Festival Berlioz au musée Guimet des arts asiatiques
Bruno Messina, comment est né ce projet, cette rencontre entre Berlioz et le musée des arts asiatiques ?
Le Musée Guimet m'a sollicité pour travailler sur une programmation avec mon autre casquette, celle d'ethnomusicologue spécialiste de Java, une île dans laquelle j'ai vécu. Lorsque j'ai découvert le programme de la grande exposition que monte le musée autour de l’extraordinaire voyage d’Émile Guimet accompagné du peintre et illustrateur Félix Régamey, j'ai vu comme une évidence un programme autour de Berlioz. En effet, dans le cadre de l'édition 2017 du Festival Berlioz à La Côte-Saint-André, nous avons monté tout un programme autour de l'Asie. Berlioz est le premier à véritablement nous parler de la musique asiatique, suite à sa visite de la Première Exposition Universelle en 1851 à Londres. La passion de Debussy pour le gamelan à l'exposition Universelle de Paris en 1889 est un épisode célèbre et majeur dans l'histoire de la musique : on oppose souvent Debussy le novateur sensible aux altérités face à un Berlioz qui serait dans des poncifs et caricatures. Je propose donc de regarder autrement le propos et la musique de Berlioz, qui s'est arrêté devant les musiciens étrangers et nous présente leur travail, celui des Perses, des Indiens et surtout devant les Chinois. À ce sujet, Berlioz a écrit des pages hilarantes et sulfureuses, mais il n'y a pas une trace de racisme chez lui (contrairement à certains textes de Wagner ou aux propos tenus par Debussy à la fin de sa vie). Certes, il est extrêmement féroce avec les Chinois, mais il l'est tout autant avec les musiciens d'orchestre français ou allemands.
Vous avez donc décidé de reconstituer la musique à laquelle aurait assisté Berlioz : le Bal chinois sur la Tamise qui sera donné ce Vendredi 3 novembre 2017 dans la Cour khmère du Musée Guimet. Comment avez-vous procédé ?
Nous avons travaillé sur les écrits de Berlioz avec François Picard, professeur de la Sorbonne spécialiste en musique chinoise. Aussi rieurs soient ces textes, ils contiennent une description ethnomusicologique. Nous avons alors pu reconstituer la musique, avec l'aide de Jean-Christophe Frisch spécialiste des croisements et métissages musicaux avant l'heure (il dirigera l'Ensemble Le Baroque Nomade pour ce concert). Pour recomposer ce Bal sur une jonque chinoise auquel Berlioz aurait assisté, il a fallu exhumer tout un répertoire de danse parmi les collections de la Bibliothèque nationale.
La salle sera d'ailleurs exceptionnelle
Merveilleuse ! La salle des Bouddhas est un lieu magique qui n'a jamais entendu de musique classique. Les artistes polyvalents de ces concerts ont accepté très volontiers de venir jouer parmi ces statues mythiques.
Le grand concert du lendemain soir, dans le même lieu, sera l'occasion d'explorer "L’Asie entendue à Paris au temps d’Émile Guimet", dont les liens sont nombreux avec Berlioz
Tout à fait, ils partagent d'ailleurs la même région. Le père d'Émile Guimet, Jean-Baptiste, industriel, inventeur de l'outremer artificiel (bleu Guimet) et fondateur du groupe Pechiney vient de l'Isère comme Berlioz. Émile Guimet est un peu plus jeune que Berlioz : il naît en 1838 lorsque Berlioz est entre les compositions de Benvenuto Cellini et Roméo et Juliette mais Guimet apporte à son apogée la soif d'exotisme de Berlioz. Leur lien est aussi musical : Émile Guimet qui admirait Berlioz comme le compositeur de sa région a beaucoup investi dans la musique, les sociétés orphéoniques et chorales. Il a même composé un Grand Opéra en 5 actes, Taï-Tsoung, qu'il n'a jamais pu faire jouer à Paris mais qui a été créé le 11 avril 1894 au Grand théâtre de Marseille. François-Xavier Roth et son orchestre Les Siècles donneront ainsi l'ouverture de cet opéra.
Ce concert résonne visiblement avec un événement du dernier Festival Berlioz "Désir et magie autour des pavillons exotiques" (dont nous avons rendu compte ici) avec le même chef et orchestre
Absolument, j'ai voulu resserrer ce concert exotique, le faire plus asiatique encore (car l'exotisme à l'époque commence dès l'Espagne, telle la Carmen de Bizet). Ce sera l'occasion de profiter de Poèmes hindous, Saint-Saëns et La Princesse jaune ou encore André Messager avec Madame Chrysanthème (la source littéraire de la célèbre Madame Butterfly de Puccini). Il fallait absolument faire également des extraits du Lakmé de Delibes parmi ces bouddhas, un décor véritable loin du carton-pâte.
Retrouvez ici tous nos comptes-rendus des événements au Festival Berlioz
L'après-midi du samedi 4 novembre 2017 sera aussi musicale avec des concerts dans le petit Salon Pelliot de l'hôtel d’Heidelbach qui vient d'être restauré
Nous proposerons deux rencontres, deux univers auxquels Berlioz a été confronté.
À 15h, "Les Flûtes Enchantées, pastorales en musique de Debussy à Sour-Das" célèbrent la rencontre entre deux flûtistes et l'universalité de cet instrument, un double clin d'œil à Berlioz qui a commencé par la flûte de berger et qui décrit de la musique indienne. D'ailleurs, il en profite pour faire mine de se moquer du pauvre Monsieur qui ne joue qu'une note, en fait le joueur de shahnâi (hautbois indien) qui tient la tonique obstinée par la respiration circulaire (l'instrumentiste continuant de produire du son tout en inspirant).
À 17h, les "Compositions persanes et mélodies de l’antique Iran" avec le grand orientaliste Jean During qui est de retour à Paris après de longues années et qui réunit un ensemble autour de la grande chanteuse Asaré Shekartchi. Jean During est d'ailleurs l'idole du narrateur de Boussole, roman de Mathias Enard couronné du Prix Goncourt en 2015.
Pour conclure, pourriez-vous nous brosser un bilan du dernier Festival Berlioz ?
Le bilan est très bon : nous avons dépassé notre record de fréquentation avec plus de 30.000 spectateurs à La Côte-Saint-André. Notre public et nos artistes sont fidélisés. Nous avons reçus deux monstres sacrés pour les Berlioziens : Sir John Eliot Gardiner (qui venait pour la quatrième fois) et Roger Norrington avec deux visions très différentes mais tout aussi géniales de Berlioz. J'aurais eu pour vœu très cher d'inviter le troisième génie : Sir Colin Davis, qui avait accepté de venir. Il me disait "It's a shame ! J'ai consacré ma vie à Berlioz et jamais personne ne m'a invité". Hélas, son épouse est décédée quelques mois plus tard, puis lui.
L'édition a permis beaucoup de voyages et d'allers-retours entre les visions et les styles, dans les répertoires et les orchestres jusqu'aux réjouissances avec Hervé Niquet devant 5.000 personnes dans un château néo-gothique, le tout pour un large public. Nous avons même fait des incursions dans le baroque, ce qui est rare au Festival, mais Berlioz avait découvert Purcell (qu'il appelait "le vieux maître") et Haendel ("le grand maître").
Pouvez-vous nous dévoiler le thème des prochaines éditions du Festival Berlioz ?
Les deux prochaines années seront exceptionnelles puisqu'elles seront consacrées au 150ème anniversaire de la mort de Berlioz (1803-1869), qui annonçait qu'il ne serait compris que 150 ans après sa disparition.
2018 sera "Sacré Berlioz !" explorant les liens aux œuvres sacrées chez ce grand impie de Berlioz.
Comme nous serons alors à 6 mois de l'anniversaire, nous lancerons l'année Berlioz qui se refermera avec notre édition 2019 "Héritages Berlioziens".