Berlioz & Beethoven en un Temple Universel
La Révolution française fut évidemment un événement qui bouleversa l’Europe et enthousiasma les plus fervents défenseurs des libertés, particulièrement celles de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. Le compositeur allemand Ludwig van Beethoven (1770-1827) fut de ceux-là. Bien que déçu des hommes, sa foi en l’humanité l’encouragea souvent à composer sous l’influence de ses valeurs. Il les retrouva dans sa lecture du poète Friedrich Schiller, notamment dans son Ode an die Freude (« Ode à la joie » - 1785). Après des années de recherches, Beethoven réussit à composer en 1824 sa 9ème Symphonie, œuvre majestueuse dont le dernier mouvement fait preuve d’une audace inédite pour une pièce symphonique : en plus de l’orchestre, un chœur et quatre solistes chantent le texte de Schiller, appelant le monde entier à la fraternité, à la solidarité et à la paix. Cette « dernière symphonie » est créée à Vienne le 27 mai 1824.
Hector Berlioz (1803-1868) en était un grand admirateur. Son père Louis Berlioz, médecin à La Côte-Saint-André, esprit libre et éclairé, fut un réel modèle pour son fils qui en hérita l’esprit utopique et qui sut le cultiver encore davantage par lui-même. Malgré le nationalisme grandissant qui précède la guerre franco-prussienne de 1870, Berlioz fut toujours poussé par une vision universelle. D'autant que l’époque de l’Entente cordiale entre la France et le Royaume-Uni l'encourage à composer en 1861 Le Temple universel, une cantate à double chœur, chacun chantant dans sa langue (français et anglais), sur un texte de Jean-François Vaudin. Le projet initial, dont la création était prévue lors d’un festival choral au Crystal Palace de Londres, fut abandonné. Il n’en reste alors qu’une version pour chœur d’hommes et orgue datant de 1867 et uniquement en français. La courte œuvre fut rarement interprétée, certainement en 1905 pour la seconde Entente cordiale et en 1948 au Théâtre des Champs-Élysées dans une version orchestrée. Le Festival Berlioz a eu à cœur, pour cette édition 2018, de proposer une nouvelle version avec orchestre de cet « autre hymne européen » qui n’omette pas le texte en anglais, dont l’orchestration est confiée au jeune compositeur Yves Chauris.
Le concert, dans la Cour du Château Lous XI de La Côte-Saint-André, débute justement par Le Temple universel. Le fougueux Berlioz avait certes imaginé un chœur d’au moins un millier de choristes, ils sont ici au nombre bien plus raisonnable d'une cinquantaine, tout de même issus de trois chœurs différents : le Chœur Spirito, le Jeune chœur symphonique et le Chœur d’oratorio de Lyon. La qualité certaine de leur préparation chorale pour le Requiem de Berlioz interprété une semaine auparavant semble hélas avoir été leur priorité. Le chœur manque de précision d’ensemble, d’homogénéité, parfois de justesse –surtout dans les aigus tendus. Le discours musical est alors difficilement compréhensible, la rencontre des textes en français et en anglais n’aidant pas davantage. L’orchestre est quant à lui un accompagnateur discret et attentif (si l’orchestration n’est assurément pas de la main de Berlioz, elle respecte et sert l’œuvre avec finesse en la parant de très intéressantes couleurs).
Le premier mouvement de la 9ème Symphonie, Allegro ma non troppo, qui débute sur une incertitude balayée par le déferlement du premier thème, étonnamment simple et efficace, manifeste le génie de Beethoven. Il contraste avec le second thème, plus doux et lyrique, confié aux bois, dont on aurait souhaité idéalement une présence à la fois plus franche et colorée. Le développement est sautillant, avec quelques contrastes et même des moments terribles. Certaines cordes ne sont pas parfaitement ensemble aux premiers abords –les archets ne pouvant cacher ces défauts– mais l’ensemble gagne en précision. Cet accroissement de vigilance permet, particulièrement aux cordes, de belles couleurs et des phrasés cohérents. Le deuxième mouvement Molto vivace n'est certes pas dénué de reliefs, toutefois les premiers temps, systématiquement marqués forte sur la partition, ne sont pas assez prononcés pour produire de véritables effets surprenants. Le Scherzo, pris dans un tempo relativement confortable, est parfois joueur, surtout lorsque les timbales coupent violemment la parole à la petite harmonie ou lors des silences interrogateurs –sans doute un peu longs toutefois par rapport à la précise mesure du compositeur. Le tempo choisi donne cependant un aspect tragique à cette première partie de mouvement. Au contraire, le trio Presto sonne beaucoup plus allant. Il faut reconnaître tout le mérite du corniste, malgré la vitesse exigée et la difficulté de son instrument. La reprise du Scherzo garde un tempo plus joueur et moins prudent, certains spectateurs ne pouvant alors s’empêcher d’applaudir la fin du mouvement. Le troisième mouvement, aux lignes longues et à l’atmosphère sereine, fait entendre de très belles couleurs feutrées. Les variations de ce mouvement lent sont très exigeantes en attention de la part des musiciens, qui restent vigilants quant aux gestes souples de leur chef. Il manque toutefois un peu de lyrisme sincère pour ne pas perdre parfois l’attention de l’auditeur.
Après la courte et tempétueuse « fanfare de l’effroi », les violoncelles et les contrebasses prennent la parole en exposant leur récit insistant entrecoupé de citations des mouvements précédents. Émerge alors discrètement une allusion au thème de ce quatrième et dernier mouvement, que reprennent les violoncelles et contrebasses, apaisés. Repris, ce thème gagne en intensité jusqu’à son exposition triomphale avec trompettes. Lors de cette douce progression, il est dommage de ne pas entendre davantage le sublime et génial contre-chant du basson qui passe ici complètement inaperçu, même en tendant l’oreille.
Après un bref rappel de l’effroyable fanfare, le baryton-basse Laurent Alvaro fait entendre sa voix pleine et puissante, d’une assurance presque provocatrice (le sourire au coin des lèvres et la main dans la poche) mais étrangement bienvenue. S’il sait toutefois se faire moins présent lors des ensembles du quatuor de solistes, celui-ci ne sonne ni équilibré, ni homogène. La voix du ténor Sébastien Droy, certes sensible et investi, n’a malheureusement pas la puissance de projection de son collègue et paraît fort éloignée. La mezzo-soprano Adèle Charvet souffre également de la difficile position de voix intermédiaire et ne réussit pas à se faire parfaitement entendre, bien qu’elle ne soit pas restreinte au grave de son instrument. La soprano Jenny Daviet n’a pas non plus d’intervention hors quatuor, c’est bien dommage car elle montre une voix douce mais projetée, avec justesse, sur une technique assurée. Les chœurs sont eux aussi pleins d’assurance. Malgré la difficulté de la partition, ils se montrent plutôt homogènes, équilibrés et enthousiastes.
La soirée se termine dans un Prestissimo déchaîné et éclatant, ne manquant pas d’impressionner un public toujours ravi d’entendre ce chef-d’œuvre monumental, sacré héritage d’un grand humaniste laissé à la postérité. Berlioz l’avait compris malgré son temps. Souhaitons que ce message puisse être entendu aujourd’hui encore.