Tom Volf, réalisateur du film Maria by Callas : « La légende se dévoile »
Tom Volf, après avoir assisté à l'avant-première de Maria by Callas au cinéma, une question s'impose : comment avez-vous trouvé ces archives ?
C'était un travail de détective. Je suis allé à la rencontre des amis et des proches de Maria Callas, de ses amis, des gens aussi célèbres que Franco Zeffirelli ou Alain Delon, mais aussi ses relations privées : son majordome et sa femme de chambre qui ont été comme sa famille, pendant 20 ans. Ils ont toujours refusé de parler aux journalistes ou de divulguer des documents, mais j'ai eu la chance qu'ils s'ouvrent à moi. Toute une partie du film est ainsi constituée de fonds privés, donnés par ses proches des quatre coins du monde, et une autre vient des archives institutionnelles, télévisées et des agences. Ce sont des documents souvent non référencés que je suis allé chercher moi-même, en passant des nuits à fouiller dans les cartons.
Découvrez la bande-annonce de Maria by Callas :
Combien de temps de travail cela représente-t-il ?
En janvier, cela fera 5 ans que j'ai initié ce projet et il a duré tout ce temps, y compris pendant le montage, où de nouvelles découvertes arrivaient, des réponses à mes bouteilles jetées à la mer.
Combien de temps a duré le montage ?
6 mois, 7 jours sur 7, jour et nuit pour composer une histoire avec tous ces documents. J'ai littéralement dormi en salle de montage. J'ai eu la chance d'être épaulé dans cette montée de l'Everest par Janice Jones qui a travaillé sur L'Enfer d'Henri-Georges Clouzot (César 2010 du meilleur documentaire) et a vécu un nouvel "enfer" [sourires].
Quelle est la part d'inédits dans le film ?
Énorme, la très grande majorité. Il y a également eu un très important travail de restauration. Je voulais retrouver les originaux pour rendre le film aussi beau qu'il puisse être.
Quelles seront les plus belles découvertes du public devant ce film ?
Elles seront très nombreuses, mais notamment les Super 8 privés, il s'agit d'une vraie découverte que de voir ainsi la femme dans ses moments d'intimité. On voit vraiment Maria, pas la Callas. Également tous les films amateurs captés par le public, par exemple la Tosca à New York et la Norma à Paris. Cela permet de revivre le ressenti du public et l'ambiance d'un spectacle. Mais aussi les grands concerts. Certains sont connus comme celui de 1958 mais les gens vont le redécouvrir d'une manière nouvelle dans une qualité inédite.
Quelle est la plus grande idée reçue que le film permet de mettre à bas ?
Il y en a tellement. Par-dessus tout, le cliché de la diva, de la scandaleuse, qui est complètement balayé. Ce n'est que pure invention et elle rétablit enfin la vérité. Concernant également sa relation avec Onassis qui a fait tant parler. On se rend compte que cette histoire d'amour a duré toute leur vie. On suit également Maria Callas jusqu'à sa fin de vie, qu'on imagine souvent recluse, alors que les dernières images du film la montrent radieuse à Palm Beach, un an avant sa mort. Elle a été éprouvé par la vie mais elle est loin de broyer du noir.
Outre la recherche, le travail de restauration a-t-il pris autant de temps ?
C'était en effet tout aussi important, ce travail en soi était un parcours du combattant pour retrouver les archives et y travailler à partir de formats différents (Super 8, 16 millimètres, 8 mm). Nous en avons aussi colorisé pour rendre l'image plus proche encore du spectateur, comme s'il y était, mais nous n'avons colorisé que lorsqu'il existait déjà une photo originale en couleur. Il a fallu également harmoniser les différents formats.
Le travail a-t-il été aussi complexe pour le son ?
Absolument. Il y avait beaucoup de supports différents : acétate, bandes magnétiques, cassettes, vinyles avec des enregistrements privés, sur scène, des conversations, le tout demandant un même travail de numérisation et de restauration en retrouvant les originaux. Cela permettra également de redécouvrir des enregistrements dans une bien meilleure qualité, inédite.
Comment avez-vous construit ce film ?
Je me suis fixé des règles d'or. D'abord, ne pas avoir de narrateur ni d'autres personnes qui racontent. Seulement Maria par Callas.
Vous avez aussi respecté la chronologie.
C'était une autre règle d'or. Je ne voulais pas avoir une approche académique et convenue, mais je ne cherchais pas davantage une narration non conformiste, comme c'est la mode au cinéma. Pour moi, c'est l'émotion qui importe et j'ai réalisé qu'il y avait trois grandes périodes dans la vie de Maria Callas. Ces trois périodes correspondent bien aux trois décennies (1950, 1960, 1970) mais aussi à des bouleversements dans sa vie personnelle et professionnelle. D'autant qu'elle change, de style comme de physique. Le spectateur voit la métamorphose. Il y a tout de même une exception à cette règle : l'interview avec David Frost, qui rythme tout le film, en fait un immense flash-back et sort de l'académisme.
Ce film est-il un biopic, un documentaire, un long-métrage musical ?
Il est hors catégorie, il ne faut pas forcément le rentrer dans une case. Je n'ai jamais pu vraiment l'appeler un documentaire. Pour moi c'est un film de cinéma, pour le cinéma. Il n'a pas du tout le format pour exister pour la télévision et le cinéma est le seul endroit qui permette de reproduire le sentiment du spectateur face à l'artiste sur scène.
D'autant que le public s'habitue de nos jours à aller voir l'opéra au cinéma.
Exactement, et Callas a fini sa carrière par le cinéma, avec Pasolini pour Médée. C'est donc une merveilleuse chose que de la ramener au cinéma, comme si sa carrière s'y était prolongée.
Elle explique aussi dans le film qu'elle aurait souhaité continuer de faire des films, y compris comiques !
Oui, comme elle a tenu des rôles dans des opéras comiques. Callas ce n'est pas que la tragédie.
Qu'avez-vous imaginé en premier, le film ou l'exposition (dont nous avons rendu compte à cette adresse) ?
J'ai eu l'idée du film avant quoi que ce soit d'autre. Lorsque le projet a commencé il y a cinq ans à New York, il n'y avait que le film. L'exposition et les livres ont découlé du film, de toute la matière qui m'a été confiée. J'ai rapidement réalisé que je ne pourrais pas tout mettre dans le film et il me paraissait inconcevable de ne pas le rendre accessible au public. Cela permet aussi de proposer dans l'exposition des éléments qui ne sont pas dans le film, et vice versa. L'idée est aussi de créer un parcours différent : dans l'exposition, on se promène dans la vie de Maria Callas, tandis que le film est un moment d'intimité, en direct, seul à seul. Le film est un dialogue entre Maria et le spectateur.
Avec tous ces matériaux, auriez-vous souhaité faire un film plus long qu'1h50 ?
La première version du film faisait 3h15. Vous imaginez la tête des producteurs [rires] ! J'aurais assurément pu faire un film plus long, la matière est là. Malheureusement, sur moins de deux heures, il faut faire des ellipses. Les deux choses que je regrette de n'avoir pu conserver dans le montage final sont les masterclasses à Julliard (dont nous avions l'intégralité des enregistrements avec des Super 8 et des lettres) et toute une partie que nous avions construite sur les débuts de sa carrière, qu'il a fallu accélérer pour gagner du temps. Ce sont mes deux seuls regrets, mais en même temps, je suis content de cette durée, car 1h50 permet d'être accessible à tous. Le plus beau retour que je reçoive en ce moment vient des spectateurs qui me disent : « j'étais inquiet en voyant une durée aussi longue, mais je n'ai pas vu le temps passer. »
Avez-vous percé le mystère Callas ?
On ne peut jamais percer complètement le mystère d'une telle personnalité. J'ai en tout cas l'impression d'avoir appris à la connaître, de savoir qui elle était, en tant que femme, en tant qu'artiste, quelles étaient ses valeurs, sa vision de la vie et de son art. Je suis donc convaincu que le spectateur aura le sentiment de connaître une part authentique de Maria Callas. Elle se dévoile dans le film, énormément, comme jamais auparavant.
Peut-on s'attendre à retrouver des contenus supplémentaires dans les bonus d'un DVD ?
Je l'espère absolument. Nous avons largement de quoi. J'ai notamment 40 heures de rush, des interviews filmées avec les proches de Callas. Je souhaite d'ailleurs proposer une soirée Callas à France 3. Ils sont co-producteurs et diffuseront le film dans 18 mois. L'idée serait de leur proposer une soirée Callas avec le film en prime-time et des interviews avec inédits par la suite.
Comment avez-vous choisi Fanny Ardant pour lire les lettres écrites par Callas ?
Ce choix s'est imposé à moi. J'avais vu le spectacle Master class de Terrence Mac Nally et le film de Zeffirelli Callas Forever. J'avais aussi parlé avec Terrence Mac Nally qui m'a dit : « De toutes les actrices au monde, Fanny Ardant est celle qui me rappelle le plus Callas » alors qu'il avait vu la chanteuse en masterclasses. J'ai ensuite rencontré à Rome une amie très proche et confidente de Callas. Elle m'a dit : « Quand j'ai vu le film de Zefirelli, je ne savais plus à certains moments si je voyais Fanny Ardant ou Maria Callas. » Fanny Ardant avait trouvé une authenticité pour donner cette sensation à quelqu'un qui a tellement bien connu Callas. Lorsque j'ai eu ces lettres de Maria Callas, qui devaient absolument être dans le film car elle révélaient la partie la plus intime de Maria, Fanny Ardant était la personne évidente, je ne pouvais pas imaginer quelqu'un d'autre. J'étais très anxieux à l'idée qu'elle ne veuille pas incarner Callas une troisième fois. Je lui ai envoyé des lettres de Callas et, après deux fictions, je crois qu'elle a été touchée par cette idée de prononcer les véritables paroles de la Callas. Fanny Ardant forme un unisson avec la voix de Callas, pour mon plus grand bonheur et j'espère celui du public. Nous avons travaillé main dans la main, de façon méticuleuse et très intime. Nous n'étions que trois, avec l'ingénieur du son et elle a enregistré l'intégralité des 400 lettres. Elle s'est totalement mise au service de Callas et de sa vie, notamment dans le moment très fort des lettres après la rupture avec Onassis. Elle ne joue pas. Elle vivait les lettres, chronologiquement et elle a été bouleversée. Ce que l'on entend c'est ce qu'il s'est passé, la première fois, en une seule prise.
Pensez-vous que Callas pourrait faire la même carrière aujourd'hui ?
Je me demanderais plutôt si Callas pourrait exister de nos jours. L'apparition d'une Callas est un alignement planétaire, notamment lié à une époque qui donnait aux artistes la possibilité de construire un personnage en répétitions pendant des semaines, en voyageant moins, en pensant plus aux rôles qu'à leurs carrières. Tout ce que Callas demandait. Ce n'est pas possible aujourd'hui avec le fonctionnement des théâtres lyriques. Dans le contexte actuel où les chanteurs sont un soir à Paris, le lendemain à New York, le surlendemain à Tokyo, sans forcément savoir ce qu'ils chanteront ensuite, c'est impossible. Mais rien n'empêcherait un directeur de théâtre de construire un spectacle extraordinaire avec un Visconti, un Bernstein à la baguette et une Callas qui va passer deux mois sur place pour répéter un rôle.