrix a interviewé, comme chaque année, les trois artistes lyriques nommés dans la catégorie Révélations :
Marie Perbost : « Il faut valoriser les femmes qui ont de l’âge »
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