L'Académie Jaroussky fête ses 5 ans à La Seine Musicale
En cinq années, 120 jeunes apprentis (entre 7 et 12 ans) et 115 talents (entre 18 et 30 ans) auront ainsi été formés, ceux-ci avec un souci notable de leur insertion professionnelle, par des cours, master-classes et concerts exigeants. Le gala offert une nouvelle fois au public, est ainsi l'occasion pour les talents formés cette année de se confronter à une prestation éprouvante : chaque musicien se voit offrir ce soir un micro-récital. La soirée est ainsi riche de pas moins de 9 mouvements de Concertos (plus de deux et près de trois Concertos complets en cumulé), d'autres musiciens ayant des morceaux autonomes mais permettant tout autant de s'exprimer sur la durée et la diversité, tandis que les chanteurs déploient de grandes scènes d'opéras.
Les jeunes artistes sont ainsi symboliquement lancés par un exercice des plus exigeants, celui de maintenir la qualité et la concentration de leur jeu sur un long temps : celui du morceau, celui de l'attente avant de passer (plus de trois heures après le début de la soirée pour certains).
Gaspard Thomas s'attaque à rien moins que le Concerto pour piano n°1 de Rachmaninov (3ème mouvement) assumant toutes les notes dans un bouillon de culture, avant Rhapsodie sur le thème de Paganini par le même compositeur, jouée au piano par Hyunji Kim de son phrasé agile et déployé. Wenjia Guo et Gautier Michel réunissent et confrontent déjà leurs virtuosités face au Finale du Concerto pour deux pianos en Mi Majeur de Mendelssohn grâce à leur travail investi et aux phrasés propulsés mais déliés.
Arthur Decaris (violon) et Alberic Boullenois (violoncelle) expriment eux aussi leur entente expressive, sachant "rivaliser" autant que s'appuyer l'un l'autre avec l'orchestre, pour déployer un son expressif, charnu et chaud dans le 1er mouvement du Concerto en La mineur de Brahms. Le 3e mouvement réunit Élise Bertrand (violon) et Bo-Geun Park (violoncelle) dans une fougue très engagée mais parfois brouillonne. Frauke Suys construit au violoncelle des montées et descentes, crescendo et decrescendo dans un discours soliste pour Waldesruhe (repos des bois) de Dvorak.
Victor Andrey s'accroche à son violon au rythme de la Valse scherzo (Tchaïkovsky). Du même compositeur, Elie Hackel déploie la délicatesse de phrasé et de touché (dans le Concerto pour violon en Ré Majeur). Bertille Arrué balaye (avec quelques déséquilibres) les immenses phrasés du Concerto pour violoncelle n°1 de Saint-Saëns. Lucas Henry interprète le 1er mouvement du Concerto pour violoncelle d'Elgar avec de longues résonances ténébreuses mais des difficultés à épaissir le son pour dialoguer avec l'orchestre. Le violoniste Maxime Morise écoute au contraire l'orchestre au point de presque le contraindre à l'écouter, pouvant ainsi alléger et attendrir son long archet avec délicatesse (dans le (2e mouvement du Concerto de Barber).
Dans un passage bien plus court que les autres (mais non moins marquant), la mezzo-soprano Maya Amir balaye tout l'ambitus et la palette de couleurs vocales en une immense phrase, avec toute la souplesse piquante que lui offre le Kaddish de Ravel. Le timbre profond reste très doux, le grave est atteint mais sert aussi de support pour des surgissements vers l'aigu étincelant (comme sa robe blanche).
Malgré son âge, le baryton Sergio Villegas Galvain déploie déjà la maturité blasée demandée par l'air d'Eugène Onéguine qui doit justement faire la morale amoureuse dans cet extrait composé par Tchaïkovsky (au point que deux spectatrices commentant chaque prestation avant de partir à l'entracte, regrettent le côté "un peu prétentieux" de ce chanteur : preuve au contraire qu'il est pleinement dans le personnage, à ce moment). Le timbre est déjà vibrant, la rondeur de l'articulation percutante, la noblesse slave articulée.
Le ténor Bastien Rimondi qui interprète l'air de Lenski du même opus montre lui aussi et déjà une intense émotion, mais vers des aigus tendus (causés par un maintien presque trop constant de l'intensité de son phrasé).
Chloé Jacob offre à Mimi son ample articulation, intensément placée, plus intensément encore dans l'aigu (contrastant avec la douceur de son grave). La soprano sait de surcroît, mieux que ses collègues, s'appuyer sur le soutien orchestral qui parfois oublie, dans l'enthousiasme et l'impression faite par les solistes, qu'il accompagne d'encore jeunes voix.
La soprano Adèle Lorenzi-Favart s'appuie sur la rondeur de sa voix mais aussi ses graves solides dans l'Air des bijoux, avec une assise lui permettant justement de monter vers des aigus étincelant, en passant par un médium ouaté.
Les professeurs donnent eux aussi l'exemple, mais en l'espace de seulement deux morceaux montrant leur engagement artistique au service de leurs élèves : Philippe Jaroussky chante l'Orphée de Gluck (moins d'une semaine avant de l'entonner aux chorégies d'Orange dans Musiques en Fête) avec une intensité vibrante et de grands contrastes entre les registres : la voix est légèrement voilée mais aussi d'une rugosité marquante. Les trois professeurs instrumentistes Geneviève Laurenceau (violon), Christian-Pierre La Marca (violoncelle) et David Kadouch (piano) montrent l'intensité de leur expressivité et la diversité du programme avec le court mais vibrant Soir de Mel Bonis, en cette soirée particulière qui marque aussi la fin de mandat de ce trio professoral au sein de cette institution : Anne Gastinel (violoncelliste), Nemanja Radulovic (violoniste) et Cédric Tiberghien (pianiste) leur succéderont à la rentrée.
Enfin, la pianiste Nour Ayadi referme cette soirée en tant que soliste instrumentale déjà très remarquée (en concours et sur nos pages) avec le 3ème mouvement du 3ème Concerto pour piano de Prokofiev mais la demi-heure précédant minuit approchant, l'application instrumentale est au rendez-vous sans fougue ni légèreté. La musicienne montre toutefois son endurance en gagnant progressivement en énergie, portant l'orchestre.
L'Orchestre Appassionato dirigé avec l'investissement constant et mesuré de Mathieu Herzog permet aux musiciens de se présenter en solistes concertistes. La phalange suit la grande diversité des répertoires et des talents, sachant accompagner et dialoguer avec les musiciens. Néanmoins, la diversité du répertoire aurait clairement nécessité bien davantage de temps de répétition (à la mesure de la durée de ce concert), pour homogénéiser les équilibres sonores et entre les pupitres.
Le public semble certes en partie éprouvé par la durée du concert, mais surtout impressionné par la richesse des talents très applaudis tout au long de la soirée. De quoi souhaiter à l'Académie Jaroussky un nouveau quinquennat de nouveaux talents, et de promotion de ses artistes déjà formés.