Entretien avec Stéphane Degout et Simon Lepper, premiers maîtres de l'Académie Orsay-Royaumont
Compte-rendu : l'inauguration de l'Académie Orsay-Royaumont
Stéphane Degout, Simon Lepper, nous avons présenté l'Académie Orsay-Royaumont dans nos colonnes, quelle est votre perspective sur cette nouvelle initiative, vue de l'intérieur ?
Simon Lepper : C'est une opportunité incroyable pour d'excellents duos d'approfondir ce qu'ils font déjà, avec l'aide de mentors. Ils ont déjà de véritables voix musicales et à tous les stades de la vie d'un duo, il est précieux d'avoir une perspective extérieure. La tierce personne permet de sortir des visions duelles. C'est la raison pour laquelle nous sommes réunis ici, car nous sommes venus ici-même voir ensemble Ruben Lifschitz. L'idée est donc de les placer au centre de l'expérience. En travaillant mais aussi en vivant dans cet endroit ensemble, les artistes gagnent à se connaître davantage en tant que duos et même, ils ont pu tisser des liens de groupe, à huit. À Royaumont, il n'y a rien d'autre à faire que d'être à Royaumont, nous y sommes tels des moines séculiers.
Stéphane Degout : D'autant que la collaboration entre Royaumont et Orsay n'est pas un hasard. Orsay dispose de notre répertoire de mélodies en version picturale. Certains artistes vont au musée, se nourrissent constamment. Avec cette Académie ils ont tout sous la main : ils verront et chanteront parmi les références picturales de leur travail. Il y aura ainsi des récitals dans les salles mêmes du Musée d'Orsay. C'est rare et précieux.
Pouvez-vous nous raconter la semaine de formation que vous venez de passer ?
Stéphane Degout : Nous avons travaillé les programmes qu'ils avaient préparés, dans une ambiance très agréable car il n'y a pas d'obligation de résultats immédiats, pas de concert pressant : la restitution de tout à l'heure n'est pas un concert mais une "Fenêtre sur Cour", leurs récitals viendront plus tard. On ouvre des voies, on pose des questions, sous des angles différents et nouveaux, techniques et structurels, imaginatifs aussi : c'est le travail qu'on fait tous les jours.
Simon Lepper : Nous le faisons tous les jours mais aussi car nous avons appris à le faire ici à Royaumont. Il y a ici un sens du temps et de l'espace qui n'est pas celui des conservatoires, pas celui des concours à préparer. Cela permet de voir combien de détails composent les mélodies, combien l'interprète peut investir dans une milliseconde de musique.
Comment avez-vous organisé le travail ?
Simon Lepper : Chaque session fait collaborer chanteur et pianiste chez les candidats mais aussi chez les formateurs alors que trop souvent l'un d'eux est laissé en retrait (souvent le pianiste).
Stéphane Degout : Ainsi, Simon a fait ses sessions avec les pianistes et moi avec les chanteurs et nous avons travaillé leurs programmes. L'un des duos prépare le prochain Concours Wolf de Stuttgart alors bien que notre résidence était surtout consacrée à la mélodie française, nous avons évidemment travaillé leur répertoire.
Simon Lepper : C'est pour moi un exemple qui montre que ces sessions sont centrées sur les étudiants, non pas sur ce que peut démontrer le maître en master-class. Ces lieux permettent aussi de changer le programme de travail, d'approfondir quand nécessaire, de laisser reposer.
Vous avez même eu des moments de partage, dont un atelier de cuisine d'époque.
Stéphane Degout : C'est arrivé au bon moment et cela nous a fait très plaisir. Il faut faire autre chose et parler d'autre chose pour ne pas devenir fou.
Simon Lepper : Former un duo ne veut pas forcément dire être des amis inséparables, mais tout le temps passé ensemble aide à se comprendre et être à l'aise sur scène.
Leur avez-vous donné des conseils en complément du travail musical ?
Simon Lepper : Ayant fait partie d'un certain nombre de jurys pour des compétitions, j'ai attiré leur attention sur l'ordre d'un programme, les morceaux à mettre en premier et en avant, comment s'adresser à l'auditoire et le préparer.
Comment va se dérouler cette première présentation de leurs travaux ?
Stéphane Degout : Ils auront vingt minutes chacun pour interpréter leurs morceaux et montrer le travail, qui se prolongera en un cours public.
Simon Lepper : C'est aussi pour eux une occasion de se montrer en tant que lauréats. Présenter un travail en cours mais aussi un résultat et qui ils sont.
Évidemment, travailler la mélodie à Royaumont convoque la mémoire de Ruben Lifschitz qui a formé ici des générations d'interprètes. Après avoir été si longtemps ses élèves, l'imitez-vous un peu en tant que professeurs ?
Stéphane Degout : Du mimétisme, je ne sais pas mais nous passons assurément par les mêmes chemins. On fait le même métier, je me rends compte que les difficultés qu'ils rencontrent se sont présentées à moi et que je les ai réglées quand j'étais jeune chanteur, notamment avec Ruben. La différence tient au fait qu'il était pianiste. Le point de vue était donc différent mais fondamentalement le travail est le même.
Simon Lepper : Je cite souvent Ruben car une grande part de ma vision musicale s'est forgée avec lui à l'époque. Je m’absorbe dans le texte et les gestes naturellement grâce à lui et j'espère pouvoir transmettre ce qu'il m'a appris.
Qu'est-ce qui vous a surpris chez ces jeunes interprètes ?
Simon Lepper : Ils sont tous très prêts. À leur âge, je n'étais pas aussi formé musicalement, c'est peut-être une question de génération.
Stéphane Degout : Mais c'était encore un peu fragile, ils ont une direction mais pas forcément dans la longueur. C'est pourquoi ils ont besoin d'une oreille extérieure.
Simon Lepper : Pour prendre du recul, changer de perspective, mettre en rapport le micro et le macroscopique.
Avez-vous également travaillé le lien avec l'opéra ?
Stéphane Degout : Naturellement, pour ma part j'ai toujours mis le récital et l'opéra en regard. Les échos sont évidents, le lien chez Debussy entre Bilitis et Mélisande, dans Les Poèmes du souvenir de Massenet qui ont la patte de l'opéra. Les perspectives sont très intéressantes à explorer.
Ce lien entre récital et opéra dans votre carrière est-il l'une des raisons qui vous ont fait accepter de travailler pour cette Académie ?
Stéphane Degout : Oui, c'est arrivé au bon moment. De même lorsqu'Aix-en-Provence m'a demandé de faire son Académie j'ai tout de suite dit que c'est le récital qui m'intéressait dans ce contexte et non pas l'Opéra. En quantité, je fais davantage d'opéra, mais je ressens plus d'affinité avec la petite forme mélodique (même si cela dépend des opéras bien entendu). J'ai toujours eu une curiosité, avant même la musique, pour la poésie et pour le texte, même pour le théâtre (je faisais du théâtre avant de savoir que j'allais chanter).
Avez-vous abordé ces dimensions théâtrales cette semaine ?
Stéphane Degout : Oui bien sûr. Certaines mélodies mettent clairement en scène un personnage à traiter. Hier et avant-hier nous avons d'ailleurs eu la visite de Clément Hervieu-Léger de la Comédie-Française qui a apporté un regard théâtral et littéraire sur ces œuvres. Nous parlons fondamentalement de la même chose. Lui à travers le texte et la poésie, nous avec le prisme de la musique.
Quelles sont les différences entre l'Académie du Festival d'Aix-en-Provence et celle d'Orsay-Royaumont ?
Stéphane Degout : À Aix nous avions dix jours mais avec beaucoup de concerts la deuxième semaine. Aix est immergé dans le mouvement du Festival alors qu'ici, à Royaumont, nous avons le luxe de laisser les choses ouvertes, inachevées, de se tromper et de recommencer.
Qu'est-ce que cette semaine d'enseignement vous a apporté à vous deux en tant qu'interprètes ?
Simon Lepper : Cela rappelle combien il y a de détails à travailler dans la musique et qu'il ne faut jamais cesser de revenir à la partition. Quelle que soit l'expérience et la connaissance qu'on pense avoir d'une œuvre. J'étais aussi impressionné par le temps d'entraînement et de répétition que consacrent ces jeunes artistes à la musique. C'est quelque chose d'indispensable à 20 ans.
Stéphane Degout : Nous avons travaillé beaucoup d'œuvres différentes dont certaines que je connais extrêmement bien pour les avoir beaucoup chantées. Je me suis rendu compte qu'ils allaient dans d'autres directions, que je n'avais pas encore explorées. Cela rappelle que les choses ne sont pas arrêtées. Ce n'est pas parce que j'ai appris les Histoires naturelles de Ravel il y a vingt ans que je les chante comme il y a vingt ans. Elles changent tout le temps, c'est très beau : l'idée de revenir à des œuvres, de leur laisser le temps d'être différentes. Tout cela a surgi car nous avons échangé, nous n'avons pas dit qu'il fallait faire comme-ci et comme-ça.
Enfin, quels sont vos prochains projets liés à la mélodie ?
Simon Lepper : Stéphane a le disque Debussy avec Alain Planès qui sort en ce moment même (compte-rendu de leur récital aixois). Ensemble nous avons l'enregistrement de la tournée effectuée l'année dernière, le programme Schumann-Fauré enregistré à l'Athénée par B Records (compte-rendu). Nous allons aussi enregistrer un disque de ballades dans quelques mois et nous préparons aussi notre tournée de récital pour 2020, avec des idées encore en cours de travail, peut-être La Bonne chanson de Fauré, le Livre de chansons italiennes d'Hugo Wolf avec deux pianos.