Eva Zaïcik : « Par amour de la musique et par désir de partager de beaux moments »
Eva Zaïcik, votre année 2018 commence très bien, avec une nomination parmi les Révélations Artistes Lyriques aux Victoires de la Musique Classique. Où étiez-vous quand on vous a annoncé la nouvelle ?
J'étais chez moi, je m'apprêtais à partir à une répétition. Mon agent m'a appelée pour me l'annoncer. Il a joué à l’ascenseur émotionnel : « Eva, je suis désolée car je n'ai pas une bonne nouvelle : tu es nommée dans la catégorie "Révélation Lyrique aux Victoires de la Musique" et tu ne vas pas passer un Noël tranquille (rires). »
Quelle a été votre première réaction ?
J'ai sauté partout dans mon salon avec mon amoureux. Je me suis rapidement mise au travail, notamment pour gérer mon stress.
Que vous apporte cette nomination aux Victoires ?
C'est une chance immense et un honneur, même si cela s'accompagne de son lot de peur et de doute. Cela va me permettre de me faire entendre plus largement et de montrer au grand public ma personnalité artistique plurielle, à laquelle je tiens. Je n'aime pas les étiquettes. Dans mon programme, il y avait de l'opéra et de la mélodie, du baroque et du répertoire plus lyrique. Cela m'a permis aussi de me présenter au jury avec mes partenaires musicaux privilégiés (le pianiste Romain Louveau et le claveciniste Justin Taylor) qui sont des gens que j'admire et avec lesquels je suis heureuse d'avoir de nombreux projets à venir.
Comment vous préparez-vous à la cérémonie ?
Avec concentration. C'est l'aboutissement d'un travail régulier. Mais j'ai beaucoup d'autres échéances avant, donc je prends les choses dans l'ordre. J'essaye également d'anticiper et d'organiser au mieux mon voyage car il sera très fatigant. Je serai en production à l'Opéra de Perm (en Russie) avec Le Poème Harmonique.
Avez-vous déjà écrit un discours au cas où vous gagneriez ?
Je n'ai pas écrit de discours, mais j'ai quelques idées. Je sais en tous cas qui je voudrais remercier.
Quel message avez-vous envie de transmettre au public qui vous découvre et qui pourrait voter pour vous ?
Je fais ce métier par amour de la musique et par désir de partager de beaux moments avec mes collègues et avec le public. Je voudrais également encourager la jeune génération à venir aux concerts et à l'opéra. C'est au moins aussi vivant et intéressant qu'une bonne série. Je dis cela en bonne addicte à Netflix ! On a maintenant la chance d'avoir des associations chefs / metteurs en scène / scénographes qui permettent vraiment de faire réfléchir, quitte à surprendre. Il est loin le temps où chaque chanteur venait avec sa propre mise en scène dans son propre costume pour un rôle donné. L'opéra peut être abordable et dorénavant tout est fait pour le rendre accessible, pour toutes les générations, même si j'ai bien conscience que certaines musiques demandent une culture musicale afin de pouvoir les apprécier. Et quand on touche du doigt le bonheur et les émotions qu'un ouvrage lyrique peut procurer, difficile de ne pas y plonger tout entier. Si j'ai pu apporter au public un peu de joie, d'émotion, alors je suis comblée.
Connaissez-vous et pouvez-vous nous dire quelques mots sur les autres révélations Lyriques 2018 : Chloé Briot et Marie Perbost [qui a hélas dû renoncer, pour cette année, à la compétition] ?
Je connais Marie du Conservatoire où nous avons étudié en même temps et elle est devenue une très bonne amie. Je suis très triste qu'elle ait dû abandonner la compétition la veille du concert des Révélations, c'est terrible. Nous sommes vulnérables, nous chanteurs, lorsqu'il s'agit de notre santé, et face à une laryngite on ne peut pas lutter et chanter sans risquer de s'abîmer vraiment la voix. Elle a eu beaucoup de courage de faire ce choix raisonnable. J'espère sincèrement qu'elle aura toute la lumière qu'elle mérite à l'avenir. En revanche je n’avais jamais croisé Chloé, même si je la suis depuis quelques années en tant qu'artiste. C'est une fille pétillante que j'aime beaucoup voir sur scène. Elles ont toutes les deux une forte personnalité artistique et une belle énergie.
Connaissez-vous certains artistes nommés dans d’autres catégories (à retrouver dans notre article) ?
Oui, je connais la plupart d’entre eux. J'ai eu la chance de chanter dans le même Festival que le violoncelliste Bruno Philippe il y a des années, puis aux Chorégies d'Orange lors du Concert des Révélations de l'Adami l’été dernier. Je n’avais jamais rencontré les autres révélations instrumentales Sélim et Nicolas, mais j’ai eu grand plaisir à faire leur connaissance. J'ai hâte de les écouter à travers les vidéos, car je n'ai pas pu les entendre le soir du concert. Dans les artistes confirmés, il y a Sabine Devieilhe qui est l’une des chanteuses les plus brillantes de notre génération. J'espère avoir l'occasion de chanter un jour avec elle. Elle a une intelligence du chant qui est très rare en plus d’avoir une technique admirable. C’est en plus une personne géniale. J’ai eu l’occasion d’entendre Ludovic Tézier cette année dans Don Carlos et j’ai été épatée par sa prestation. Quant à François Leroux, j’aime son sens du texte. J’ai d’ailleurs eu la chance de suivre une de ses masterclass sur la mélodie française, lors de mes études à la Maîtrise de Notre-Dame et c’était passionnant. J’admire Victor-Julien Laferrière pour son jeu intelligent, ses couleurs et le son dense et chaleureux de son violoncelle. C’est l'un de mes instruments préférés et je suis très heureuse de voir deux violoncellistes nommés cette année. J'ai moi aussi mis à l'honneur une magnifique violoncelliste avec laquelle j’ai joué un Lied de Chostakovitch au concert des révélations enregistré à Radio France.
Est-ce que vous regardez vous-même en spectatrice les cérémonies de ce genre ?
C’est un peu l'événement de l’année où la musique classique est mise à l’honneur à une heure de grande écoute. Alors j’ai regardé par curiosité, pendant des années pour découvrir de nouveaux talents et depuis 3-4 ans parce que j'ai toujours des amis qui y chantent et y jouent.
D'une manière générale, est-ce que vous avez le temps de vous intéresser à l'actualité lyrique ?
Évidemment, je vais aux spectacles dès que possible, cela m'intéresse beaucoup et me nourrit artistiquement. Certaines productions m'ont particulièrement marquée. Récemment, j'ai été touchée par le Pelléas et Mélisande de Bob Wilson : magique et ultra poétique. J'ai été bouleversée par le Miranda cinématographique et poignant du duo Raphaël Pichon/Katy Mitchell. J'ai adoré l'univers théâtral et scénographique de Thomas Jolly dans Fantasio. J'ai aussi été très émue par la vision de Tcherniakov sur Carmen à Aix. J'ai trouvé cette relecture très intelligente, drôle et profondément tragique. Cela m'a rappelé un peu l'univers des séries télévisées Westworld et Black Mirror. J'ai d'ailleurs pu voir cette production grâce à la nouvelle technologie (Culturebox et Arte Concert). J’ai aussi été voir la générale de Jephtha la semaine dernière à Garnier et ai été subjuguée par la beauté de cet opéra merveilleusement servie par Les Arts Florissants. Mention spéciale à Katherine Watson qui m’a fait pleurer d’émotion pour la deuxième fois cette année (après Miranda).
Mais ma claque vocale de 2017 est encore décernée à Elina Garanca que j'avais vue en Charlotte et Carmen et que j'ai encore pu voir en Eboli. Remplir Bastille comme elle le fait, c'est admirable. Je l'ai aussi regardée sur le site du Metropolitan Opera lorsqu'elle chantait le rôle d’Octavian (Le Chevalier à la rose de Strauss) : elle est fascinante ! Une Voix et une comédienne hors norme.
Enfin il y a eu Play à l'Opéra Garnier, un ballet contemporain d'Alexander Ekman qui fait retomber en enfance. C'est ludique, beau, intelligent, féerique. J’aimerais pouvoir tout voir, mais le temps manque.
Revenons sur votre parcours : qu'est-ce qui vous a donné envie de vous consacrer au chant ?
J'ai toujours aimé chanter et très jeune j'ai fait partie d'une chorale dans laquelle j'ai évolué pendant plusieurs années. J'ai aussi chanté dans un groupe de rock pendant des années avec mes amis de lycée. C’est à la fin d'un concert que la mère d'un des membres du groupe m'a dit que j'avais une belle voix et que je devrais la travailler en lyrique. J’ai donc été sur ses conseils m’inscrire au conservatoire de ma ville. C’était un hobby, mon intention et mon rêve depuis toujours étaient de devenir médecin. J’ai donc entamé des études de médecine, mais le concours étant ce qu’il est, j’ai dû arrêter toutes mes activités musicales. C’est alors que j’ai pris conscience que la musique et le chant en particulier étaient essentiels à mon équilibre et à mon bonheur et que je ne pouvais absolument pas m’en passer. J’ai donc abandonné mes études de médecine au grand dam de ma famille et me suis consacrée au chant. Je ne savais pas du tout dans quoi je mettais les pieds. J’ai débuté mes études de chant à 20 ans en ne sachant quasiment pas lire une note de musique. J’ai d’abord étudié à la maîtrise de Notre-Dame de Paris, où j’ai découvert un univers musical incroyable et infini et j'ai dû me mettre à niveau en vitesse. J'ai ensuite, sur les conseils de mon professeur de l’époque, passé le concours du CNSM, où j'ai pu compléter ma formation de chanteuse. J'y ai abordé plus particulièrement et en profondeur l'opéra, la mélodie, découvrant la dimension scénique qui me manquait encore.
Si le virus n’était pas encore installé, cette fois c’était fichu ! (rires) Mes années au CNSM ont été fantastiques, quelle formation de luxe nous avons la chance d’avoir en France !
À partir de quand la tessiture de mezzo-soprano s'est-elle précisée pour vous ?
Ayant mué tardivement, ma tessiture s’est précisée aussi tardivement, me contraignant dans une tessiture qui n'était pas la mienne. Et même si j'ai toujours été intimement convaincue de la nature véritable de ma voix, j'ai eu besoin de temps pour l'imposer. J'ai la chance d'avoir une voix longue, mais cet avantage est aussi un inconvénient, car les gens se posaient souvent la question du soprano ou du mezzo, et chacun y allait de son avis. Depuis plusieurs années, j'ai réussi à rassembler toutes les voix dans ma voix, pas seulement celles que j'ai dans la tête (rires), et à trouver une homogénéité ainsi que mon identité vocale dans la tessiture de mezzo-soprano.
Durant votre formation, quel est le professeur qui vous a le plus marquée ?
Ma professeure de chant Elène Golgevit qui est particulièrement importante pour moi. La rencontrer lors de ma première année au CNSMDP, c'est comme avoir trouvé ma baguette dans le magasin d'Ollivander, le fabricant de baguettes magiques d'Harry Potter. Le travail que l'on fait ensemble est total. Elle est extrêmement exigeante et bienveillante, elle me soutient, me conseille pour le répertoire et elle est très présente.
Avez-vous encore un professeur et/ou un coach ?
Bien sûr ! J'ai mes chefs de chant Charlotte Bonneu et Frédéric Rubay, ainsi que ma professeure de théâtre Bénédicte Budan. Je me suis aussi faite coacher pour être en confiance en faisant du Mindfulness (Pleine conscience), de l'hypnose Ericksonienne et de l'EFT (Emotional Freedom Techniques) pour cette échéance des Victoires, qui est de loin ce que j’ai vécu de plus stressant.
Avez-vous des modèles ?
Tellement ! Les artistes qui ont formé mon oreille sont souvent des mezzos. Parmi l'ancienne génération, Lorraine Hunt (l'émotion brute), Christa Ludwig, Brigitte Fassbaender, Janet Baker. Parmi les actuelles et autres tessitures, Natalie Dessay avec laquelle j’ai découvert l’opéra (je suis fascinée par l'engagement total avec laquelle elle interprète tous ses personnages), Sarah Connolly (dont je me sens très proche par le choix de son répertoire, sa sensibilité et son éclectisme), Elina Garanca (superbe comédienne, avec la technique et la puissance vocale), Anita Rachvelishvili (voix incroyable). Je suis très sensible au timbre des voix. La voix est le miroir de l'âme, donc si une voix me touche, c'est que souvent la personne va me toucher aussi.
L'opéra est un art total, art de la voix mais aussi du théâtre, comment travaillez-vous votre jeu d'actrice ?
Pour mes auditions et autres concours je travaille avec mon amie comédienne et metteuse en scène Bénédicte Budan. Elle m'a coachée pour mon entrée au CNSM et pour toutes les échéances importantes depuis. Une relation de confiance s'est établie et j'attends le jour où nous serons rassemblées à l'opéra dans une mise en scène qu'elle aura signée. J'ai évidemment beaucoup appris des cours d'Art Lyrique au CNSM. J'apprends aussi dans le travail avec les metteurs en scène et mes collègues sur scène.
Quelle est votre plus belle expérience lyrique pour l'instant ?
C'est difficile de choisir, il y en a eu tellement en si peu de temps. L'Orfeo était une expérience incroyable, Didon l'était tout autant malgré les conditions extrêmes dans lesquelles j'ai pris part à une production récente. Les Vêpres de Monteverdi aux BBC Proms avec Pygmalion étaient peut être l'expérience la plus mémorable : 6.000 personnes qui applaudissent à tout rompre après avoir écouté religieusement deux heures de musique magique, cela m'a fait pleurer. La Flûte Enchantée également, j'y ai rencontré des personnes et des artistes merveilleux et nous sommes devenus très proches. Et enfin, je citerais la tournée avec le Jardin des Voix dans des salles incroyables et la magie des concerts avec William Christie.
Quel est le rôle dans lequel vous vous êtes sentie la plus à l'aise vocalement et scéniquement ?
Didon, même si je regrette de n'avoir pu préparer le rôle, ni développer mon personnage, n'ayant eu aucune répétition avant de le jouer. En plus du fait que ce rôle est taillé pour ma voix, j’ai adoré la mise en scène de Cécile Roussat et Julien Lubek qui sont acrobates de formation. Leur travail avec le corps des chanteurs est tellement enrichissant ! J'espère que l'occasion se représentera, cette fois avec le temps de préparation nécessaire. Globalement plus le temps passe, mieux je me sens techniquement et scéniquement et plus je m'épanouis dans les rôles que j'aborde.
Quel est celui qui a été le plus difficile ?
Vocalement peut-être Farnace (Mitridate de Mozart) au CNSMDP. C’était il y a quatre ans et j’avais décidé avec mon professeur de travailler mezzo depuis à peine un mois, lorsque j’ai été distribuée dans ce rôle, confié habituellement à des contre-ténors ou des contralti. Je devais faire attention de ne pas lutter contre l’orchestre en grossissant ma voix, qui n’était de fait pas encore développée dans ce registre médium grave. C’était le grand écart avec ce que j’avais toujours chanté, mais heureusement j’ai été extrêmement bien guidée par mes professeurs et surtout j’ai eu la chance d’avoir un chef (David Reiland) extrêmement intelligent et à l’écoute qui m’a beaucoup aidée et a été très pédagogue. Je crois m’en être plutôt bien sortie au final. Ce qui est sûr, c’est que j’ai beaucoup appris de cette expérience. Un rôle qui m'a énormément marquée était la Messagère dans l'Orfeo, car c'était émotionnellement très lourd. La scène de la Messagère intervient brutalement dans l'opéra à un moment où le ton est à la fête et à la réjouissance. Elle y met un terme de manière déchirante avec ce « Ahi caso », or j’annonçais la mort d’Euridice justement joué par l’une de mes meilleurs amies. La mise en scène moderne d'Yves Lenoir me plongeait dans un réalisme confondant. J'y ai fait la rencontre d'artistes et de personnes extraordinaires. Cette production restera à jamais gravée dans ma mémoire.
Les lecteurs d’Ôlyrix ont notamment pu vous découvrir avec Didon et Énée à Rouen (notre compte-rendu), comment avez-vous vécu cette expérience très spéciale avec un remplacement de dernière minute ?
Je n’ai pas eu le temps de réfléchir quand l'occasion s'est présentée. J’ai dit oui, pensant pouvoir relever le défi tant ce rôle m'était cher. Je m’y préparais dans ma tête depuis des années, et c’était comme une évidence que je devais saisir cette opportunité qui m’était proposée. C'était une expérience incroyable de sauter dans cette production le jour de la Première en ayant seulement pu voir la générale et le DVD du spectacle. C’était sans filet, mais encore une fois, j'ai été très bien accueillie par le reste de la production. Maintenant que j'y repense c'était complètement fou de remplacer une artiste comme Mireille Delunsch sans avoir répété.
Comment avez-vous ensuite vécu le voyage de cette production à Versailles ?
J’étais nettement plus stressée, car l'adrénaline étant retombée, j'ai pu prendre conscience de l’ampleur de la chose. C'est à ce moment-là que j'aurais eu absolument besoin de répéter, mais les conditions ne le permettaient pas. Je me suis présentée au public très exigeant de l'Opéra Royal de Versailles avec beaucoup d'appréhension, ayant en sus à relever le défi de faire trois représentations en 24 heures.
Avez-vous un lien particulier avec l'Opéra de Dijon, où vous avez chanté à plusieurs reprises ?
Oui, j'ai adoré cette ville et cet opéra ! J’y ai passé presque quatre mois l’an dernier. La salle est incroyable, le choix des artistes et la programmation le sont tout autant.
Vous avez participé dans cette ville à l'Orfeo de Monteverdi mis en scène par Yves Lenoir et à La Flûte enchantée par David Lescot. Goûtez-vous ces mises en scène modernes ?
Je ne peux pas parler en général de concept de mise en scène moderne, c'est à chaque fois un nouveau projet et une nouvelle façon de penser une œuvre. Mais tant que l’on ne trahit pas le livret et que le propos enrichit l’œuvre, je dis oui ! Ces deux expériences ont été très positives pour moi. De mon point de vue d'artiste interprète, j'ai pris énormément de plaisir à rencontrer et travailler avec ces deux metteurs en scène. Ils ont tous les deux permis à toute la distribution d’entrer dans leur univers. Avec Yves par exemple, nous faisions des soirées tous ensemble pendant lesquelles nous regardions et discutions des films qui avaient inspiré sa mise en scène. Avec David, ce sont les voyages en train, les apéros et les dîners qui nous ont permis de discuter de sa mise en scène et de sa vision. C’étaient deux très belles rencontres humaines et artistiques.
Comment fait-on pour être bien prête à intervenir sur des rôles tels que la Messagère et la troisième Dame ?
En travaillant sérieusement : comme n’importe quel autre rôle, je lis le livret, la partition, me fais une idée globale du personnage, regarde et écoute plusieurs versions, prends des cours de chant. Bref, j’arrive préparée en ne fixant rien pour être prête à réagir aux demandes du chef. Idem pour la vision du personnage, j’essaye de ne pas en avoir une trop arrêtée pour me laisser guider par la vision du metteur en scène.
Quelle est l'ambiance lors d'une tournée avec Le Concert Spirituel d'Hervé Niquet et quels souvenirs gardez-vous de votre rôle de Caliste dans l'opéra-ballet Les Amants Magnifiques de Lully (dont nous avons rendu compte à Massy) ?
Il y avait une très bonne ambiance et c'était très intéressant de travailler avec une troupe de comédiens telle que Les Malins Plaisirs et une troupe de danseurs comme La Compagnie de l'Éventail. Je suis très attachée à l’art total, ce que je fais le plus souvent dans mes propres projets de spectacle en mêlant chant, théâtre, danse et parfois même la vidéo. La comédie-ballet permet des échanges entre artistes de disciplines différentes et complémentaires qui sont très enrichissantes. Je travaille avec le Concert Spirituel depuis des années et j’étais ravie de les retrouver, cette fois en tant que soliste.
Et quelle est l'ambiance lors des voyages avec le Jardin des Voix de William Christie (entendu à Nantes et à la Philharmonie de Paris) ?
L'ambiance était très bon enfant, très joyeuse, c'était exaltant de rencontrer de si jeunes et excellents artistes venus du monde entier. Nous sommes devenus complices, j'attends avec impatience le prochain concert ensemble en juin prochain. Travailler avec Les Arts Florissants et William Christie, Paul Agnew et Sophie Daneman est une expérience fantastique.
Que retenez-vous de vos débuts au Royal Albert Hall de Londres lors des BBC Proms avec l'Ensemble Pygmalion dans Les Vêpres de la Vierge de Monteverdi ?
C'était un moment incroyable à tout point de vue. J’admire le travail de Raphaël Pichon et j'attends avec impatience de retravailler avec lui, aussi à l’opéra. Les Proms sont un festival vraiment impressionnant et les Vêpres de Monteverdi sont tout simplement un bijou. C’était très fort pour moi de rechanter cette pièce, qui contient le premier vrai solo qui m’avait été confié à Notre-Dame et m’avait permis de commencer à travailler en musique ancienne (avec Ludus Modalis notamment).
Vous chantez avec les grands noms parmi les chefs d'orchestre, notamment baroque : est-ce facile de vous adapter à ces différentes personnalités (Leonardo Garcia Alarcòn, Vincent Dumestre, Marco Guidarini, Emmanuelle Haïm, René Jacobs, Cornelius Meister, Hervé Niquet, Raphaël Pichon, David Reiland, Christophe Rousset) ?
Chaque chef a des exigences différentes. Il faut savoir être flexible et faire ce que l'on nous demande, sans jamais renier son instrument et sa personnalité. C’est parfois difficile et l’expérience aide à gérer cela. On est forcément plus proche de certaines personnalités artistiques que d'autres. Dans cette liste, il y en a certains avec lesquels j'ai travaillé seulement le temps d'un stage à Royaumont, d’un concert étudiant ou lors d'une masterclass au CNSM, et avec lesquels j'aimerais retravailler dans le milieu professionnel.
Abordons vos projets : qu'attendez-vous du Phaéton de Lully, dans le célèbre Opéra de Perm (une production qui se rendra ensuite à Versailles) ?
J'ai hâte de commencer cette production, car travailler avec le duo Vincent Dumestre/Benjamin Lazar est un rêve qui se réalise. Cette œuvre est magnifique et les lieux où nous nous produirons sont mythiques. L'équipe de chanteurs est remarquable. Le Poème Harmonique, c'est un peu ma maison depuis l’an dernier.
Comment avez-vous composé le programme de votre récital du 23 Mars 2018 au Musée de l'armée à Paris ?
Il est encore en cours de construction mais c'est pour moi l'occasion de me présenter enfin à Paris avec Le Consort. Nous allons proposer un parcours d'Héroïnes Tragiques avec des Cantates Françaises et des extraits d'opéra (Purcell, Haendel, Vivaldi...).
Que voulez-vous tirer des "Leçons de ténèbres" de François Couperin (le 24 Mars 2018 à la Chapelle Royale du Château de Versailles) ?
Les Leçons de Ténèbres sont très importantes dans ma vie de chanteuse. Nous avons créé avec deux amies, l’ensemble Lunaris pour jouer la troisième leçon. Beaucoup plus tard je les ai beaucoup chantées lors d’une tournée aux Pays-Bas avec le Poème Harmonique et ma partenaire et amie Sophie Junker (que j’ai ensuite retrouvée dans La Flûte Enchantée). Ce sera la deuxième fois à Versailles que j’interpréterai cette œuvre. Tout est rassemblé pour que ce soit un moment Magique : l'ensemble, la musique et le lieu.
De quoi seront faites vos prochaines saisons ?
Je l'espère, de beaux rôles, de belles musiques, et de belles rencontres artistiques et humaines. Pour la saison prochaine, je chanterai Sélysette (dans Ariane et Barbe-Bleue de Paul Dukas) au Capitole, un Orfeo de Monteverdi (Messagère et/ou l'Espérance) avec mes amis Emiliano Gonzalez Toro, Thomas Dunford et Lea Desandre. J’ai des concerts et un enregistrement prévus avec le Consort autour de Cantates Françaises, des concerts avec Herreweghe, Les Arts Florissants et le Poème Harmonique.
Comment choisissez-vous vos projets musicaux ?
Le choix se fait en fonction des propositions et en concertation avec mon professeur et mon agent. Il y a plusieurs critères qui entrent en jeu : la musique, la faisabilité, le chef, le metteur en scène et les conditions. J’aspire surtout à être épanouie dans tous mes projets.
Comment choisissez-vous vos programmes ?
En fonction des envies du moment et en concertation avec mes partenaires. J’ai d’ailleurs deux grands projets personnels : avec le Consort de Justin Taylor, un programme de Cantates Françaises est à paraître chez Alpha. J’aimerais le mettre en espace : nous avons déjà de nombreux concerts prévus (au Musée de l’Armée et au Festival AMUZ notamment). Avec mon pianiste Romain Louveau, nous avons enregistré dans la Collection « Jeunes Solistes » du CNSM, un disque « Berceuses aux enfants de Médée », pour lequel nous recherchons un label. Il comprend les Chants et Danses de la mort de Moussorgski et des Kindertotenlieder de Mahler. Il est déjà prévu un récital à La Chapelle Corneille dans la saison de l’Opéra de Rouen et d’autres dates sont en discussion pour créer un spectacle chorégraphique autour de ce programme.
Quels rôles aimeriez-vous chanter dans les prochaines années ?
Au risque de paraître banale, je dirais Carmen : ce rôle me fascine et la musique est sublime. Sinon j'adorerais faire la trilogie des personnages Monteverdiens (Messagère, Pénélope, Ottavia), des rôles Haendeliens comme Junon, Déjanire, Theodora, Julio, Médée de Charpentier, Mozart (au diapason d’époque), de la musique Russe (Pauline), Cenerentola (Rossini), Octavian (Strauss). Plus tard, je rêve de chanter Judith (Le Château de Barbe-Bleue de Bartók) et Charlotte (Werther de Massenet). Mais je voudrais aussi faire le plus de Bach possible avec des chefs que j’admire comme Raphaël Pichon et Herreweghe. Pour Harnoncourt, c’est hélas trop tard.
Avec quels artistes rêvez-vous de collaborer à l'avenir ?
Je pense directement à Sabine Devieilhe, Julie Fuchs etEmmanuelle Haïm qui sont des personnes particulièrement lumineuses, mais il y en a tellement d’autres, c’est difficile de toutes les citer. En mise en scène, j'adorerais travailler avec Katie Mitchell et Jean-François Sivadier.
Sur un plan plus personnel, à quoi ressemble une journée de chanteuse ?
Elle commence rarement très tôt (sauf les jours de voyages), mais elle se finit souvent très tard. Une journée file à une vitesse hallucinante. Entre cours de chant, chef de chant, coaching, yoga, répondre à un million d’emails, le travail de la partition à la table et garder une vie sociale.
Que ressentez-vous avant de monter sur scène ?
Beaucoup d’excitation et de joie ! Mais si je ne suis pas en forme, c'est le stress.
Que faites-vous immédiatement après un concert ?
J’embrasse et félicite mes partenaires, et retrouve ensuite mes amis autour d'un verre. Ou bien je file me coucher si le lendemain je chante tôt ou que j’ai un autre concert.
Est-ce que vous avez tendance à vous repasser le film du concert dans votre tête, voire à écouter ou revoir des enregistrements ?
Si je suis capable de me repasser le concert que je viens de faire, c’est en général mauvais signe et cela signifie que je n’étais pas totalement habitée par l’instant et trop dans le contrôle. Je me réécoute pour m’améliorer, c’est un travail très important pour moi, mais je n’entends souvent que les défauts. A distance du concert, je suis plus indulgente avec moi-même.
Hormis le classique, écoutez-vous d’autres musiques ?
Oui ! J’adore le jazz vocal féminin, Ella Fitzgerald, Nina Simone, Stacey Kent. J’écoute beaucoup Avishaï Cohen, Lhasa de Sela, du Fado, j’aime aussi beaucoup les groupes électro trip hop comme Portishead, Weval.
Est-ce que la musique suffit à votre équilibre ?
Elle est essentielle à mon équilibre c’est évident, mais elle ne suffit pas. J’ai besoin de soupape de décompression et cela passe par la famille, les amis, sortir ou être tranquille chez moi avec mon amoureux, mon chat, un film et un bon repas.