Frédéric Roels : « Une programmation originale, diversifiée et pour tous »
Lorsque vous nous avez présenté votre projet, vous aviez indiqué souhaiter faire évoluer votre public à travers votre programmation : constatez-vous ce changement aujourd’hui ?
Je crois que oui, même s’il est difficile à ce stade de le chiffrer : nous venons de faire une étude de notre public en partenariat avec l’université, mais nous n’avons pas encore toutes les données nous permettant de comparer aux résultats de l’étude précédente. Ce que je constate en tout cas, c’est que sur les 900 spectateurs qui ont été interrogés, il y a 23% de nouveaux spectateurs. Cela veut dire que nous avons un public fidèle, mais également un renouvellement conséquent. C’est un signe encourageant. Parmi les retours qualitatifs de l’enquête, trois qualificatifs sont revenus pour décrire la programmation : originale, diversifiée et pour tous. Cela me conforte dans mes orientations car c’est exactement ce que je cherche à défendre. Depuis l’après-Covid jusqu’à aujourd’hui, le public n’a cessé de croitre : la programmation est de plus en plus identifiée.
Le remplissage est-il désormais satisfaisant ?
Je ne suis jamais satisfait du taux de remplissage. Il augmente et les salles sont de plus en plus belles. Mais nous avons encore de la marge. Il y a encore une grande différence entre les grands titres du répertoire, qui sont très faciles à remplir, à l’image de Tosca cette année, et les ouvrages plus aventureux et moins identifiés, comme Ô mon bel inconnu qui était moins rempli. Je tiens toutefois à maintenir dans la programmation des découvertes car cela fait partie de nos missions d’entrainer le public vers des œuvres moins connues. C’est très important aussi en termes de diversification des publics.
Vous fêtez en 2025 les 200 ans de l’Opéra : qu’est-ce que cela représente ?
Je ne me préoccupe d’habitude pas trop des anniversaires, mais celui-ci a une vraie signification : il montre que depuis deux siècles, de manière continue, la Ville d’Avignon (et aujourd’hui la Communauté d’agglomération qui a pris le relais) a décidé de prendre en charge une programmation lyrique et théâtrale, de construire un bâtiment sur la place principale de la ville, à côté de la mairie. Cela montre l’engagement continu des responsables politiques. Bien sûr, il y avait déjà avant une vie lyrique à Avignon, mais elle était gérée par des organismes privés et n’était pas à ce point au centre de la cité. Ce soutien continu se fête d’autant plus dans cette période où il est parfois remis en question, et où l’on constate un peu partout un désengagement du politique vis-à-vis de la culture.
Quelles formes ces festivités prendront-elles ?
Dès cette année, l’université a organisé un colloque sur ce thème pendant quatre jours, avec des contributions sur l’histoire de l’art lyrique à Avignon et sur celle du bâtiment. La parution d’un livre sur cet anniversaire est prévue également. Nous produirons enfin dans notre saison lyrique une version mise en espace d’un opéra intitulé Les Folies amoureuses de Castil-Blaze, qui est l’un des opéras joués durant la saison d’ouverture de l’Opéra d’Avignon en 1826. C’est un opéra bouffon, un pastiche recomposé d’après des airs et ensembles connus de l’époque (notamment empruntés à Rossini, Mozart, Cimarosa ou encore Weber), sur un nouveau livret. Nous questionnerons cette forme avec un regard d’aujourd’hui.
Dans votre projet pour l’Opéra d’Avignon, il y avait une ambition nouvelle pour le ballet : où en êtes-vous de ce chantier ?
L’objectif est en effet clairement atteint et nous allons poursuivre dans cette voie. Depuis trois ans, notre Directeur de la danse Emilio Calcagno a orienté le ballet vers des écritures plus contemporaines, avec ses propres signatures et d’autres chorégraphes comme Carolyn Carlson, Pontus Lidberg, Jean-Claude Gallotta, le Collectif Kor'sia, Edouard Hue ou encore Hervé Koubi. Nous avons construit un nouveau répertoire pour ce ballet, qui a débouché sur une dynamique de tournée plus importante : nous aurons une trentaine de dates en dehors d’Avignon la saison prochaine, en France, en Italie et en Allemagne. Nous changeons désormais de Directeur de la danse : Martin Harriague arrive en septembre. Les écritures chorégraphiques seront différentes car il a une autre patte artistique, mais la philosophie restera la même.
Vous aviez enfin l’objectif de développer les résidences artistiques : quelles seront celles de la saison prochaine ?
Nous aurons deux résidences la saison prochaine. La première sera celle de la metteuse en scène Chloé Lechat, qui a notamment travaillé avec l’Académie du Festival d'Aix-en-Provence, mais aussi à l’Opéra de Limoges. Elle est autrice de livret : elle travaille à ce titre à une création contemporaine qui sera donnée à l’Opéra de Bordeaux. J’ai choisi de l’accompagner dans plusieurs projets la saison prochaine : c’est elle qui mettra en espace Les Folies amoureuses, et nous reprendrons La Traviata qu’elle a mise en scène à l’Opéra de Limoges.
La seconde résidence est avec le compositeur Matteo Franceschini, qui vit en France depuis 20 ans et est aujourd’hui bien reconnu. Il vient d’ailleurs de recevoir le prix SACD. Nous produirons au mois de mars son opéra Alice, qui a déjà été créé dans plusieurs versions, dont nous donnerons une sorte de synthèse. Il compose également de la musique électronique sous le pseudonyme de Tovel : il se produira à deux reprises dans ce format à L’Autre Scène de Vedène.
Comme vous le mentionniez à l’instant, la saison s’ouvrira donc sur une Traviata mise en scène par Chloé Lechat : pourquoi ce choix d’ouvrage en ouverture de saison ?
J’ai choisi comme thématique de saison Femmes !, qui est un thème dangereux car il peut vite être un peu bateau. Je souhaitais questionner le répertoire d’opéra sur la question du rapport homme-femme et de la place de la femme dans la société, en sachant que beaucoup d’opéras depuis le XVIIème siècle ont sacrifié des femmes. C’est donc une manière d’interroger avec un regard contemporain l’un des fondements de l’opéra, qui est ce plaisir du mélomane face à la souffrance et à la mort de la femme. La Traviata est l’un des sacrifices féminins parmi les plus emblématiques. La mise en scène de Chloé Lechat prend vraiment un point de vue féminin, sans être forcément féministe : elle interroge l’œuvre du point de vue de Violetta, mais aussi à travers deux personnages féminins qui sont cités sans être présents dans l’œuvre : la sœur et la mère d’Alfredo. Verdi a effacé ce dernier personnage : Chloé Lechat lui redonne vie. Ce regard offrira une très belle ouverture à notre saison et à notre thématique, d’autant que Traviata n’a plus été donné à Avignon depuis plus de dix-sept ans.
Pouvez-vous nous en présenter la distribution ?
L’ouvrage sera dirigé par Federico Santi, un chef avec qui nous avons un compagnonnage assez régulier et qui est très apprécié de l’orchestre. C’est un vrai musicien, très sensible, qui donne toujours vie aux partitions de manière intéressante. Julia Muzychenko chantera le rôle-titre : je l’ai découverte au Concours de Clermont-Ferrand, qui avait donné lieu à une coproduction de La Somnambule dont elle avait chanté le rôle-titre ici, avec un grand succès. Elle était très touchante. C’est à l’issue de ces représentations que je lui ai proposé de revenir en Violetta. Jonas Hacker chantera Alfredo. C’est un ténor plein de fougue, qui a une belle musicalité. Serban Vasile, qui chantera Germont, est déjà venu dans La Dame de Pique mise en scène par Olivier Py il y a deux ans.
Vous reprenez ensuite La Fille de Madame Angot dans la version de Richard Brunel déjà passée par l’Opéra Comique : qu’avez-vous pensé de cette production ?
C’est une mise en scène qui a été assez controversée à sa création, mais je l’ai personnellement trouvée intéressante. Le point de vue dramaturgique fonctionne bien. Je trouve malin le parallélisme qui est effectué entre le Directoire, une période post-révolutionnaire et d’invention de tous les possibles, et le printemps 1968, qui fut aussi une période d’émancipation et de lutte pour de nouveaux acquis sociaux. Nous reprenons cette production avec la même distribution que l’Opéra de Nice qui la présente également avec deux mois d’écart. C’est Chloé Dufresne qui dirigera : c’est l’un des jeunes talents de la jeune génération, qui a déjà fait ses preuves, notamment dans ce répertoire. Hélène Guilmette reprendra le rôle de Clairette Angot, Valentine Lemercier sera Mademoiselle Lange, Enguerrand de Hys chantera Pomponnet et nous avons choisi Philippe-Nicolas Martin en Ange Pitou : nous en avons discuté avec Nice et il nous semblait plus cohérent de faire appel à un baryton aigu pour ce rôle, plutôt qu’à un ténor comme à l’Opéra Comique, afin de créer un marqueur plus différenciant avec Pomponnet.
Ensuite, vous poursuivrez votre tradition des opéras participatifs avec une version participative de Turandot. Pouvez-vous nous présenter ce projet ?
C’est en effet un concept qui fonctionne dans la durée : les gens comprennent de mieux en mieux et participent de plus en plus aux ateliers d’apprentissage des chants. La Flûte enchantée de cette année a été un vrai succès et nous allons donc augmenter le nombre de représentations, notamment à destination des scolaires, la saison prochaine. Nous retrouverons notre partenaire AsLiCo en Italie, qui est l’inventeur du concept et a monté cette production cette année, pour le centenaire de la mort de Puccini. Ce sera bien entendu en version française. L’intrigue sera placée dans un musée : les personnages de l’antiquité chinoise sont des œuvres d’un musée qui prennent vie et interviennent avec les visiteurs de l’exposition. Ce sera dirigé par Nicola Simoni qui est un chef italien établi à Nîmes, dont la carrière se déploie de mieux en mieux en Italie. Il a dirigé une fois notre orchestre aux Arènes de Nîmes l’an dernier. Il a la double culture française et italienne : il connait bien ce répertoire, mais aussi nos modes de fonctionnement.
En février, vous donnerez, comme mentionné, Les Folies amoureuses de Castil-Blaze dans une mise en espace de Chloé Lechat. Quelle sera l’idée dramaturgique de son projet ?
L’histoire de cet opéra est très similaire à celle du Barbier de Séville : un vieux tuteur a sous sa coupe une jeune fille qu’il aimerait épouser, mais elle tombe amoureuse d’un jeune homme qui va devoir trouver des stratagèmes pour communiquer avec elle et renverser la situation. Dans le livret, la jeune fille se marie à 15 ans : Chloé Lechat est partie de cette jeunesse du personnage, qui ne choquait personne à l’époque mais pose beaucoup de questions aujourd’hui. Que connait-elle de l’amour ? Peut-elle assumer ses propres choix amoureux ? Peut-on décider pour elle ? La vidéo sera assez importante dans ce spectacle. Elle voulait développer l’idée d’un processus en train de se construire : le public assistera à une répétition d’un spectacle avec une mise en abyme des personnages. En cohérence avec cette idée, l’accompagnement se fera du piano, sans orchestre (qui n’était pas disponible à cette période). En revanche, le Chœur participera à la production. La distribution est composée d’artistes fidèles à la maison : Eduarda Melo en Leonore, Fiona McGown (qui a fait un Apér'Opéra ici cette année) en Lisette, Fabien Hyon en Valcour, Aimery Lefèvre en Crispin et Yuri Kissin en Albert. Tous sont des bons chanteurs, mais aussi des acteurs capables d’endosser un personnage et dire du texte. Ils ont cette souplesse et cette curiosité artistique pour aborder un répertoire nouveau avec vivacité et sans a priori.
En février, vous reprenez à L’Autre Scène de Vedène une production d’Opéra au Sud : La Petite Sirène de Régis Campo. Quels sont les contours de ce projet ?
En effet, nous avions décidé de proposer, en contrepoint de notre Rusalka (également sur le thème de La Petite Sirène), une relativement petite forme (nous jouerons une version pour 12 musiciens, mais il en existe une pour six musiciens), avec de magnifiques costumes, et qui puisse tourner sur des scènes plus petites. Il y aura une distribution de jeunes chanteurs. En plus d’être jouée dans les saisons de nos quatre opéras, l’idée est que cette production puisse être reprise sur des scènes nationales, des théâtres de ville : l’Arcal, qui est coproducteur de ce projet, est en charge de mener une tournée avec l’Ensemble Télémaque (nous jouerons de notre côté l’œuvre avec l'Orchestre National Avignon-Provence). La metteuse en scène Bérénice Collet nous a présenté un projet par lequel elle mène une réflexion sur la manière dont les contes sondent les profondeurs de l’inconscient et ce qu’ils racontent sur les rapports humains dans notre société. Elle a donc une double entrée : à la fois psychanalytique, mais aussi sociale, en posant la question de la contrainte physique qu’une jeune femme peut s’imposer, jusqu’à la mutilation, pour plaire à l’homme dont elle est amoureuse. Son propos est assez juste. Tout se passe dans une chambre avec une grande armoire dont les éléments sortent comme d’un imaginaire. C’est un spectacle qui fonctionne pour tous les âges. Il sera dirigé par Jane Latron, qui sera à découvrir.
En mars, vous présenterez votre propre mise en scène de La Bohème : pouvez-vous nous raconter votre projet ?
C’est un projet que j’avais fait pour Avignon en 2019. Mais pour des raisons d’emploi du temps, je n’avais pas pu être présent pour la réalisation de la mise en scène, que j’avais du coup cosignée avec Claire Servais, qui est malheureusement décédée en septembre dernier [la production lui est d’ailleurs dédiée, ndlr]. J’avais conçu la mise en scène et elle l’avait mise en œuvre. Je ressentais une frustration de ne pas avoir pu aller au bout de ce projet et je souhaitais revenir dessus. Lorsque l’Opéra de Ljubljana, en Slovénie, m’a proposé de reprendre ce projet en coproduction, j’ai décidé de retravailler la mise en scène comme un nouveau projet. Cette nouvelle version a donc été recréée à Ljubljana ce printemps 2024.
Qui avez-vous choisi pour interpréter l’œuvre ?
La production sera dirigée par Marko Hribernik, qui est le Directeur artistique de l’Opéra de Ljubljana. Gabrielle Philiponet, qui vient de chanter Mimì à Saint-Etienne, reprendra ce rôle chez nous. C’est une artiste que j’aime beaucoup, avec laquelle j’ai déjà travaillé sur ma production de Cosi fan tutte à Rouen, ainsi que dans le Don Giovanni que nous avons proposé sous forme de film ici à Avignon durant le Covid. Diego Godoy chantera Rodolfo : il est bien connu à Avignon car il y a fait ses débuts à l’époque de Raymond Duffaut. J’ai déjà travaillé avec lui dans un répertoire mozartien : sa voix s’est épaissie depuis et est devenue plus lyrique. Je l’ai auditionné pour ce rôle et je l’ai trouvé convaincant. Ce sera donc sa prise de rôle. Charlotte Bonnet, en Musetta, a aussi commencé avec des rôles légers, mais s’approche désormais d’un répertoire grand lyrique. Elle vient de chanter Micaëla en Allemagne. Enfin, Geoffroy Salvas, que j’ai découvert en audition, chantera Marcello. Je l’avais trouvé très intéressant et lui ai donc proposé cette prise de rôle. Mikhael Piccone en Schaunard et Yuri Kissin en Alcindoro et Benoît, reprennent les rôles qu’ils tenaient déjà dans la production que j’avais programmée à Rouen. Dmitrii Grigorev a aussi déjà beaucoup chanté le rôle de Colline.
Fin mars, vous présenterez Alice de votre artiste en résidence Matteo Franceschini, dans une mise en scène de Caroline Leboutte : quelles sont les origines de ce projet ?
Cette Alice était au départ une commande de l’Orchestre national d'Île-de-France. Elle a été créée en version de concert à la Philharmonie de Paris avec une maîtrise. Matteo Franceschini a retravaillé sa partition pour la condenser, supprimer la maîtrise et réduire l’orchestration : cette version a tourné dans le nord de la France dans une mise en scène d’Edouard Signolet. Matteo Franceschini en a ensuite proposé pour Parme une version en Italien que Caroline Leboutte a mise en scène. Nous présentons donc cette production de Parme, mais en français et avec la maîtrise comme lors de la création, mais dans l’orchestration réduite de la seconde mouture. Ce sera donc en quelques sortes une nouvelle version de cet ouvrage qui fera la synthèse de trois autres productions. J’ai déjà travaillé avec Caroline Leboutte sur des opéras participatifs. Elle a notamment mis en scène La Flûte enchantée en version enfant que nous avons présentée cette année, mais aussi Milo et Maya de Matteo Franceschini, justement, que nous avions produit avec Rouen et AsLiCo en 2016 : c’est à cette occasion qu’ils se sont rencontrés et ils ont depuis collaboré plusieurs fois ensemble. Nous la retrouvons cette fois dans une plus grande forme, avec les solistes français de la création. David Greilsammer, qui dirige la Geneva Camerata, est un chef très créatif qui aime les projets un peu fous et est très curieux en matière de musique contemporaine. Nous sommes en contact régulier depuis longtemps.
En avril, vous donnerez Zaïde de Mozart avec des compléments composés par Robin Melchior, dans la production déjà passée par Angers, Nantes et Rennes : comment présenteriez-vous ce projet ?
J’ai trouvé le projet de la metteure en scène Louise Vignaud vraiment intéressant en tant que conte initiatique sur la découverte des sentiments et de l’adversité. Elle questionne notre époque et l’écologie. Son esthétique nous renvoie à l’idée du conte et à l’île déserte, avec des éléments très contemporains. C’est un projet assez complet, qui invite à la réflexion. Le chef Nicolas Simon et Robin Melchior ont également beaucoup travaillé sur le son et la manière de se servir de cette matière mozartienne incomplète pour la donner à entendre avec des compléments qui ne soient pas juste de circonstance mais s’accrochent sur notre perception du son d’aujourd’hui. Nous reprenons une partie de la distribution de la production d’origine, avec deux changements notables : le rôle-titre sera interprété par Aurélie Jarjaye et Allazim par Mathieu Gourlet. Aurélie Jarjaye est déjà venue plusieurs fois chez nous et ne fait pas encore la carrière qu’elle devrait. Elle est très musicienne et a une jolie voix. C’est une interprète très engagée, qui a beaucoup souffert de la crise du Covid, qui l’a coupée dans son élan. Je l’ai auditionnée dans ce rôle et je suis convaincu qu’elle sera très bien. Mathieu Gourlet est une jeune basse qui fait partie de ces jeunes que l’on découvre, et qui est très prometteur.
La saison se terminera avec Les Mamelles de Tirésias, dans une mise en scène de Théophile Alexandre : pourquoi ce choix ?
Le public connaît Théophile Alexandre comme contreténor, voire comme danseur, mais il a déjà fait un petit peu de mise en scène, notamment avec l’Ensemble Justiniana, pour une petite forme qui a été donnée en tournée. Son travail sur le spectacle Nos Dames, avec cette question du genre qui l’habite, montre que c’est un artiste complet : il embrasse différents arts, un peu comme les artistes de la Renaissance. Avec Alain Mercier, qui dirige l’Opéra de Limoges et qui est coproducteur, nous avons trouvé que cela valait le coup de lui proposer ce titre difficile, complexe dans sa dramaturgie, qui mêle la fable et le surréalisme, avec des interrogations sur la guerre, la croissance de la population, les conséquences du fait de faire des enfants, la défense de la planète, etc. Les premières réunions que nous avons tenues avec lui me laissent penser que nous ne nous sommes pas trompés : il a pris le sujet à bras-le-corps. Sa scénographie s’inspirera du surréalisme de Dali, avec beaucoup d’éléments mobiles qui permettront de bien ressentir le tourbillon. Il utilisera sa patte de chorégraphe pour travailler avec trois danseurs qui seront intégrés au spectacle. Son travail avec le chœur sera chorégraphique aussi.
Comme l’œuvre est très courte et que nous ne souhaitions pas en faire un diptyque, il a proposé d’intégrer à la représentation la projection d’un documentaire de 16 minutes qui s’appelle Good girl, qui traite de l’évolution de l’éducation des jeunes filles tout au long du XXème siècle. Agnès Jaoui en est la narratrice. Le parallèle avec la transformation que Thérèse trouve en un seul jour, est intéressant.
Qui seront les interprètes ?
Samuel Jean dirigera la production : c’est un répertoire qu’il défend bec et ongle. C’est même lui qui m’a suggéré de faire ce titre, qu’il rêvait de diriger. Il a beaucoup dirigé Poulenc, et c’est d’ailleurs lui qui avait dirigé les Dialogues des Carmélites ici en 2018. Il a cette musique-là en lui. Cela permet aussi de poursuivre son compagnonnage avec l’Orchestre, dont il a été le chef principal. Nous aurons la fine fleur des chanteurs français. Thérèse sera incarnée par Sheva Tehoval, qui a souvent chanté ici. Je l’ai découverte au concours de Marmande [en 2016, ndlr] : ce fut l’une des plus belles émotions que j’ai eues en concours (j’en fais pourtant beaucoup). Depuis, je n’ai pas cessé de faire appel à elle lorsque des rôles pouvaient lui convenir, car c’est une artiste complète. Marc Scoffoni, qui chantera le Directeur de théâtre, est toujours excellent dans les rôles théâtraux. Il a une très forte présence scénique. C’est la première fois que je travaillerai avec Jean-Christophe Lanièce, dont je connais toutefois bien entendu le travail. Il chantera le Mari. Blaise Rantoanina, qui vient de chanter l’Innocent dans Boris Godounov chez nous, sera Lacouf.
Vous proposez également une riche saison de concerts : quels en sont les principaux évènements ?
En octobre, nous aurons deux concerts dirigés par le même chef, Giulio Prandi. Le premier sera un récital bel canto, allant de Bellini et Rossini, jusqu’à Puccini, avec Ramón Vargas. Ce récital est donné dans le cadre de la semaine italienne à Avignon. Le Chœur et l’Orchestre de l’Opéra y participeront. Le lendemain, Giulio Prandi dirigera son ensemble, l’Orchestre Ghislieri, dans La Giuditta de Scarlatti. Ce sera donc de la musique du XVIIIème par un ensemble spécialisé jouant sur instruments d’époque.
Je suis très heureux d’accueillir Broadway Rhapsody, un projet de Cyrille Dubois que nous avons contribué à rendre possible. Il rêvait de faire de la comédie musicale et m’en avait parlé. J’ai choisi de l’accompagner dans le projet qu’il préparait et d’autres partenaires se sont greffés autour. Ce sera un regard très intéressant sur la comédie musicale, avec une mise en scène et une vraie histoire. C’est plus qu’un concert : c’est un spectacle de comédie musicale, mais avec un unique chanteur et quelques musiciens.
Nous présenterons également en mars Destins de reines, le projet de Patricia Petibon avec l’Ensemble Amarillis dirigé par Héloïse Gaillard. Ils explorent diverses reines de différentes époques, et dont les vies ont été mises en musiques à différentes périodes de l’histoire de la musique : Agrippine de Haendel, Queen Mary par Purcell et Aliénor d'Aquitaine par Escaich (ce sera une commande sur un texte d’Olivier Py).
Nous poursuivrons les Apér'Opéra, dont certains auront une identité artistique assez forte, à l’image du programme donné par Karen Vourc'h accompagnée d’Anne Le Bozec et consacré au répertoire nordique. Enguerrand de Hys et Paul Beynet donneront leur programme sur les chants religieux de la fin du XIXème et début du XXème siècle. C’est un répertoire complètement oublié mais tout à fait intéressant musicalement. En théâtre musical, nous aurons Music-Hall Colette, un monologue sur Colette avec une bande-son assez fournie. Nous la verrons écrivaine, femme libre, danseuse : c’est un spectacle assez fort, interprété par Cléo Sénia, qui est une bête de scène.