Jean-Romain Vesperini : "Pour moi, Lucia est une femme libérée"
Jean-Romain Vesperini, vous avez fait l’an dernier vos débuts comme metteur en scène à l’Opéra de Paris dans Faust (Gounod). Les conditions étaient très particulières…
Cela a été une expérience incroyable, un véritable défi. Il a fallu travailler dans des délais extrêmement restreints, d’autant que l’œuvre, d’une durée de 3h20, est conséquente. La difficulté venait du fait que la situation n’ait pas pu être anticipée. Les choses se sont faites progressivement. J’étais en effet assistant sur le Faust de Jean-Louis Martinoty en 2011. Contrairement à ce qui a été dit, je n’étais pas son assistant personnel, mais celui de l’Opéra de Paris. Autrement dit, je n’étais pas son collaborateur – il avait sa propre assistante – et j’ai finalement eu peu de contacts avec lui. La mise en scène devait entrer au répertoire. Mon rôle était donc de collecter tous les éléments nécessaires à une reprise de la production.
Nous nous sommes vite aperçus que nous ne pouvions pas nous contenter de modifier la mise en scène de Faust à la marge
Lorsque l’Opéra de Paris m’a contacté pour reprendre la mise en scène, je n’ai pas accepté car je n’y adhérais pas. Plus tard, Michel Plasson, qui était engagé pour cette reprise depuis quatre ans, a vu la vidéo du spectacle et a demandé à ce que la mise en scène soit modifiée. C’est à ce moment-là, six mois avant la première, que je suis entré dans ce nouveau projet. Très vite, nous nous sommes aperçus que nous ne pouvions pas nous contenter de modifier la mise en scène à la marge : Martinoty a donc souhaité à juste titre que son nom n’apparaisse plus, et nous avons retravaillé tous les aspects de la mise en scène, avec comme contrainte de conserver le décor, car le temps et le budget manquaient pour la création d’un nouveau décor digne de Bastille. En revanche, nous avons créé de nouveaux costumes, de nouveaux accessoires, et avons ajouté un ballet dont je suis très content.
Les programmes de répétition étant conçus plusieurs années à l’avance, ils ne peuvent pas être modifiés et nous n’avons eu que deux semaines de répétition, comme s’il s’agissait d’une simple reprise. Les salles et les artistes n’étaient tout simplement pas disponibles pour faire plus. Je n’ai par exemple eu que quatre séances de travail avec le chœur, qui est tout de même composé de 90 artistes !
Comment avez-vous vécu la première ?
C’est évidemment une énorme pression que de mettre en scène un opéra aussi connu avec de telles pointures en fosse et sur le plateau. Ajouté au fait que cette nouvelle mise en scène héritait d’un ancien décor, on savait que certains journalistes, plutôt que d’essayer de comprendre les tenants et les aboutissants préféreraient tirer à boulets rouges. Heureusement pas tous, et surtout le public a été ravi de ce projet un peu hybride. Vu l'augmentation du taux de remplissage au fur et à mesure des représentations, l’opération a été un succès.
Idlar Abdrazakov en Méphistophélès dans la mise en scène de Faust par Jean-Romain Vesperini à l'Opéra de Paris (crédit : © Vincent Pontet)
Quel bilan en tirez-vous, quelques mois après ?
La mise en scène ne devait au départ être jouée qu’une saison. Stéphane Lissner a finalement décidé de la garder au répertoire, car le public avait été très réceptif. Je ne sais pas encore quand elle sera reprise, mais il faudra probablement changer quelques petits détails. Cela étant, lorsque je revois des photos ou des vidéos de la production, au vu de toutes les contraintes, je suis assez satisfait du résultat.
Vous mettez aujourd’hui en scène Lucia de Lammermoor pour les opéras de Rouen, Limoges et Reims. Pouvez-vous nous décrire votre vision de l’œuvre ?
Je ne voulais pas actualiser l’œuvre. Non pas que les actualisations me déplaisent mais je trouvais que l’œuvre ne s’y prêtait pas bien. La structure musicale répond à des conventions, des codes musicaux et par conséquent donne un cadre rigide à l’opéra. La cavatine, suivie de la cabalette, les répétitions du texte… Cela rend le travail d’actualisation moins intéressant. Je cherche toujours à privilégier l’émotion du spectateur et une actualisation ne me semblait pas apporter grand-chose de ce point de vue. Pour autant, je ne voulais pas non plus faire une lecture trop littérale de l’œuvre. Du coup, le décor est un monolithe symbolisant le château des Lammermoor s’enfonçant dans le sol. Cette idée vient de la fin du roman de Walter Scott, dans lequel Edgardo s’enfuit à cheval et périt dans des sables mouvants, symbolisant la ruine de sa famille.
Le décor de Lucia, relativement abstrait, permet de développer l’imaginaire du spectateur
Le décor est unique mais différents espaces et différentes ambiances sont créés grâce à la rotation du monolithe, à un jeu de rideaux et aux lumières de Christophe Chaupin. J’avais déjà collaboré avec lui à plusieurs reprises. J’ai beaucoup d’estime pour lui car c’est un artiste avec un large bagage technique. Il connaît parfaitement le matériel, ce qui permet de trouver très rapidement les bons appareils, les bons angles. Finalement, ce décor, relativement abstrait, permet de développer l’imaginaire du spectateur et va au-delà d’une simple image d’Epinal.
Avez-vous opté pour une neutralité similaire pour les costumes ?
Non, cela aurait rendu l’ensemble trop terne. Les costumes, que nous avons retravaillés jusqu’au dernier moment, rappellent le XIXème siècle. En revanche, nous avons choisi de ne pas les typer géographiquement. Nous avons simplement distillé des clins d’œil à l’Écosse avec des tartans dans les doublures de veste, par exemple. Mais dans un opéra bel canto italien, mettre des chanteurs en kilt aurait finalement été aussi perturbant que d’actualiser l’œuvre.
Je ne voyais pas Lucia comme la victime déjà pâle et malade qui est souvent représentée, mais comme une femme libérée
Nous avons cherché à travailler le caractère de Lucia que je ne voyais pas comme la victime déjà pâle et malade qui est souvent représentée, mais comme une femme libérée, qui répond à son amant, puis se révolte contre son frère, avant d’assassiner son mari. Nous l’avons donc habillée en pantalon, et la chanteuse n’en est pas moins sexy. D’ailleurs, elle me fait penser à Lauren Bacall [une actrice américaine de cinéma, ndlr]. Son frère, est habillé d’une veste de cuir afin de lui donner une stature et une structure. Le costume de Raimondo est sobre, sans pour autant être un costume de prêtre, car Donizetti n’écrit nulle part qu’il l’est. Pour Alisa, nous souhaitions une certaine modernité, adaptée à la jeunesse de son interprète.
En ce qui concerne les chœurs, je les ai traités différemment que dans mes précédentes productions. J’avais jusqu’ici l’habitude d’individualiser les costumes, c’est-à-dire que chaque artiste avait un costume qui lui était propre : chacun était un personnage à part entière. J’aime cela. J’apprends d’ailleurs systématiquement le nom et le prénom de chaque artiste du chœur, y compris à l’Opéra de Paris où ils sont pourtant nombreux. Dans Lucia, les chœurs représentent à mes yeux une masse unique qui vit et évolue, sans être personnifiée. Il y a donc un costume unique pour les hommes et un autre pour les femmes.
Comment percevez-vous votre distribution ?
Dès le départ, l’idée était de retravailler avec Venera Gimadieva. Nous avions collaboré il y a quatre ans sur la Traviata. C’était sa première production en France et sa prise de rôle scénique de Violetta (elle l’avait déjà chanté une fois en version concertante). De mon côté, c’était ma première mise en scène de cette ampleur. Nous avons depuis noué une amitié qui perdure.
Venera Gimadieva (crédit : © Leonid Semenyuk / Pavel Vaan)
Le reste de la distribution a été choisie en concertation avec les directeurs de casting de Limoges et de Saint-Etienne (l’Opéra de Saint-Etienne devait à l’origine être coproducteur, avant que sa participation ne soit annulée du fait de l’incertitude ayant suivi les dernières municipales). Nous avons cherché à garder une certaine jeunesse dans la distribution, à l’opposé de ce qui est généralement fait, notamment pour les rôles d’Alisa et Raimondo. Il s’agit de prises de rôle pour tous les chanteurs à l’exception de Deyan Vatchkov qui a déjà interprété Raimondo dans sept productions.
La distribution sera reprise quasiment intégralement à Limoges et Reims. Seul Carlos Natale qui interprète Arturo sera remplacé par Enguerrand de Hys. Le chœur sera en revanche différent à Reims. Finalement, c’est Antonello Allemandi, le chef d’orchestre, qui aura le plus de travail car l’orchestre change pour chaque reprise.
Justement, comment interagissez-vous avec le directeur musical ?
Nous nous sommes très bien entendus avec Antonello Allemandi, notamment en ce qui concerne le choix des passages à couper. Nous avons décidé de garder l’air de Raimondo qui est très souvent coupé. Il nous a semblé que cela soulignait l’ambiguïté du personnage, qui défend Lucia, avant de l’obliger à signer. Et puis c’était important pour que le rôle reste intéressant pour Deyan Vatchkov, son interprète. De même, nous avons gardé l’intégralité du final. En revanche, nous avons coupé la scène de la tempête qui ralentit l’action et n’apporte pas grand-chose. Lorsqu’un duo est long, il est toujours plus facile de créer une diversité d’action lorsqu’il s’agit d’un duo d’amour que d’un duo d’hommes qui se provoquent en duel.
Pouvez-vous nous présenter vos prochains projets ?
Je suis aussi metteur en scène de théâtre et reste très attaché au principe de ne pas abandonner un domaine pour l’autre. Mes mises en scène d’opéra nourrissent mes projets au théâtre et inversement. Juste après Lucia, je commence les répétitions d’un texte contemporain de Hanokh Levin. On créera le spectacle à la Comédie de Picardie en janvier 2016. A l’opéra, je collaborerai une dernière fois avec Peter Stein en juin prochain au Bolchoï sur La Damnation de Faust [de Bizet, ndlr]. Et en projet plus lointain, l’Opéra de Saint-Etienne m’a confié une nouvelle production d’Adrienne Lecouvreur de Cilea, dont l’héroïne est justement une grande actrice de théâtre.
Retrouvez le compte-rendu du spectacle par Ôlyrix.
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