Le Monstre du labyrinthe, l'Opéra pour tous à Montpellier
Composé par Jonathan Dove et joué pour la première fois au Festival d'Aix-en-Provence en juillet 2015 sous la direction du chef d'orchestre britannique Sir Simon Rattle, cette œuvre dite ''théâtre musical participatif'' est un opéra pour tous. En effet, ce projet associe professionnels et amateurs de toutes catégories d'âge. L’œuvre retrace l’audacieux mythe de Thésée voulant sauver 14 jeunes Athéniens (17 dans cette production) des griffes du Minotaure, malgré le refus de sa mère. L’ensemble de la pièce met en valeur une grande solidarité humaine rassemblant toute une communauté et toute une histoire. La création contemporaine est un franc succès et pour cause, elle symbolise un profond message d’humanité.
Dans la mise en scène, Marie-Eve Signeyrole, ses assistants Marc Salmon et Maud Billen ainsi que le scénographe Fabien Teigné évoquent un sujet d’actualité et de société important et fort médiatisé à travers le fameux mythe. Les sacrifiés sont obligés de quitter leur patrie et leurs familles, tout comme la plupart des migrants essayant de trouver une meilleure vie. Les projections vidéos amateures de vrais migrants partant de leurs pays accentuent ce départ difficile. Tout est mis en place pour laisser un grand suspens dramatique : tout le monde se sent concerné. Évoquant aussi l'importante médiatisation de ces tragédies, un cameraman avec un gilet "Presse" s'insère dans la foule pour filmer plus en détail les actes de terreur du Roi de Crète. Les chanteurs embarquent le public dans l’aventure du début jusqu’à la fin. Ils les invitent à faire un bateau en papier (donné en début de spectacle) et à le brandir pour évoquer un soutien et un hommage aux migrants/sacrifiés partis en mer. Les artistes viennent enfin fêter leur retour triomphant au sein du public.
Une mise en scène de Marie-Eve Signeyrole (© Marc Ginot)
La scène du labyrinthe humain (regroupant environ 130 enfants) capte particulièrement les auditeurs. Le piège interminable bouge et crée des passages inattendus. Pour les décors, nombre d’éléments rappellent ces exodes, comme les grilles qui se referment sur les sacrifiés les piégeant dans le Labyrinthe, ou les couvertures rouges qui leur sont distribuées. Les costumes sont pour la plupart modernes, neutres et de couleur sable, kaki. Les sacrifiés qui partent pour un voyage en mer sortent du lot en mettant des vêtements chauds et des couleurs vives. Les lumières alternent focale générale et focus lors de la scène du Labyrinthe.
Lucie Roche en mère de Thésée (© Marc Ginot)
Concernant la musique, l'Orchestre de Montpellier dirigé par Jérôme Pillement, jette le public dans une atmosphère aussi légère que glaçante. Dans le rôle du héros, Damien Bigourdan est un invincible et dynamique Thésée face à la tâche qui lui est confiée. La voix est contrôlée, bien projetée et souple dans ses vocalises. Lucie Roche incarne la douloureuse mère de Thésée, remarquable dans son jeu de scène. Sa voix chaude et timbrée embellit son rôle dans une grande sensibilité. La salle retiendra la scène finale avant le départ de son fils et des jeunes sacrifiés où il se dégage une sorte de prière ultime. Ici, la relation mère-fils est particulièrement touchante et dévoile le côté humain de ces personnages. Interprété par Philippe Estèphe, le personnage de Dédale est touchant malgré une certaine réserve, face à la cruauté du Roi Minos. La profondeur et le timbre de la voix sont adaptés pour ce rôle. Le comédien Miloud Khetib interprète l’angoissant et tyrannique Roi Minos. Effrayant dans son jeu, il mène la baguette au sein de l’histoire et accentue les moments importants dans sa narration. Les Sacrifiés sont joués par 17 adolescents de la structure Opéra Junior. Dynamiques et soudés dans leur jeu, ils montrent un professionnalisme remarquable. Chantant ensemble ou en demi-groupe, les voix sont légères et souples. Cette production mobilise un nombre impressionnant de chœurs pour jouer le peuple d’Athènes : Opéra Junior où se retrouvent les trois chœurs de la structure (dirigés par Vincent Recolin, Guillemette Daboval et Sylvie Roux), présentant des chanteurs dont l'âge s'étale de 7 à 25 ans, le Chœur Universitaire Montpellier Méditerranée (dirigé par Valérie Blanvillain) le Chœur Symphonique de Montpellier (dirigé par Vincent Recolin) ainsi que le Chœur du Minotaure (dirigé par Jean-Michel Balester et Guillemette Daboval). De fait, les scènes de chœur sont particulièrement percutantes vocalement.
Damien Bigourdan en Thésée, entouré par les chœurs (© Marc Ginot)
Cette production est un défi considérable pour la scène mais replonge également l’intégralité de la salle dans un fait de société sensible, au cœur des sujets de conversations, comme Marie-Eve Signeyrole l'avais déjà fait dans sa Soupe Populaire (lire le compte-rendu ici)
Vidéo intégrale du Monstre du Labyrinthe au Festival d'Aix-en-Provence en 2015 :