Les Sept dernières paroles de Joseph Haydn et James MacMillan
Les Sept dernières paroles du Christ ont inspiré à Haydn et MacMillan -deux compositeurs, l’un autrichien, l’autre écossais, que deux siècles séparent- des œuvres bien ancrées dans la doctrine religieuse de la fête de Pâques. Ces deux œuvres furent créées pour être jouées lors de la Semaine Sainte : en 1786 à Cadix pour Haydn, où la musique devait prolonger le serment de l’évêque, et en 1993 à Londres pour MacMillan, pour être diffusée par la BBC en sept épisodes tous les soirs de la Semaine Sainte. La Salle de la Cité de la musique participe à cet ancrage en mettant en évidence la symbolique du chiffre sept avec les sept panneaux acoustiques placés à l’arrière de la scène et les sept ouvertures dans la galerie au-dessus de l’orchestre, d’où interviennent les chanteurs durant la première partie.
La version de la pièce de Haydn proposée est la version initiale pour orchestre parmi laquelle le chef, Douglas Boyd (qui dirigera Les Noces de Figaro le 27 juin au TCE -réservations ici), a choisi d’insérer des phrases de chœur a cappella, rappelant les versions ultérieures réalisées par Haydn (dans un premier temps pour quatuor à cordes, ensuite avec l’adjonction de paroles pour chœur mixte, quatre solistes et orchestre). L’œuvre de MacMillan est composée pour orchestre à cordes, ici l’Orchestre de chambre de Paris, et chœur mixte, l’Ensemble vocal Les Cris de Paris.
Douglas Boyd et l'Orchestre de chambre de Paris (© Pierre Morales)
Les Sept dernières paroles du Christ sont une série de courtes phrases que le Nouveau Testament attribue à Jésus juste avant sa mort. Face à de tels textes, les deux compositeurs adoptent une attitude sobre et distanciée. Haydn choisit la forme de sept mouvements lents comme sept méditations musicales sur chacune des sept dernières paroles du Christ. MacMillan s’exprime à ce sujet : « Lorsqu’on met en musique de tels textes, il est primordial de garder une certaine distance afin de contrôler l’expression musicale ». Cependant, les deux hommes n’hésitent pas à utiliser un certain figuralisme. La conclusion de Haydn est le seul mouvement rapide de l’œuvre, au rythme brisé, dans une nuance forte accentuée par la présence des trompettes et des timbales, illustrant le tremblement de terre à la mort du Christ. Dans le n° 3, en vérité je te le dis, tu seras avec moi au paradis, MacMillan compose pour sa part une musique qui s’élève tout au long de la pièce, utilisant des tonalités et des voix de plus en plus hautes.
James MacMillan (© Hans van der Woerd)
Les chanteurs des Cris de Paris, au nombre de trente-six et disposés en deux rangs derrière l’orchestre, regardent de façon très concentrée la direction de Douglas Boyd, assumant parfaitement leur rôle de choristes et de solistes selon les exigences de la partition. Ponctuant de brèves interventions l'opus de Haydn, ils se déploient dans celui de MacMillan : dans le n° 2, Femme, voici ton fils ! , qui évoque les chorals de Bach, ils parviennent à marier leurs voix dans un son commun, alors que dans le n° 3, les entrées successives laissent apparaître les individualités. Les voix sont concentrées, tenues, sans grand vibrato permettant l’intelligibilité des dissonances. Le son d’ensemble est très homogène, faisant entendre de belles nuances allant des sons chuchotés dans le n° 5, J’ai soif, au cri angoissé dans le n° 7, Père, entre Tes mains je remets mon esprit. Les sopranos réalisent avec une grande assurance des débuts de phrases dans l’aigu, en convergence avec l’aigu des violons.
Les Cris de Paris aux Rencontres Musicales de Vézelay (© François Zuidberg)
Le projet de mettre en miroir deux œuvres d’esthétiques différentes est l'un des marqueurs du programme artistique de la Philharmonie de Paris (nous en avions souligné la qualité lors du véritable dialogue baroque-contemporain entre Bach et Zimmermann et ce dialogue continuera la saison prochaine avec "La Création" de Haydn et Georg Friedrich Haas) Cette résonance illustre bien la démarche des deux ensembles de ce soir : l’Orchestre de chambre de Paris a la volonté de décloisonner les répertoires et les lieux (avec l’exemple de son projet mené dans la prison de Meaux) et de s’associer à des artistes partageant sa démarche. Les Cris de Paris, créés et dirigés par Geoffroy Jourdain, ont pour identité cette grande ouverture qui va de la musique ancienne à la musique contemporaine. Ils participent à des projets originaux en s’associant à des metteurs en scène, des chorégraphes ou des comédiens.
Leur rencontre ne pouvait être qu’un succès, ce que le public de la Cité de la musique a entériné ce soir-là par de chaleureux applaudissements.