Éblouissantes odes de Purcell par Hervé Niquet et son Concert Spirituel à Lyon
Au service du Roi d’Angleterre Charles II, Henry Purcell (1659-1695) a pour mission de composer des musiques festives pour les divers événements de la cour, à l’image de l’éclat et du prestige de celles de Versailles. Tout en s’inspirant de l’art français, Purcell sait créer une musique proprement anglaise en gardant les principes de la polyphonie élisabéthaine. La Reine Mary est également un important soutien pour le compositeur, qui devait lui offrir des odes musicales anniversaires. La sixième et dernière, Come ye Sons of Art (Allons, fils des Muses), est donnée en avril 1694.
La soirée commence avec cette œuvre joyeuse, qui s’ouvre par de fiers appels entre les cordes et les vents, hautbois et trompettes. Ces oppositions sont un peu déséquilibrées, les deux trompettes couvrant facilement les deux hautbois et les réponses du quatuor à cordes paraissent petites. Le chœur se montre de suite très attentif à la précision, nécessaire dans cette acoustique qui n’aide pas la compréhension du texte. La voix du chanteur alto ressort trop par rapport à ses collègues du pupitre, néanmoins, grâce notamment à la direction souple et sensible du chef, la musique fait oublier ces petites mises en chauffe, laissant apprécier la tendresse de Purcell envers sa protectrice.
Malheureusement, l’année 1694 marque également la mort de la Reine Mary, emportée par la variole. Événements d’une extrême importance, fruits de travaux superbes et fédérateurs entre tous les arts, les funérailles officielles ont lieu en mars 1695. En complément de la traditionnelle musique de Thomas Morley (1557-1602), Purcell compose la sublime Music for the Funeral of Queen Mary. Après la sombre marche funèbre, ponctuée des sourds et pesants roulements de timbales, le chœur interprète « Man that is born of a woman hath but a short time to live » (L’homme né de la femme n’a qu’un court moment à vivre), accompagné du seul orgue positif. Ce moment est porté par des phrasés sans artifices qui servent la douce harmonie colorée et touchent en plein cœur. Quelques rares et discrètes incertitudes de certains chanteurs amoindrissent ce moment d’extase, mais l’auditeur est déçu que l’entracte arrive déjà.
Dès avant cela, la renommée de Purcell encourage les commandes extérieures à la cour royale. En 1692, la Musical Society lui demande une nouvelle œuvre pour célébrer la sainte patronne des musiciens, Sainte Cécile : Hail ! Bright Cecilia (Vivat ! Radieuse Cécile). La symphonie d’ouverture est effectivement brillante, vivante et festive, notamment grâce aux éclats des trompettes. Cette ouverture instrumentale permet d’admirer la direction toute particulière d’Hervé Niquet : parce que chaque phrase musicale est d'une couleur unique, chaque geste du chef l’est aussi, avec justesse et précision. Aussi efficace soit-elle ce soir, il est certain qu’elle ne peut fonctionner que grâce à l’assurance et à la personnalité des musiciens. « Hark ! hark ! each Tree its silence breaks » (Écoutez ! écoutez ! Chaque arbre rompt son silence) est particulièrement agréable, la basse obstinée créant un mouvement à la fois stable et très vivant sur lequel conversent le chœur et les instruments du dessus, « unis comme des frères par une même sympathie ». La musique est encore plus explicite par le figuralisme subtil et intelligent du « Soul of the World ! Inspir’d bu thee » (Âme du monde ! Par toi inspirés) : le chœur est plein et sûr, les harmonies sont superbes. Il est seulement dommage que le chœur ne soit pas plus attentif à la diction nécessaire dans cette acoustique généreuse de la Grande Chapelle.
Sans trop attendre, Hervé Niquet offre en bis l’éclatant final « Hail ! Bright Cecilia, Hail to thee ! » (Vivat ! Radieuse Cécile, gloire à toi !), avec encore plus d’entrain, d’investissement et de contrastes, enthousiasmant le public.