Un récital fait Flórez (Juan Diego) à Garnier
Le choix de trois mélodies de Rossini pour débuter le récital est une évidence lorsque l’on sait que le ténor côtoie ce compositeur depuis longtemps et qu’en 1996, il fait ses débuts officiels au Festival Rossini de Pesaro, remportant un grand succès qui marque le début de sa carrière internationale. « La lontananza », « Bolero » et « Addio ai Viennesi », que le chanteur dédie à Alberto Zedda, grand chef d’orchestre spécialiste de Rossini et qui vient de mourir à l’âge de 89 ans (notre article hommage), permettent au public d’admirer la voix parfaitement projetée et le beau phrasé belcantiste du ténor.
Le récital se poursuit avec deux airs de Mozart : « Ich baue ganz auf deine Starke », extrait de L’Enlèvement au sérail et « Vado incontro » extrait de Mitridate, re di Ponto. Peu après le début de l’air de Belmonte, le chanteur s’arrête, s’adresse très simplement au public, expliquant qu’il est un peu malade, qu’il peut chanter mais qu’il est si concentré sur sa voix qu’il en oublie les paroles. Il reprend cet air qu’il chante à la perfection et reçoit des applaudissements chaleureux. L’air de colère, extrait de Mitridate, « encore plus difficile que les airs de Rossini, avec ses huit contre ut », précise le ténor avec humour, mobilise toute la virtuosité technique de l’interprète. Son geste vocal est parfaitement maîtrisé, tout le corps est sollicité et les aigus sont atteints avec une grande assurance. Le résultat est époustouflant, bien au-delà de la prouesse vocale.
Juan Diego Flórez (© Decca / Josef Gallauer)
Le récital sera ponctué d’allers et retours du chanteur dans les coulisses, gêné par la sécheresse de sa gorge qui l’oblige à boire régulièrement, jusqu’à se pulvériser la gorge sur scène avec un spray… d’eau salée, précise-t-il avec un grand sourire. Il communique avec un tel naturel et une si grande simplicité que le public est partie prenante et l’écoute très intense, ainsi que les « bravo ! » entre les airs.
La première partie s’achève avec « che ascolto ahime… Ah, come mai non senti », extrait de l'Otello de Rossini et dont les différents climats, allant de la tendresse à la colère, permettent au ténor d’exposer toute sa palette sonore : un timbre clair, précis et sonore, un phrasé généreux alternant subtilement la voix pleine en poitrine et la voix mixte (voix de poitrine allégée), une remarquable virtuosité, sans oublier des aigus sûrs et brillants.
La deuxième partie met à nouveau la mélodie à l’honneur avec trois romances de Leoncavallo : « Aprile », « Vieni, amor mio » et « Mattinata », cette dernière étant dédiée à Caruso. On peut remarquer l’étroite relation entre le chanteur et son pianiste Vincenzo Scalera qui a été assistant de célèbres chefs d’orchestre tel Claudio Abbado, et qui accompagne de très grands chanteurs. Ce dernier porte toute son attention au ténor qu’il accompagne, le regardant attentivement pour chaque cadence.
Juan Diego Florez profite que Puccini demande de chanter l’air de Rinuccio, extrait de Gianni Schicchi, « à la manière d’un poème stornello toscan » pour faire le pitre. Il pousse de grands soupirs avant de chanter, se moque des spectateurs qui lèvent la tête tous ensemble pour regarder les surtitres, mais sa malice n’enlève rien au talent de l’interprète qui chante « Che gelida manina » de La bohème avec une grande sincérité.
Juan Diego Flórez (© Decca / Simon Fowler)
Avec Massenet (air de Werther « Pourquoi me réveiller ») et Verdi (airs extraits des Lombards ,« La mia letizia infondere » et de Traviata,« De’ miei bollenti spiriti…O mio rimorso »), Juan Diego Florez achève son programme de récital sur des airs plus lourds et plus lyriques, que sa maturité vocale lui permet d’aborder de façon très convaincante. Son timbre clair devient plus chaud sans perdre de sa brillance et les phrases musicales se déploient dans un souffle généreux et ample.
Mais le récital ne s’arrête pas là. Le chanteur péruvien revient seul avec sa guitare et, après avoir enlevé son nœud papillon et déboutonné sa veste, il interprète d’un timbre suave, qui utilise la voix de tête, un tango et deux chansons populaires d’Amérique latine. Le public debout lui en redemandant encore, il clôt son récital et chante « Una furtiva lagrima » (L'Élixir d'amour) puis, sous les applaudissements et les cris des spectateurs enthousiastes, lance son nœud papillon dans le public et disparaît en coulisses.