Tosca vaut le détour
La production est de manière très assumée, très classique. Le metteur en scène Pier-Francesco Maestrini a su articuler, adroitement et avec goût, des projections de peintures sur un voile de tulle à l’avant scène (les fresques religieuses du Corrège, celles maniéristes du Palais Farnèse, puis des vues de Rome et du château Saint-Ange). Les décors en arrières-plans de Guillermo Nova sont simples mais efficaces, avec également les très beaux costumes de Luca dall'Alpi et les lumières subtiles de Bruno Ciulli, s'accordant avec le jeu maîtrisé de la mise en scène proprement dite. Les images ainsi produites sont somptueuses.
Tosca par Pier-Francesco Maestrini (© Marie Pétry)
Le Théâtre de Tours est un bel établissement, dans la grande tradition des théâtres bourgeois à l’italienne du 19ème siècle. La salle est cependant de taille moyenne. Ainsi l’orchestre est-il un peu réduit par rapport à celui idéalement attendu dans Puccini. La fosse, avec deux loges réquisitionnées, abrite cependant un orchestre flamboyant sous la baguette inspirée de Benjamin Pionnier, qui sait faire ressortir de la partition les subtilités, mais aussi les moments les plus intenses, tant du côté de l’action tragique que des pics de passions (la violence des événements et de l’intensité amoureuse sont constamment au rendez-vous).
Tous les petits rôles sont tenus avec conviction et efficacité : Ziyan Atfeh, émouvant Cesare Angelotti ; Raphaël Brémard, obséquieux à souhait en Spoletta ; François Bazola, très convaincant en Sciarrone ; Francis Dudziak campant un « sagrestano » à la fois bigot et bouffe ; enfin Julie Girerd qui prête sa jolie voix au Pastore du 3e Acte. C'est dans les détails que l'on sent l’efficacité du travail du chef de chant, pour conférer une bonne tenue et une réelle homogénéité à l'ensemble du spectacle ! Les chœurs renforcés par la maîtrise du Conservatoire tiennent leur partie et savent s’intégrer à la mise en scène dans la plus grande lisibilité. Il faut trois artistes complets pour incarner les flux énergétiques de cette partition, qui ne peut pas être assumée avec seulement de belles voix. Il s’agit d’une dramaturgie musicale déferlante d’énergies qu’il convient d’incarner, de représenter, non seulement musicalement et vocalement mais aussi théâtralement.
Tosca par Pier-Francesco Maestrini (© Marie Pétry)
Au baryton Valdis Janson était dévolue la responsabilité d’incarner Scarpia. Avec une présence scénique très convaincante, un physique avenant, il sait donner à voir toutes les facettes sombres et basses du rôle. Ce qui ne s’est pas totalement traduit dans le son. Il a une belle voix, mais plutôt claire et juvénile, donc ni assez large ni évidemment assez « sombre » pour incarner « sonorement » ce qu'il sait représenter visuellement. Sa voix claire et métallisée (pour incarner la noirceur du personnage) se déploie très bien, ici, dans ce format de salle avec cet orchestre. Il ne pourrait sans doute pas assumer ce rôle dans une grande salle d’opéra, mais il tient son rang. Puccini n’a pas écrit de « tubes » solistes pour Scarpia (il a bien sûr en revanche sont magnifique Te Deum), il a réservé les morceaux les plus lyriques et mélodiques aux moments amoureux, mais il lui a donné une prose théâtrale abondante et variée, déployant toutes les nuances du gris au noir le plus absolu, dont s’est très bien acquitté Valdis Janson.
Valdis Jansons - Tosca par Pier-Francesco Maestrini (© Marie Pétry)
Tosca est incarnée par Maria Katzarava, une jeune soprano mexicaine, dotée d’une voix solide, avec un médium corsé et un aigu bravache, capable parfois de jolies nuances (son Vissi d’arte est de ce point de vue très intéressant), mais avec quelques petites réserves néanmoins : de légers problèmes dans l’articulation de la voix mixte et du bas medium, produisant quelques sons improbables, et parfois dans les moments de véhémence continus, des sons criés plus que chantés. Mais sinon, elle sait incarner vocalement toutes les nuances du « parcours » intérieur du personnage, lui conférant à la fin la grandeur qui sied. Ce n’est cependant pas une actrice née, et même si elle accomplit tout ce qui lui est demandé (et le metteur en scène ne l’a pas ménagée), avec une malaisance physique manifeste, le visuel n’était pas en réelle phase avec la magnifique prestation vocale.
Valdis Jansons et Maria Katzarava - Tosca par Pier-Francesco Maestrini (© Marie Pétry)
Angelo Villari enfin, constitue la très bonne surprise de la soirée ! Un Mario Cavaradossi idéal, à la fois noble, fougueux et généreux. Une prestation parfaite sur tous les plans, convaincante autant par le jeu que par la proposition vocale. Il a une très belle voix, riche en couleurs, aisée, parfaitement projetée, frisant parfois l’impression d’être trop rude ou tonitruante à l’attaque de certains moments, du fait du format de la salle et à ces conditions de production. Il a en fait la voix idéale pour ce rôle ! Le premier air Recondita armonia, donne immédiatement l’étendue de ses talents, lyrique à souhait et enthousiasmant. Le duo d’amour est torride, les deux voix se mêlant, parfaitement en phase. Le sublime È lucevan le stelle est plein de nostalgie, de poésie et d’amour retenu. Petit moment de grâce avec le O dolci mani, où le temps du drame semble se suspendre avant la fin tragique. Un artiste lyrique plein et entier, à suivre !
Angelo Villari et Maria Katzarava - Tosca par Pier-Francesco Maestrini (© Marie Pétry)