Monsieur de Pourceaugnac, Comédie-Ballet de Molière et Lully en son royaume de Versailles
Les instrumentistes des Arts Florissants menés par William Christie au clavecin sont visiblement et audiblement à l'aise dans ce répertoire. Placés sur scène côté jardin, ils se comprennent d'un regard. Grâce à leur connaissance et maîtrise de ce répertoire, ils peuvent se détacher de la partition et se mouvoir élégamment avec la musique. Même le continuo d'assis (clavecin, théorbe et viole) s'animent de tête et d'épaules devant les cordes et les vents.
Les musiciens interagissent avec les interprètes des personnages, qui passent du chant au jeu dramatique avec aisance. Claire Debono ouvre le prélude chanté de sa voix tubée et en légers soufflets. Placée, elle garde la continuité du souffle, même dans ses ornements, choisis avec goût et parcimonie. Le haute-contre Erwin Aros est serré mais audible et articulé, tandis que le baryton-basse Matthieu Lécroart et la basse Cyril Costanzo placent bien leurs voix en les mettant au service de la comédie. Le prélude est chanté dans un français intelligible qui ne fait pas regretter l'absence de sur-titres et il en va de même pour le second intermède, en italien. Toutes les voix d'acteurs sont placées et sonores, notamment parce qu'elles sont toniques et franches.
Monsieur de Pourceaugnac par Clément Hervieu-Léger (© Brigitte Enguerand)
Cette énergie laisse le texte de Molière déployer sa prose et son esprit de génie, enchaînant moqueries sous cape, manipulations et stratagèmes. Comme de coutume chez l'auteur français, les personnages sont une galerie de ridicules et de malhonnêtes dans une caustique dénonciation sociale. Monsieur de Pourceaugnac est moqué par son nom ridicule, sa mise, sa ville de Limoges. Mais Molière présente un héros candide, bien plus aimable que ses bourreaux : médecins charlatans, avocats qui rêvent de pendre les gens (notamment les limousins), soldats allemands bestiaux, police corrompue, toréador en tenue vert pomme, chaussettes et cape roses (dans un accent tout aussi coloré), le travesti et la Vamp qui revendiquent Pourceaugnac pour mari.
Mention spéciale aux costumes parfaitement ridicules, notamment pour Monsieur de Pourceaugnac, convaincu par son tailleur d'être à la mode campagnarde de la cour dans son manteau vert pomme, combiné à un gilet et un pantalon de velours, dans une palette de couleurs effrayante. Il revêtira même une robe rouge à pois blancs, imitant des caricatures de postures et démarches féminines pour fuir la ville.
Monsieur de Pourceaugnac par Clément Hervieu-Léger (© Brigitte Enguerand)
Le mouvement sur scène est aussi celui des véhicules : un vélo fend les airs (nous avons déjà chroniqué des productions lyriques cyclistes cette saison avec La Cenerentola de Lille et Katia Kabanova en Avignon) ainsi qu'une vieille voiture (ressemblant à celle de L’Élixir d'amour à Strasbourg).
Soudain, les lumières s'allument et Pourceaugnac (l'acteur Gilles Privat) surgit dans le public. Il s'émerveille de la beauté de l'Opéra de Versailles, en comparaison de son Théâtre de Limoges. Le provincial peste toutefois contre cette ville où il pleut des femmes et des lavements. Se faufilant parmi les rangs, il embrasse des spectateurs et William Christie en remontant sur scène, où la mêlée croît crescendo. Les spectateurs versaillais ne s'attendaient sans doute pas à être bombardés de poireaux et presque éclaboussés de boisson (le tord-boyaux que ne peuvent ingurgiter les personnages et qui rappelle la scène de boisson dans le chalet des Bronzés font du ski).
Monsieur de Pourceaugnac par Clément Hervieu-Léger (© Brigitte Enguerand)
L'Épilogue résout tous les conflits dans une danse et ronde enthousiasmante "La grande affaire est le plaisir". Les musiciens et chanteurs renvoient les spectateurs sur une note chaleureuse et dansante, dernière illustration de toute la justesse de cette soirée. Les bravi fusent et les pieds trépignent sur cinq rappels. Les instrumentistes et les acteurs-chanteurs se congratulent, visiblement soudés comme l'entendaient Molière et Lully.
La qualité des instrumentistes et l'implication des chanteurs permettent de revivre cette Comédie-Ballet dans son interaction initiale entre jeu et musique, comme elle était conçue. Ce travail de recomposition des grandes formes artistiques classiques est une qualité remarquable des productions de Versailles, qui en donnera prochainement une nouvelle illustration à travers la tragédie lyrique Médée de Charpentier avec ballet, musique et mise en scène sur instruments d'époque (vos places vous attendent sur notre espace billetterie, à ce lien).