Un Werther viennois en excellent français
La mise en scène d'Andrei Serban s'ouvre sur un arbre massif, symbole de force et d'éternité, l'allégorie ironique de Werther qui décline à l'automne et meurt à l'hiver. Au premier acte ce chêne immense est plein de force et de vie, les enfants y jouent sur une scène en permanente agitation. Mais quand l'espoir de Werther se brise à la fin du premier acte, lentement la vie semble quitter ce chêne qu'on avait cru inébranlable. La Noël passe et l'arbre meurt, c'est désormais son ombre qui plane sur Charlotte. Un admirable travail sur l'éclairage met en valeur au dernier acte la sombre face de ce vestige d'une gloire première où l'on ne trouve plus que deuil et que misère. Finalement cette image frappante vient remuer quelque souvenir d'enfance. Werther est, dans cette mise en scène, comme la fable du Chêne et du roseau de la Fontaine « Le vent redouble ses efforts et fait si bien qu'il déracine celui de qui la tête au ciel était voisine et dont les pieds touchaient à l'empire des morts. » On appréciera donc particulièrement une mise en scène aussi belle qu'intelligente, ce qui est devenu assez rare à l'opéra.
Sophie Koch dans Werther (© Michael Pöhn)
L'Orchestre du Wiener Staatsoper est dirigé par Frédéric Chaslin. Dans une partition aussi explosive que Werther, il parvient à adoucir son orchestre avec poésie pour embellir les passions et les destins tragiques. Saluons la prestation du premier violon lors de solos attendrissants.
Hors de France, une appréhension légitime porte souvent sur la diction des chanteurs dans la langue de Molière, l'attention portée à cet aspect n'y étant pas toujours élevée. Qui en effet n'a jamais éprouvé ce sentiment contrasté devant la merveilleuse mais tout à fait inintelligible Elina Garanca ? Il n'en fut rien. La production fait même appel à deux immenses gloires du chant français.
Maria Nazarova dans Werther (© Michael Pöhn)
Sophie Koch avait brillé au Metropolitan Opera dans cette même œuvre avec Jonas Kaufmann. Elle joue à Vienne une Charlotte puissante et convaincante, d'une remarquable précision technique. Un souffle long et maîtrisé emporte le public dans l'air « Va ! laisse couler mes larmes ». À sa voix claire s'ajoute un jeu convaincant. Ludovic Tézier profite d'un beau volume et d'un timbre ferme, il couvre l'orchestre dans les moments les plus tragiques. Il est remarquable lors de l'air le plus attendu « Pourquoi me réveiller ô souffle du printemps ? ». Enfin il a le jeu le plus convaincant, comme hors de lui dans ses colères, le spectateur croyant véritablement voir Werther tomber à terre, éprouvé par le destin.
Adrian Eröd dans Werther (© Michael Pöhn)
Adrian Eröd est peut-être le plus surprenant. Le baryton autrichien a un français absolument parfait, il prononce même les « r » non roulés dans une clarté tout à fait incomparable. Un grand volume et un timbre sombre donnent à son Albert une grande vérité. Pour Alexandru Moisiuc, le Bailli, il s'agit d'une prise de rôle réussie, en bon français, il se remarque par son jeu d'une bienveillante sévérité avec les enfants. Enfin Sophie par Maria Nazarova est également une prise de rôle de bonne facture. Elle produit là encore un français sans faute, et prononce même très exactement le mot « menuet » ce qui n'a rien d'évident. Son timbre clair, son souffle puissant et ses aigus honorables font une grande Sophie. Même les enfants de la maîtrise de l'Opéra de Vienne prononcent distinctement le chœur « Jésus vient de naître ».
Alexandru Moisiuc dans Werther (© Michael Pöhn)
Une production réussie à tous points de vue pour l'Opéra de Vienne qui déploie de formidables moyens quand il s'agit d'opéra français. Merci à son Directeur, le français Dominique Meyer !