Méditations italiennes élevées par Valer Sabadus et Christophe Dumaux à Versailles
Sous l'enroulement des fresques ornant son plafond, la Chapelle Royale est comble jusqu'au balcon. En guise d'ouverture, le Concerto grosso d'après la sonate pour violon d'Arcangelo Corelli de Giovanni Benedetto Platti résonne majestueusement dans ce vaste décor de marbre et d'or. Après un prélude lent et intense où percent aisément les accents du célèbre Corelli, Andrès Gabetta qui dirige l'ensemble cofondé avec sa célèbre sœur Sol Gabetta, aborde des traits frétillants de virtuosité dans les allegri, ses cheveux volant en tous sens dans la sarabande et la gigue finale. Déjà, l'ensemble révèle une véritable assise harmonique grâce à son continuo vibrant, teinté de la brillance du luth d'Eduardo Egüez, discret et efficace.
La couleur méditative donnée, les oreilles des auditeurs sont prêtes à recevoir le moment musical principal de cette soirée, partagé entre prières pour la Vierge et tableaux décrivant la douleur de celle-ci, au moment de la crucifixion de son fils. Outre le Stabat Mater de Pergolèse tant attendu, les musiciens se tournent vers des partitions moins connues, telles que deux Salve Regina, l'un de Nicola Porpora, l'autre de Vivaldi. Valer Sabadus et Christophe Dumaux se partagent ces véritables prières à la Vierge, offrant chacun un cachet personnel aux caractéristiques communes que suggère le genre commun de composition. Tandis que Valer Sabadus aborde le virevoltant « Ad te clamamus » (Vers toi nous élevons nos cris) de Porpora avec des envolées généreuses et légères qui conviennent à sa voix de soprano rendue presque trop ample par l'acoustique de l'édifice, Christophe Dumaux pose une voix opératique, d'allure presque guerrière, dans la même partie vivaldienne, encore plus virtuose. Au gémissement dessiné par la courbe descendante dans « Ad te suspiramus » (Vers toi nous soupirons) de l’œuvre de Porpora s'oppose une version vivaldienne en demi-teinte : l'air fait suivre accents larmoyants et rythmes sereins sans aucune transition. À ces divergences musicales s'ajoutent les reliefs donnés par les deux contre-ténors. En effet, le jeune Sabadus semble ressentir chaque affect de son chant. Fermant les yeux aux moments instrumentaux, son corps tout entier se meut de lignes musicales : sa tête dodeline, ses mains s'élèvent afin de maintenir encore le cours de son chant. Christophe Dumaux, en revanche, arbore une posture plus stable, les jambes bien campées au sol, les sourcils froncés.
Valer Sabadus et Christophe Dumaux dans le Stabat Mater de Pergolèse à Aix en Provence (© Caroline Doutre)
La fusion des voix se cristallise enfin dans le Stabat Mater de Pergolèse, qui n'est pas une prière adressée directement à la Vierge tels que les « Saluts » précédents, mais bien un tableau décrivant la scène déchirante d'une mère pleurant son fils mourant. Tels des plans rapprochés d'une même image, les différentes parties de l’œuvre décrivent à chaque fois un autre pan du paysage émotionnel de Marie. Douloureusement entremêlée par les frottements mélodiques, la première page de la composition est aussi l'une des plus émouvantes. Entrant en imitation sur chaque mot de la première phrase, « Stabat Mater dolorosa », la symbiose du timbre pur de Valer Sabadus et de la texture quelque peu pincée de Christophe Dumaux vont jusqu'à donner le frisson. Riches de figuralismes (les lignes mélodiques prennent le contour d'un sentiment, d'une idée leur correspondant), les airs sont profondément évocateurs, frôlant le cri rendu désespérément furieux par les aigus du chanteur d'origine roumaine. Marie assiste au dernier soupir de son fils, ressenti par la crispation puis la détente dans la voix de Valer Sabadus.
La description du tableau achevée, l’œuvre bascule à nouveau vers une prière mariale aux accents redoutables et trilles exubérants dans la fugue enflammée « Fac ut ardeat cor meum » (Fais que mon âme soit de feu). En guise d'accomplissement de toutes les prières prononcées jusqu'à présent, les deux contre-ténors proclament un « Amen » final au-dessus du continuo grondant, semblable au roulement de timbales.
À ce final rugissant se joint ensuite une pléthore d'applaudissements, faisant revenir par quatre fois les musiciens sur scène, mais n'en décrochant plus aucun chant. Certainement, il n'y a rien à ajouter à ce qui a été dit.