Un duo d’émotion Pascale à Aix-en-Provence
Le Festival de Pâques articule ici subtilement sa programmation à la période liturgique autour d’un noyau de compositeurs italiens qui, au début du XVIIIème siècle, ont arpenté le chemin allant du "Salve Regina" (Salut à la Vierge) jusqu’au "Stabat Mater" (chant de détresse de la Mère au pied de son Fils crucifié), notamment Porpora, Vivaldi et bien sûr Pergolèse. Assis près de l’« autel », le public peut percevoir jusqu’au déplacement de l’air mis en vibration par les interprètes, les inflexions les plus menues de leur être en scène. La Capella Gabetta est un ensemble spécialisé, dirigé du violon par Andrés Gabetta, qui se consacre à la recherche de répertoire et à la pratique de l’interprétation historique sur instruments d’époque. Il constitue le socle limpide et concis des deux voix, depuis la baguette-archet souple et légère de son chef. La cathédrale Saint-Sauveur d’Aix-en-Provence porte et exalte l’orchestration minimale et concentrée de ce répertoire par son acoustique aussi généreuse qu’impitoyable.
Cappella Gabetta (© Holger Talinski)
Une logique rigoureuse distribue de manière équitable, comme le fait Pergolèse, les parties chantées en duo ou en solo et joue admirablement sur leur complémentarité. Car il serait tout simplement trivial de les comparer. Valer Sabadus représente ce soir la figure immatérielle, lumineuse, de la prière. Son timbre, ailé, rejoint les cimes sans sembler avoir besoin de les gravir. Ses vocalises sont des nuées lumineuses, crépitantes, explosives, saisissantes, qui vivent leur vie propre avant de se dissoudre dans les hauteurs vertigineuses du gothique flamboyant. Ses gestes creusent les lignes de force du chant, alors que son corps accompagne l’enroulement en spirale des mélismes. Il sait, par contraste, voiler le medium de sa tessiture pour mieux accueillir en lui le cantique de douleur. L'auditoire est sidéré par son Vidit suum dulcem Natum (Elle vit l'Enfant bien-aimé), aux gémissements sublimés par sa musique. Il ne peut cependant, tout à son registre opératique, et sans son partenaire, atteindre l’extase intérieure.
Valer Sabadus et Christophe Dumaux dans le Stabat Mater de Pergolèse à Aix en Provence (© Caroline Doutre)
Là, au cœur intime de l’œuvre, à son tournant, quand la déploration fait place à l’imploration, l’aria du contralto succède à celui du soprano : Eja mater fons amoris (Ô Mère, source de tendresse). Christophe Dumaux accepte alors d’y faire vibrer sa lumière (le chanteur vient a effectué récemment son retour sur les scènes, dans Ariodante à Stuttgart). Il incarne le versant matériel, humain, d’une prière et d’une détresse qui est aussi celle d’une mère. Quelque chose de la mémoire du quotidien est attachée à son timbre et à sa posture, immobile mais sans raideur. Sa voix droite, resserrée, est tournée vers l’intérieur. La colère est ce qui lui permet de conquérir l’espace acoustique et de rejoindre, dans les duos finaux, son partenaire, devenu, quant à lui, plus méditatif.
Comme si un même souci de parvenir à tracer une ligne d’émotion les réunissait, une manière commune et croisée de faire osciller la vocalise, et au-delà, la vocalité, depuis le pôle de l’intime jusqu’à celui du théâtre.
Valer Sabadus et Christophe Dumaux dans le Stabat Mater de Pergolèse à Aix en Provence (© Caroline Doutre)