Aslam Safla remporte le 2ème Concours Voix des Outre-mer
Les 14 candidats interprètent un air chacun leur tour, puis reviennent pour un second. Voici la liste des interprètes dans l'ordre de passage (qui mélange âges, tessitures, régions, catégorie jeune talent ou non) :
Joé Bertili, baryton, Guadeloupe : "Donne mie, la fate a tanti" (Cosi fan tutte de Mozart) & "À quoi bon l'économie" (Manon de Massenet). Cette voix sonore, puissamment marquée d'accents, au phrasé un peu haché mais chantant, porte haut et fort jusqu'aux aigus, dans le dolce aussi. Les éclats des intentions s'expriment même les pieds cloués au sol avec un vibrato tendu.
Candice Albardier, soprano, Réunion (jeune talent) : "Batti, batti, o bel Masetto" (Don Giovanni de Mozart) & "Petite dinde ! Ah, quel outrage" (Véronique de Messager). Voix suave aux appuis ténus sur de délicates harmoniques, tendues mais jouant pourtant d'intentions charmantes. Le médium reste un peu voilé et distant mais esquisse des appuis graves assis autant qu'élancés vers un aigu vibrant de soutien.
Luan Pommier, soprano, Guadeloupe (jeune talent) dans "V'adoro pupille" (Jules César de Haendel) anime chaque section de phrasés -qui manquent de continuité- sur quelques voyelles ouvertes, des montées tendues vers l'aigu, une grande expressivité gestuelle et de visage. Sa carte maîtresse est conservée pour la toute fin : un grand médium longuement vibré et encore davantage une immense vocalise maîtrisée sur "Je veux vivre" (Roméo et Juliette de Gounod).
Gaetane Rietsch, mezzo, Guyane (jeune talent) : "Voi che sapete" (Les Noces de Figaro, Mozart) & "Lascia ch'io pianga" (Rinaldo de Haendel), dont la fougue avance littéralement d'un côté et de l'autre avec des intentions haletantes pour une voix dans ses balbutiements lyriques.
Paulo Tovar, baryton, Réunion (jeune talent) : "Deh, vieni alla finestra" (Don Giovanni de Mozart) & Les Berceaux (mélodie de Gabriel Fauré sur un poème de Sully Prudhomme). Avec la tendresse d'élans zozotant et candides, de voix et de bras, il plonge comme d'autres la soirée dans une ambiance d'audition de fin d'année.
Laurence Desdouets, Saint-Pierre et Miquelon : "Caro mio ben" (arie antiche) chanté comme une ballade pop présente une voix chaude et ronde, pleine de souffle dans tout l'ambitus. Sa Habanera de Carmen, unique en son genre, pourrait aussi être considérée comme un très lointain hommage à La Callas qui avait également oublié les paroles, mais sans perdre ses moyens.
Amanda Pinard, soprano, Guadeloupe : "L'ho perduta" (Les Noces de Figaro, Mozart) & "Ave maria" (Cavalleria Rusticana de Mascagni) très émouvant avec quelques élans vocaux à l'image de sa robe aux fleurs rosées. Sa voix ample et soutenue est appuyée sans déperdition de souffle, plafonnant dans les aigus mais avec douceur, sans pourtant se laisser restreindre par la délicatesse des personnages.
Anaïs Siosse, Saint-Pierre et Miquilon : "E' amore un ladroncello" (Cosi fan tutte de Mozart) & "Čury mury fuk" (Rusalka de Dvorak). Dans sa très belle robe à fleur et son sourire entraînant, elle déploie une voix uniformément vibrée en élans tendus et fouettés, d'endurants appuis mais sans que la ligne ne se libère.
Aslam Safla, baryton, Réunion : "Quand la flamme de l'amour" (La Jolie Fille de Perth, Bizet) & "Ho capito Signor si!" (Don Giovanni de Mozart). Le vainqueur du concours fait l'unanimité par sa voix très sonore et amplement appuyée, avec des lignes et phrasés à la fois limpides et sombres, très résonnants dans le grave et cuivrés d'harmoniques.
Mélodie Tarrieu, soprano, Martinique : "Heureux petit berger" (Mireille de Gounod) & "Pour la fête où l'on vous appelle" (Dardanus de Rameau). Les passages d'un registre à l'autre sont très complexes, sautant et détimbrés mais avec une pointe d'accent champêtre.
Mathias Sylvestre, baryton, Guadeloupe : "Ho capito Signor si!" (Don Giovanni de Mozart) & "It ain't necessarily so" (Porgy and Bess de Gershwin). Le port de voix est hachuré, les intentions appuyées mais avec peu de corps sonore dans les graves.
Laura Flam, Martinique : "Ô toi qui prolongeas mes jours" (Iphigénie en Tauride de Gluck) & "O splendor degl'astri, addio!" (Nabucco de Verdi). Sa voix de gorge emporte la palme du volume sonore, les sommets sont de puissantes lames sur un phrasé refluant et très droit.
Emeline Daribo, Guyane : "Summertime" (Porgy and Bess de Gershwin) & le Lamento de Didon (Purcell). Élégantissime dans sa robe cintrée aux cuisses, avec une voix très en-dehors et peu ancrée.
Aurélie Sudul, soprano, Réunion : "Zeffiretti lusinghieri" (Idomeneo de Mozart) & "La Veuve du colonel" (La Vie Parisienne d'Offenbach), investie dès le récitatif dans sa tenue de tunique romaine et de long souffle, avec inflexions en fins de phrasés et appuis de vocalises (mais qui ratent justesse et ancrage).
Jeff Cohen les accompagne au piano avec métier. L'indolence de son soutient qui réarrange parfois les lignes (ôtant ou ajoutant des ornements) suit avec souplesse le rythme, confortant en fait les interprètes d'autant qu'il sait les rattraper dès que besoin.
Récompenses
Mention du Jury : Aurélie Sudul
Coup de cœur du Jury & Prix du Public : Luan Pommier
Prix Jeune Talent : Candice Albardier
Grand Prix : Aslam Safla
Jury
Richard Martet, Rédacteur en chef d’Opéra Magazine (Président du Jury)
Julien Leleu (Président du Concours)
Karine Deshayes, soprano (marraine du concours)
Philippe Jaroussky (contre-ténor)
Jean-Michel Dhuez (Radio Classique)
Greg Germain (voix française de Will Smith)
Zahia Ziouani (cheffe d'orchestre)
Jean-Philippe Thiellay (Directeur adjoint à l'Opéra de Paris)
Alain Lanceron (Président de Warner Classics & Erato)
Frédérique Gerbelle (Les Grandes Voix)
Raymond Duffaut (Centre Français de Promotion Lyrique)
Hugues Rameau (Classique C'est Cool)
Certains artistes (les lauréats), même si le chant n'est pas encore leur activité principale et même s'ils ne travaillent que depuis peu leurs voix lyriques, savent déjà poser un soutien puissant (à la mesure d'un Amphithéâtre) et vocaliser avec sûreté. D'autres découvraient à peine l'opéra (les présentateurs du concours insistant aussi systématiquement qu'étonnamment sur le fait qu'ils n'aient jamais pris de cours de chant, comme s'il s'agissait d'une qualité).
De fait, le palmarès de ce concours était une évidence absolue dès le premier tour de chant, dès les premières notes émises par chacun des candidats. Pourtant, le jury se vit attribuer un très long temps de délibération mais fort heureusement bien occupé pour le public avec des prestations d'autres artistes ultra-marins et en particulier par Marie-Laure Garnier (dont nous avons parlé à une douzaine de reprises). Le duo des chats de Rossini est aussi lyrique que sensuel avec Fabrice di Falco (et Jeff Cohen qui aboie en chien). La soprano donne l'exemple du musical et du spiritual avec un lyrisme qui swingue, intense dès le pianissimo et déployé dans tout l'auditorium.
Le public passe une merveilleuse soirée, visiblement charmé par toutes les prestations et une ambiance faite de pure bienveillance.
Cette édition du Concours Voix des Outre-mer à peine refermée, les auditions reprennent dès ce mois de janvier à travers le globe. Il serait cependant bon d'envisager une cadence moins soutenue qu'une compétition tous les ans (Lyon ou Venise ont bien des Biennales artistiques) : le temps que se renouvelle le vivier lyrique ultra-marin.