Marie-Nicole Lemieux : « Se découvrir une passion grâce à Tous à l’Opéra »
Marie-Nicole Lemieux, vous êtes cette année la marraine de l’opération Tous à l’Opéra : pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste cet événement ?
Tous à l’Opéra est organisé par la Réunion des opéras de France : plusieurs maisons d’opéra cherchent depuis 11 ans à faire découvrir l’art lyrique. En effet, beaucoup de gens pensent que l’opéra, ce n’est que des dames qui chantent fort, que ce n’est que pour les riches. Pourtant, lorsqu’ils écoutent un air de Carmen ou une publicité pour une compagnie aérienne, ils trouvent ça beau. Il s’agit d’un événement organisé sur un week-end durant lequel 21 maisons d’opéra ouvrent leurs portes gratuitement afin de permettre aux curieux de découvrir les coulisses ou d’entendre de la musique. Ça ne coûte rien et on peut y aller en jean si on le souhaite. Certains opéras font des ateliers de costumes, d’autres des ateliers de chant choral. Certains expliqueront les opéras, ou permettront d’y assister. Il faut d’ailleurs savoir à ce sujet que toutes les maisons d’opéra disposent aujourd’hui de surtitres qui permettent de lire, comme au cinéma pour les films en version originale sous-titrée, le texte qui est prononcé par les chanteurs, y compris lorsque l’opéra est en français.
En quoi consiste votre rôle de marraine ?
Chaque année, Tous à l’Opéra invite un artiste à prendre ce rôle de parrain ou de marraine, pour promouvoir cet événement auprès du public et des journalistes. Je le prends comme un beau devoir. En tant qu’artiste lyrique, nous dépendons du public. Cet événement a pour but de démocratiser l’opéra et montrer que cet art parle à tout le monde, sans exception : ce n’est pas pour les riches ! Cet aspect est très important pour moi, car je ne viens pas du tout d’un milieu d’élite. Je viens du Lac Saint-Jean au Québec, d’une famille de bûcherons. Chez moi, tout le monde chantait avec une voix lyrique, même si le répertoire ne l’était pas nécessairement. J’ai découvert l’opéra comme cela. Je sais que beaucoup de mes collègues viennent de milieux populaires.
Pourquoi est-il important selon vous que davantage de monde s’intéresse à l’opéra ?
Il ne faut pas s’intéresser qu’à un seul type d’art. Pour une bonne santé, il faut diversifier son alimentation. Il en va de même avec l’art. On peut aimer le rap, la country, la variété française et aussi aimer l’opéra. Les uns s’enrichissent des autres. De même, je trouve triste que des gens disent qu’ils n’aiment qu’un seul répertoire lyrique, comme le baroque : j’ai par exemple déjà entendu des spectateurs me dire qu’ils m’écoutaient moins chanter depuis que je fais moins de baroque. C’est triste ! Ça vaut toujours le coup d’essayer pour se faire un avis. Moi, par exemple, j’ai essayé les sushis : je sais maintenant que je n’aime pas ça. Ces journées Tous à l’Opéra servent à ça.
Que peut-on faire mieux encore pour faire aimer l’opéra à ceux qui ne le connaissent pas ?
Ce qui est fait marche déjà bien. Dans le cadre de Tous à l’Opéra, j’ai fait un concert avec Philippe Jaroussky : c’était plein, le public était vraiment différent, plus jeune et plus diversifié. C’était un beau succès. D’ailleurs, lors de mes derniers concerts, il y avait beaucoup de jeunes et même des enfants. Vous n’imaginez pas combien cela me fait plaisir.
On peut toujours faire plus. Dans un monde idéal, la culture serait gratuite. Mais d’ailleurs, il y a aujourd’hui des opéras disponibles sur le web [vous pouvez suivre ici nos VidéÔlyrix]. Il faudrait aussi que l’initiative Tous à l’Opéra, qui s’est étendue en Europe, gagne maintenant le reste du monde.
Vous donnez vous-même ce vendredi 5 mai un concert à l’Opéra Comique (entrée gratuite). En quoi consiste-t-il ?
C’est un événement musical plus qu’un concert à proprement parler. Je n’y serai pas seule : des amis, parmi lesquels Julie Depardieu, mon pianiste Daniel Blumenthal et d’autres surprises, vont participer. Le public va vivre une histoire d’amour, de ses débuts jusqu’à la fin, par de la musique opératique et du théâtre.
Y a-t-il un autre événement particulier que vous souhaitez mettre en avant ?
J’aime les initiatives qui permettent de faire chanter les gens. À Bordeaux, les gens vont pouvoir visiter le dessous de scène : c’est très impressionnant ! Une autre idée qui me plait consiste à faire suivre au public le parcours du chanteur avant le spectacle, depuis l’entrée des artistes jusqu’au maquillage. Cela permet vraiment de découvrir les coulisses et le monde d’artisans qui agissent au service d’un projet commun. Peut-être que des gens se découvriront des passions de métier : décorateur, costumier.
Parlons du reste de votre actualité. Vous interpréterez Jephtha la saison prochaine à l’Opéra de Paris : que pouvez-vous déjà nous en dire ?
Il s’agira de mes débuts à Garnier. C’est le dernier opéra de Paris où je n’ai pas encore chanté. J’ai une superstition : je m’interdis d’entrer dans un opéra tant que je n’y ai pas chanté. Je ne suis donc jamais entrée à Garnier : je vais enfin pouvoir aller y voir des spectacles ! Je suis ravie également de chanter enfin pour la première fois avec William Christie. Je suis et j’admire son œuvre depuis longtemps. Je suis très contente de faire de la musique avec lui : artistiquement, cela va être très intéressant.
La production de Falstaff dans laquelle vous avez chanté une Dame Quickly mémorable est reprise la saison prochaine à l’Opéra de Paris : que pouvez-vous en dire ?
En effet, l’Opéra de Paris m’avait proposé de reprendre mon rôle mais je n’étais pas libre. J’avais beaucoup aimé travailler avec Daniel Oren à l’époque. Cette production est très jolie scéniquement, avec de beaux costumes. Elle reprend une esthétique de bande dessinée et respecte scrupuleusement le livret. En revanche, je dois dire que le traitement du personnage de Dame Quickly n’est pas passionnant. Beaucoup moins par exemple que celui de Richard Jones à Glyndebourne ou celui de Robert Carsen où je cours partout et où je m’éclate. J’avais apprécié ma rencontre avec Dominique Pitoiset, qui, d’ailleurs, prévoit je crois de retravailler pas mal de choses dans sa mise en scène. J’ai aimé faire cette production, mais j’ai tellement joué ce personnage que j’aime qu’on m’emmène un peu plus loin. Après, beaucoup de choses peuvent se passer dans la fosse : Daniele Gatti est par exemple admirable car il connait le texte par cœur et a une vraie compréhension du théâtre.
Vous avez effectué votre prise de rôle de Carmen au Théâtre des Champs-Élysées fin janvier en version concert (notre compte-rendu) : qu’en retenez-vous ?
J’en retiens d’abord que c’est passé et que c’était beau ! Je ne m’imaginais pas dire aujourd’hui que j’ai vraiment adoré chanter ce rôle. J’avais peur d’être un cliché sur pattes. J’ai vraiment fait de mon mieux et je me suis senti bien dans cet écrin. L’Orchestre national de France était en grande forme et la chef Simone Young, faisait sa première Carmen : je l’ai trouvée super. Elle a fait danser cette Carmen. Cette musique est fantastique : elle groove et donnait envie de bouger. Les rythmes étaient parfois très rapides, mais c’est ce que réclame cette musique : il faut que ça vibre ! En plus, je ne pouvais pas rêver d’un meilleur Don José : Michael Spyres débutait également dans le rôle (les deux interprètes étaient également à l'affiche des Troyens de Berlioz). Il est d’une grande gentillesse et offre une grande intensité scénique. Carmen nécessite deux êtres incarnés. On comprenait que Carmen tombe amoureuse de lui, mais il a aussi cette force et ce côté inquiétant. La mise en espace de Laurent Delvert a aussi été appréciée. Des spectateurs m’ont dit qu’ils avaient redécouvert le texte. Ce texte était très important pour moi : je me suis concentrée sur ce qu’il dit.
Lorsque vous regardez en arrière, sur quels critères jugez-vous si une saison a été réussie ?
Nous discutons beaucoup avec mes agents pour planifier ma carrière. Ensuite, je me concentre sur mon projet en cours. J’ai parfois des déceptions mais rarement de regrets, car je monte toujours sur scène avec tout ce que j’ai. Même lorsque ce n’est pas à la hauteur de mes espérances, je peux ainsi au moins me dire que c’est ce que je pouvais faire de mieux à ce moment-là.
Et comment planifiez-vous les rôles que vous souhaitez chanter ?
D’abord, on ne choisit pas vraiment : voyez combien de temps il m’a fallu pour chanter ma première Carmen. Ce n’était pourtant pas faute d’en avoir envie ! Il en va de même pour Dalila [qu'elle interprétera avec Roberto Alagna la saison prochaine au TCE, ndlr]. J’ai en revanche plus de contrôle sur les projets d’enregistrement ou de récital : là, il s’agit de montrer ce que je sers le mieux et de faire ce vers quoi mes goûts personnels me portent. Par exemple, en 2012, nous nous sommes dit qu’il fallait faire un projet centré sur Rossini : c’est de là qu’est né le projet du disque « Si, si, si, si ». En effet, on me disait que les contralti rossiniennes ne courent pas les rues et qu’il fallait enregistrer, laisser un document. J’aime beaucoup Rossini, à la fois dans ses opéras seria et dans ses opéras bouffes, j’ai donc décidé de me lancer. Le répertoire français reste près de moi : j’aime l’entendre, j’aime le chanter et je sais que je le sers bien. Évidemment, je vais donc graver des œuvres de ce répertoire.
Marie-Nicole Lemieux et Roberto Alagna dans Le Trouvère (Chorégies d'Orange, 2015)