Soirée festive à Stockholm : Le Prix Birgit Nilsson accompagné par Christina Nilsson et Bryn Terfel
La première moitié du mois d’octobre ne marque pas seulement la fête du prénom « Birgit » en Suède, mais elle commémore également les débuts de la fameuse soprano « La Nilsson » à l’Opéra Royal de Stockholm dans le rôle d’Agathe (Der Freischütz de Weber) en 1946. C’est en outre la période choisie pour décerner le Prix Birgit Nilsson, l’un des plus prestigieux de la musique classique, s’élevant à un million de dollars. Cette année (qui marque d’ailleurs le centenaire de la soprano suédoise), le prix, qui a récompensé Placido Domingo, Riccardo Muti et l'Orchestre Philharmonique de Vienne, est décerné à la soprano suédoise Nina Stemme, une héritière de Nilsson dans le répertoire exigeant wagnérien et straussien.
En présence du couple royal ainsi que des représentants de la Fondation Birgit Nilsson, de l’Opéra et de l’Académie royale de musique de Suède, les discours rendent hommage aux carrières de Nilsson et de Stemme, par les souvenirs des intervenants – surtout de la présentatrice, Mary Beth Peil, actrice américaine (dans les séries New York Police judiciaire, Dawson ou encore le film Drôle de couple 2), initialement étudiante d’opéra qui avait été saisie par l’art vocal et la gestique de Nilsson.
La cérémonie s’entremêle à des numéros musicaux : trois romances scandinaves, interprétées par la jeune soprano Christina Nilsson, ainsi que trois monologues tirés des opéras Le Vaisseau fantôme, Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg et Falstaff, tous les trois chantés par Sir Bryn Terfel, ce qui enthousiasme une salle presque comble (malgré les prix augmentés). Christina Nilsson, ayant fait ses débuts en Aida en février (avant celui d'Ariadne prévu à Francfort et à Lausanne), aborde le répertoire de récital tant apprécié de Birgit Nilsson et de ses admirateurs. Fusionnant les styles du romantisme et du XXème siècle, les romances du finlandais Jean Sibelius (1865-1957) et du suédois Ture Rangström (1884-1947) offrent à l’interprète une belle occasion de développer de longues lignes musicales et son timbre attirant, surtout dans son registre aigu. Elle sait peindre l’atmosphère de rêve dans la première romance (« Var det en dröm » – Était-ce un rêve ?). Son abord direct et alerte est très approprié pour la narration si essentielle dans ces morceaux. L’orchestre de la maison obéit au bâton d’Evan Rogister. Ayant dirigé la phalange à la première d’Eugène Onéguine et étant prévu comme chef du Ring des Nibelungen à Göteborg (2018-2021), il se montre attentif et accommodant. En accord avec le texte, il peint un paysage sonore rêveur ou d’une largeur épique ou mystique, toujours avec un bon instinct pour la dramaturgie du numéro.
Le choix d’engager Bryn Terfel est intéressant et révélateur. Il représente de plusieurs façons le contraire de l’art vocal qu’incarnent Stemme et Nilsson, c’est-à-dire le chant parfaitement égalisé et maîtrisé. Les trois monologues choisis lui donnent une belle occasion d’exposer son art de comédien. Son interprétation du monologue du Hollandais prend son temps, son côté passif-agressif se mêle au trait introspectif, et il se sert de toute sa palette d’expressions pour peindre la progression du personnage. Sa deuxième intervention est le monologue de Hans Sachs du deuxième acte des Maîtres Chanteurs. Sa présence scénique est énorme, et avec des moyens simples mais efficaces –enlevant même sa chaussure pour l’utiliser comme l'accessoire du cordonnier, avec une tenaille sortie de sa poche– il emploie un chant tour à tour doux, confiant, euphorique et souriant pour communiquer l’état changeant du rôle. Finalement, il aborde le discours sur l’honneur de Falstaff, un rôle qu’il a chanté l’année dernière à Bastille. La variation de couleurs vocales et sa présence totale se réunissent ici ; en parfaite collaboration avec l’orchestre.