Interview avec Kimy Mc Laren pour l'album "Amours vécues"
Ecouter l'album "Amours vécues"
Comment est né « Amours vécues »?
L'album est né de ma rencontre avec Hannelore Guittet [du label NoMadMusic, ndlr], qu'un ami commun m'a présenté. On a accroché tout de suite et on a discuté de différents programmes. J'ai finalement eu carte blanche pour me mettre en valeur. Dans cet album, il ne s'agissait pas de répondre à des critères, comme la célébration de l'anniversaire d'un compositeur, mais de me présenter. J'ai beaucoup apprécié cette liberté. J'ai choisi des pièces qui étaient de vraies « pantoufles » dans lesquelles je suis à l'aise, comme les bilitis [Les Chansons de Bilitis de Debussy, ndlr], et des explorations que je n'avais jamais chantées, et que rêvais d'interpréter. Souvent sur le parcours d'une chanteuse, les professeurs et les coachs vocaux recommandent de se concentrer sur un programme de récital et de l'approfondir. Pour moi c'est impossible, parce que plus je découvre et plus j'ai envie d'explorer !
Pour le construire vous dites avoir fonctionné à l'instinct. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Je n'ai pas essayé d'agencer des compositeurs pour qu'il y ait une suite conséquente, très élaborée ou trop réfléchie. Pas du tout. Si une pièce me plaît et que cela me plaît de l'interpréter, je la fais, un point c'est tout. Si j'affectionne une œuvre, alors je vais être capable de communiquer quelque chose au public.
Comment avez-vous choisi les mélodies ?
Je me sens bien dans la musique française et c'est ce que j'avais envie d'offrir cette fois.
En explorant des compositeurs et différentes versions. Par exemple, pour La Mort d'Ophélie, j'ai regardé ce que Berlioz avait fait. J'avais d'autres idées avant de commencer cet album et de fil en aiguilles, je découvrais de plus en plus de belles choses à faire. La sélection a été très longue et on voulait vraiment créer un équilibre dans cet album. Je voulais qu'il sorte des sentiers battus, tout en étant accessible. Les Nuits d'été sont magnifiques, un véritable chef-d’œuvre, mais c'est intéressant de voir ce qui se trouve à côté. Cet album, c'est comme une carte de visite, une présentation. Je me sens bien dans la musique française et c'est ce que j'avais envie d'offrir cette fois.
Vous avez choisi d'aborder des cycles entiers (Poème d’octobre de Massenet, La Bonne Chanson de Fauré). Était-ce important pour vous de ne pas les dissocier ?
Cette fois-ci, oui. Massenet, je l'ai d'abord découvert à Marseille dans Cléopâtre [Kimy Mc Laren y tient le rôle d'Octavie en 2013, ndlr]. Maurice Xiberras, le directeur, m'avait programmé un récital dédié à ses mélodies. Je me suis lancée dans une longue recherche pour savoir lesquelles me plaisaient davantage et je suis tombée sur le cycle Poème d'octobre. Le musicologue qui suivait mon travail avait souligné qu'on ne disait pas « Les » Poèmes d'octobre, mais bien « Le » Poème d'Octobre et qu'il s'agissait ainsi d'un cycle indissociable aux yeux de Massenet. J'ai voulu respecter ça. Il s'agit en plus d'un cycle plutôt court. Évidemment, à l'intérieur j'ai mes préférées (rires) ! Tous les goûts sont dans la nature et c'est important de toutes les offrir à l'auditeur. Quand je faisais des recherches, je n'aimais pas lorsqu'il n'y avait pas tout sur un album, que ce soit uniquement à la discrétion de la chanteuse. J'avais envie de me faire ma propre idée et qu'on me laisse découvrir. La Bonne Chanson de Fauré peut être hermétique, et c'est bien de pouvoir présenter son cycle en intégral. Cet album n'est pas fait pour être écouté intégralement, mais plutôt de manière tronçonnée. L'idée derrière, c'était de pouvoir écouter à tout moment des cycles intégraux de manière isolée. J'aurais aimé en mettre plus, mais à un moment donné cela faisait trop !
Comment s'est passée la collaboration avec Michael McMahon, qui vous accompagne au piano ?
Je travaille avec Michael depuis mes débuts. On se connaît depuis vingt ans et il vit à Montréal. Cela allait de soi que c'était lui sur l'album. Les Chansons de Bilitis, nous les avions déjà interprétées ensemble et la plupart des pièces, il les avait déjà faites avec d'autres chanteurs. Cela a été une fabuleuse collaboration, car j'ai pu bénéficier de son expérience, de son regard sur les œuvres, de ses impulsions. Quant à moi, je lui ai fait découvrir Massenet et Berlioz ! On s'est vus plusieurs fois pour monter notre programme et ensuite on est venu à Paris pour enregistrer.
Kimy Mc Laren incarne Juliette à l'Opéra-Théâtre de Metz-Métropole © Arnaud Hussenot
Votre rentrée se fait sous le sceau de l'amour. Vous venez tout juste d'être Juliette dans le Roméo et Juliette de Gounod mis en scène par Paul-Emile Fourny à l'Opéra de Metz (25, 27 et 29 sept) et vous le serez à nouveau à Reims le 11 et 13 octobre. L'alchimie a-t-elle tout de suite prise avec Florian Laconi ?
Oui ! Avec Florian, on avait travaillé ensemble sur Faust avec Paul-Emile Fourny. Le noyau dur de l'équipe était donc le même. Déjà pour Faust, l'alchimie avait opéré. On avait eu un beau succès d'ailleurs, le public avait été très content. On l'a même repris, mais sans Florian malheureusement. De se retrouver sur Roméo et Juliette, du même compositeur de surcroît, c'était du coup très intéressant ! Je pense que l'alchimie fonctionne ! Avec Florian, nous sommes tout de suite dans le jeu. Il aime beaucoup improviser, ce qui est agréable car les émotions ne sont pas plaquées, le jeu est dynamique.
Comment voyez-vous votre Juliette ?
Juliette est une jeune fille qui a du cran.
Juliette est une jeune fille qui a du cran. Elle est rebelle et courageuse à la fois. Bien-sûr, elle aime sa famille, mais elle a une pointe d'impétuosité. C'est elle qui propose à Roméo de se marier. Après ça, elle décide d'avaler du poison pour passer pour morte. Elle embarque aussi la nourrice dans le projet. Ce n'est pas rien tout de même ! Il faut arriver à le faire ! Contrairement à Marguerite, par exemple, elle ose beaucoup de choses. Cette ligne, ce caractère téméraire et indomptable était très intéressant à creuser et à construire.
Vous êtes-vous sentie immédiatement à l'aise dans la mise en scène ?
Oui. J'avais été le voir à Avignon, lorsque Sonia Yoncheva tenait le rôle, pour observer la mise en scène. J'avais pris en note que le jeu était au centre de la réflexion. Paul-Emile ne s'encombre pas d'accessoires, il se concentre sur le jeu de ses acteurs, sur leurs relations, sur le développement des personnages. Tout est davantage symbolique, comme l'escalier en colimaçon. Pour cette reprise, j'ai été embarquée très facilement. Paul-Emile sait exactement ce qu'il veut. Il reprend aussi la production pour la quatrième fois ! Il n'y a donc pas autant de recherche que lorsque il s'agit d'une création. Attention, il n'était pas fermé du tout à ce que je proposais. Il me laissait faire et regardait où cela menait. Pour le bal, j'y suis allée avec envie, mais Paul-Emile m'a recadré en me disant : « Non, à ce moment là, tu n'es pas contente du tout d'aller au bal ! On t'y oblige ! ». Je suis donc allée chercher ailleurs, puiser une autre énergie. Parfois, on changeait quelque chose et d'autres fois rien. C'était très vivant au final ! Il a même changé la scène finale à la pré-générale !
Vous avez un répertoire très vaste qui vous permet de chanter du baroque (Rameau, Purcell), Mozart (Susanna et Cherubino, Elvira, Pamina), le répertoire allemand (Wagner, Strauss), du contemporain (Berg, Britten), en passant également par le répertoire français (Massenet, Gounod, Bizet) et la comédie musicale (Sondheim, Rodgers). Dans quoi vous sentez-vous le mieux ?
Ce qui me touche le plus, c'est la période romantique et le début du XXe siècle. J'aime la musique, son expression. Je ne suis pas fermée à un seul répertoire. Lorsque l'on me propose un rôle, j'essaye de voir si je peux le faire et le défendre. Si oui, j'y vais. L'exploration fait grandir une chanteuse. Il y a des rôles qu'on ne pensait pas faire et qui deviennent de vraies découvertes. C'est tout un cheminement. Dans le métier, on prend parfois de véritables claques ! Je ne suis pas une star non plus. Cet éclectisme n'est pas forcément un choix. Il l'est dans le sens où je peux refuser et ne l'est pas dans le sens où si je dis non, je me ferme des portes. Les difficultés que l'on surmonte dans l'apprentissage d'un rôle repoussent nos limites et peuvent servir les rôles ultérieurs. Certains chanteurs restent concentrés sur cinq rôles et ne font jamais fait autre chose. J'imagine que quelque part, ils y trouvent leur compte... Pour ma part, explorer fait partie de ma nature !
Aimeriez-vous revenir à la comédie musicale ?
Avec plaisir. Cette fois-là [Carousel en 2013, ndlr], c'était grâce au Châtelet et à Jean-Luc Choplin qui avait pour ambition de faire chanter des personnes du lyrique et non dites de « Broadway » dans ce registre. C'était donc un énorme privilège d'avoir pu toucher à ça. On chante, on danse, il y aussi une partie acting. Il y a les rencontres que cela provoque aussi. Jo Davies, la metteuse en scène de Carousel m'a appris plein de choses qui me servent énormément aujourd'hui. C'est pour ça qu'il ne faut pas avoir peur d'accepter un rôle. On ne sait jamais à quel niveau cela peut nous aider et nous pousser. Si Broadway m'invitait, j'irais demain matin. Mais rares sont les occasions pour une chanteuse lyrique d'accéder à ce répertoire. Après, je ne retournerais pas dans une comédie musicale si ce n'est pas avec quelqu'un qui a l'audace de Monsieur Choplin. Pour Carousel, Je pense avoir bien défendu le rôle et l'avoir bien chanté (rires) !
Vous avez maintenant plus d'une trentaine de rôles à votre actif. Quels sont ceux qui vous font rêver aujourd'hui ?
Je rêve de Blanche des Dialogues des Carmélites !
Je rêve de Blanche des Dialogues des Carmélites ! Bien que j'aie essayé souvent, je n'ai jamais eu le rôle. J'aimerais bien aussi chanter Mélisande [Pelléas et Mélisande de Debussy, ndlr] et peut-être un jour la Maréchale du Chevalier à la Rose, ce serait exquis ! Interpréter une Susanna [Les Noces de Figaro de Mozart, ndlr] pétillante, aussi. J'ai fais beaucoup de rôles, mais j'ai rarement eu la chance de les rejouer dans d'autres mises en scènes, avec d'autres chefs d'orchestre, ce qui m'offrirait une nouvelle vision des rôles et une occasion de les étoffer. Cela fait onze ans que je travaille avec mon agent et je suis véritablement dans une période de découvertes. Les gens vont peut-être penser à moi de manière différente et peut-être qu'un sillon se creusera alors de manière naturelle.
Quelle chanteuse pensez-vous être dans dix ans ?
Ma voix ne va pas changer beaucoup, je pense. Quand j'écoute les grandes chanteuses, en général les graves prennent de l'assurance. C'est la grâce que je me souhaite. Je me vois peut-être prendre des rôles de Comtesse ou Thaïs [Thaïs de Massenet, ndlr]. Je vais pas non plus devenir une wagnérienne. J'adore Wagner, mais je suis réaliste aussi. Sieglinde [La Walkyrie, ndlr], ce serait un rêve certes, mais inaccessible ! Si c'est le cas dans dix ans, je serai la plus heureuse. Je pense plutôt que je vais parfaire le chemin que j'ai déjà pris. En tous les cas, aussi longtemps que je chanterai, je serais heureuse !
Quels sont vos prochains projets ?
Elektra à l'Opéra de Montréal dans lequel j'interpréterai la cinquième servante. J'enregistrerai un autre album en quatuor avec l'intégrale des valses de Brahms, les deux opus, à Montréal cette fois-ci.
Propos recueillis le 2 octobre 2015
Kimy Mc Laren incarnera Juliette dans Roméo et Juliette, mis en scène par Paul-Emile Fourny, les 13 et 17 octobre à l'Opéra de Reims. Plus d'infos et réservations.
L'album "Amours Vécues" de Kimy Mc Laren et Michael McMahon est sorti le 22 septembre sous le label NoMadMusic. Il a été enregistré à l’Abbaye de Port-Royal des Champs en 2014. Découvrir la tracklist complète & m'offrir l'album.
01 - La mort d’Ophélie, Hector Berlioz 7:06
La Bonne Chanson, Gabriel Fauré
02 Une sainte en son Auréole 2:22
03 Puisque l'aube grandit 2:07
04 La lune blanche luit dans les bois 2:17
05 J'allais par des chemins perfides 1:55
06 J'ai presque peur en vérité 2:23
07 Avant que tu ne t'en ailles 2:46
08 Donc, ce sera par un clair jour d'été 2:40
09 N'est-ce pas ? 2:42
10 L'hiver a cessé 3:11
11 - Heure vécue, Jules Massenet 2:04
Poème d’octobre, Jules Massenet
12 Prélude 1:18
13 Automne 2:09
14 Les marronniers 2’17
15 Qu’importe que l’hiver 1’46
16 Roses d’octobre 2’10
17 Pareil à des oiseaux 2’37
18 Nanny, Ernest Chausson 2’27
19 La dernière feuille, Ernest Chausson 2’10
20 Hébé, Ernest Chausson 2’35
Trois chansons de Bilitis, Claude Debussy
21 La flûte de Pan 2’49
22 La Chevelure 3’42
23 Le Tombeau des Naïades 2’56