Gala Offenbach à l'Éléphant Paname : personne ne s'y trompe
Le Gala Offenbach commence avec l'esprit cocasse de cette musique. La soirée balaye avec délices les airs des chefs-d’œuvres du maître de l'opérette : célèbres parmi les célèbres (La Vie parisienne, Les Contes d'Hoffmann, La Grande duchesse de Gérolstein, La Périchole) ou belles retrouvailles (Le Roi Carotte, Fortunio, Le Pont des soupirs, La Cigale et la Fourmi). Les sketchs s'enchaînent, les interprètes se disputent la vedette, ou sifflent tour à tour une bouteille de rhum pour se ravigoter, rasséréner et soigner leurs tristesses sentimentales (un habile stratagème pour laisser les chanteurs s'hydrater). Le ténor Franck Cassard entre même avec un casque bleu éléphant sur les oreilles, sourd à la musique qui l'entoure, avant de feuilleter un Paris Match. Dans l'air de La Vie parisienne, lorsque sont chantées les paroles "Paris est un endroit charmant !", le pianiste Antoine Palloc interrompt la musique pour contredire le propos : "Non, non, Paris n'est pas un endroit charmant !" Le reste du concert lui donne l'occasion de remplir sa noble mission (comme nous l'avions apprécié dans ce répertoire, avec Chiara Skerath). Il accompagne tous les effets de cette musique en faisant ressortir les galéjades mélodiques et rythmiques.
Dôme de l'Éléphant Paname - (© Emmanuel Donny)
Venant "du fin fond de la Perse", les chanteuses se font d'abord entendre depuis le fond de la salle avec Le Roi Carotte. Elles cheminent ensuite et se séparent dans des effets de stéréophonie pour vendre "objets de toilette, parfums et cassolettes". La soprano Tatiana Probst et la mezzo Éléonore Pancrazi agglomèrent leurs voix épaisses, Offenbach prenant un aspect massif.
Tatiana Probst fait aussi exploser sa voix, soudainement. Elle modifie les voyelles, les menant en fond de gorge pour les épaissir. La soprano place indéniablement la fondamentale de ses notes et déploie les résonances dans l'aigu, mais les harmoniques intermédiaires sont voilées, ce qui gâche énormément une merveille de placement vocal (elle trouve même de l'écho dans le foyer de l'Éléphant Paname, pourtant tapissé de rideaux).
Pour sa part, Éléonore Pancrazi impressionne par la longueur de sa voix, tenant la note avec générosité et vibrant longtemps après l'émission. Jubilante dans le jeu d'actrice, elle exulte et souffle de désir entre ses dents serrées pour proclamer son amour des militaires. Elle ponctue ses fins de phrases par de délicats trilles énergisant la ligne avec art et légèreté. Très à l'aise dans son grave, elle y tire l'ancrage qui tient le médium aigu, riche en harmoniques.
Jacques Offenbach
Le baryton Christian Tréguier tient la partie grave en mimant les pizzicati d'une contrebasse. Dans ses airs, il projette sa remarquable voix d'acteur, plus lancée et déclamée que chantée. Sa ligne vocale délaisse la justesse des notes, pour celle de l'intention et la richesse du souffle, depuis des graves murmurés jusqu'à des médiums éclatants, presque (dé)braillés.
Le vibrato de Franck Cassard, d'une amplitude extrême, prend le pas sur son chant. Le ténor a le col ouvert, mais la voix est entièrement cravatée (serrée de gorge). Cela permet d'atteindre les aigus, mais l'effet est constant sur tout l'ambitus. La noblesse du personnage et de son émission, qui a le mérite de la constance, lui interdisent toute variation de volume et d'accent. Ce port altier rend d'autant plus délicieux son jeu faussement outré, pince-sans-rire. Il feint d'être choqué par les mœurs des autres personnages et c'est un délice que de le voir se gargariser en fourmi morigénant la cigale dispendieuse ou bien lorsque la Périchole lui masse le crâne.
Dans un concert Offenbach avec deux chanteuses, pour réjouir le public, le bis ne pouvait qu'être la Barcarolle Belle nuit ô nuit d'amour. Puis, Des cendres de ton cœur réchauffe ton génie ! est le deuxième bis, chanté par le quatuor de tout son volume. Le troisième et ultime bis reprend le dernier morceau du programme : "Les femmes, les femmes, il n'y a qu'çà..." avec faux trous de mémoire et détournement de texte : "Les femmes, les femmes, il n'y'a pas qu'çà..."
Offenbach, Offenbach, il n'y a qu'çà... !
Gala Offenbach à l'Éléphant Paname (© Charles Arden)