Philippe Jaroussky - The Händel album
Les archets composent des vagues sonores en flux et reflux, alors que le clavecin égrène des notes précises, bien a tempo. Cette complémentarité résume l'esprit baroque : l'irrégularité dans la mesure (les racines même du terme véhiculent cette idée : "baroque" vient du mot portugais "barroco" qui signifie "perle irrégulière"). La voix de Philippe Jaroussky est à l’unisson de cet esprit, précise et assurée dans sa ligne, avec de belles irrégularités. Le souffle constant porte de longues lignes. Les sons un instant tenus vibrent tendrement et sur une voyelle, avant de se déployer en des fins de phrases aux lignes symétriques.
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Jaroussky a construit sa popularité en italien, sur les airs virtuoses de castrat. Il a également exploré la mélodie française et la création contemporaine (Only the Sound remains de Kaija Saariaho est également sur notre billetterie). Avec cet album, il approfondit son répertoire allemand, quelques mois après un disque et une série de récitals Bach - Telemann : Sacred Cantatas.
Le choix même du programme consacré à Haendel est une rencontre des pays à l'image de la carrière internationale de Jaroussky : Haendel est un compositeur allemand qui a imposé l'opéra italien en Angleterre. Cet album-voyage recompose un "opéra imaginaire", enchaînant différents airs de différents opus avec le liant des récitatifs. Le périple traverse les espoirs et les passions des hommes et des rois (Richard Ier d'Angleterre dit Cœur de Lion, Siroes Roi de Perse, Xerxès Ier Empereur de Perse, Rhadamiste Prince de Thrace, Flavio Roi des Lombards, le Chevalier Amadis de Gaule, Ptolémée Roi d'Égypte mais aussi le fermier Giustino, l'amoureux grec Imeneo et le Général romain Flavius Aetius).
Ce périple commence par l'avant-dernier opéra de Haendel, Imeneo (1740) et l'air "Se potessero I sospir' miei ti" illustrant le pouvoir des soupirs sur les ondes, enchaînant avec deux opéras au milieu du catalogue. "Agitato da fiere tempeste" extrait de Riccardo (1727) conserve et déploie en un tempo vif cette complémentarité de l'harmonie assurée et d'accents emportés, qui fait aussi le dialogue entre les instruments et les voix. Puis, Siroe (1728) "Son stanco, ingiusti Numi..." impose ses grands accents graves résonnant dans le silence. En contrepoint, le contre-ténor attaque finement dans l'aigu. La voix y restera durant tout ce récitatif emporté, qui mène sur l'air "Deggio morire o stelle", d'une grande tristesse, les trilles et le vibrato ralentissant encore. Le microphone de captation se rapproche de la voix dont il souligne et déploie la finesse de la ligne et même les articulations labiales. Ce zoom vocal accentue chez Jaroussky une péréquation de la projection avec la nuance (il sait projeter davantage sans avoir besoin d'augmenter le volume).
Si l'enchaînement avec "Si, la voglio e l'otterro" est brusque, c'est que Jaroussky y retrouve un vieil ami, courant dans les bras de Xerxes (1738, antépénultième opéra d'Haendel). Sa voix virevoltante avec ralentis espressivo varie à l'envi et de plus en plus, entamant un dialogue d'ornements et de stases avec orchestre. L'ensemble s'unit en un certain volume et un nouveau contraste avec l'air et l'opéra suivant (Radamisto de 1720 auquel l'album consacre quatre pistes). Les accents les plus tirés et souples qui soient flottent sur la descente diatonique (dans l'ordre des notes de la gamme) du basson. La voix entre sans ombre aucune sur la nasale d'Ombra cara. 8 minutes 14 de volupté. Le contraste avec la piste suivante est dû au saut entre l'Acte II et l'Acte III, mais les enchaînements fougueux ultérieurs sont de la plume de Haendel. Les récitatifs emportés par des batteries de cordes semblent rendre le chanteur haletant, mais c'est là un effet dramatique volontaire, puisque les ornements ne manquent pas de souffle. Toutefois, il manque la terreur poitrinée à cette voix angélique habitant l'aigu du registre (cela prouve au moins que les ingénieurs du studio d'enregistrement n'ont pas triché sur les basses, mais certes ajouté de la réverbération).
Le séjour se poursuit et se conclut sur les amples soupirs de Jaroussky, portés par les nappes de cordes vers des sommets de langueur. En attendant le prochain voyage...