Carmina Burana chorégraphié, profond et aérien à l'Opéra de Saint-Étienne
L'idée d'ajouter la danse à cette grande fresque orchestrale et chorale (basée sur 24 poèmes médiévaux du recueil "Carmina Burana") vise à conserver la fascination que cette œuvre exerce sur le public, voire à la renforcer en par-achevant sa narration : avec l'aide de la dramaturge Agnès Izrine, les danseurs sur scène narrent et dépeignent ici une histoire, cynique, celle de l’Humanité (entre religion, amour, vie et plaisirs divers). Six déesses hypothétiques sont représentées par des danseuses totalement identifiables, avec les costumes les plus voyants, et avec des scènes dédiées à chacune d’entre elles représentant ces aspects de la vie humaine : Fortuna (destin et chance), Flora (les fleurs et les jardins), Philomena (changée en rossignol), Hécube (épouse de Priam, dernier roi de Troie), Phoebe (déesse de la lune, sœur d’Apollon), et Vénus (beauté et amour).
Les danseurs se montrent très impliqués dans chacun de leurs mouvements, avec une dextérité qui maintient en haleine mais tout en instillant une grande tranquillité dans le public, surtout lors du Carmina Amatoria (chansons d’amour), où leurs corps s'élançant dans les airs avec la légèreté d’une plume semblent défier la gravité, pour mener le public vers les nuages. Le brouillard constant, les costumes très colorés puis sobres et minimalistes (griffés Livia Stoianova et Yassen Samouilov), ainsi que les lumières d'Olivier Tessier, installent une ambiance rappelant le caractère païen de cette œuvre. La grande puissance de leurs mouvements par moments est toutefois (surtout au début) aussi sonore que les instruments de l’orchestre ou même les voix des chanteurs, rendant l'attention musicale un peu difficile.
La battue du chef d'orchestre estonien Mihhail Gerts est énormément expressive et précise. L’Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire déploie son intensité avec une suavité et une énergie envoûtantes. Le Chœur Lyrique Saint-Étienne Loire (dirigé par Laurent Touche) et le Chœur de la Maîtrise de la Loire (dirigé par Jean-Baptiste Bertrand) jouent un rôle essentiel lors de la représentation, y apportant une grande musicalité avec dynamisme, pour chaque cantate (à l’exception de quelques passages qui auraient bénéficié de plus de puissance, comme le début du célèbre O Fortuna mais bien rattrapé lors de la reprise finale). Tous les départs restent bien synchronisés, les pupitres instrumentaux et vocaux glissant vers l’avant avec célérité.
Les solistes se joignent aux chœurs et aux instrumentistes dans la fosse, aux côtés du chef. La soprano Louise Pingeot fait montre d'une grande capacité vocale, avec des aigus qui semblent faciles et d'une grande agilité. Elle est particulièrement captivante lorsqu’elle déploie toute sa délicatesse, avec brillance et agilité. Le contre-ténor avignonnais Rémy Bres-Feuillet charme le public par la grande délicatesse de ses départs et fins de phrase, mais aussi par une voix puissante qui voyage jusqu’au dernier des spectateurs. Il surprend également, non seulement grâce à ses aigus bien soutenus et timbrés, mais aussi par ses graves aussi puissants que le reste de la tessiture (il remplace même, avec sa voix de baryton, son collègue soliste pour le Dies, nox et omnia). Le baryton letton Valdis Jansons impose sa présence dans la fosse. Il développe une voix ronde et veloutée qui caresse les oreilles du public, avec un phrasé délicat et élégant, particulièrement séduisant avec son timbre chaud. Le vibrato est marqué, mais non pas exagéré : maîtrisé comme son aigu est bien soutenu.
Hypnotisé par un tel déploiement de virtuosité et tombé sous le charme de la musique et de la danse réunies, le public applaudit avec une très grande générosité, et salue les artistes debout, durant de longues minutes.