Laurent Naouri résume pour vous l'histoire de Trompe-la-mort
Laurent Naouri (lire l'intégralité de son interview), pouvez-vous nous décrire le synopsis de Trompe-la-mort, opéra de Luca Francesconi dans lequel vous vous apprêtez à créer le rôle-titre à l'Opéra de Paris ?
Jacques Collin, alias Vautrin, alias Trompe-la-mort est l’archétype du criminel dans La Comédie Humaine : on le croise dans plusieurs épisodes. Les illusions perdues narre la tentative d’ascension de deux jeunes provinciaux à Paris : le premier, Rastignac, réussit et l’autre, Lucien, échoue. Il se trouve que Rastignac a bénéficié des conseils de Vautrin qu’il a rencontré dans une pension : sa réussite est donc déjà imputable à ce dernier. Vautrin doit finalement s’enfuir et trouve le salut dans la prise d’une nouvelle identité : il se fait passer pour un abbé espagnol, Herrera, qu’il a tué. En voyage, il tombe sur Lucien qui vient de prendre acte de son échec et qui envisage sérieusement le suicide au bord de la Charente. L’opéra commence là.
Vautrin pressent qu’il va pouvoir utiliser ce jeune homme. Il va alors lui proposer un pacte faustien : si Lucien suit les recommandations de Vautrin, il réussira dans le monde, mais il lui appartiendra. Cette conversation est le fil rouge de l’opéra : elle est fragmentée en plusieurs épisodes que l’on découvre au fur et à mesure de l’œuvre. Il y a ainsi des allers-retours dans le temps. C’est une narration assez cinématographique : je crois que le dispositif scénique donnera une belle lisibilité à ce procédé. En tout cas, nous nous y employons.
Lucien va donc user de ses charmes auprès des jeunes femmes de la société sous les conseils de Trompe-la-mort. Mais les projets de ce dernier sont contrecarrés par le fait que Lucien tombe amoureux d’une courtisane, Esther, alias « La Torpille », ce qui est bien sûr assez scandaleux dans le monde parisien. Trompe-la-mort va tout de même réussir à utiliser cette histoire en vendant Esther au Baron Nucingen qui en est amoureux : l’importante somme d’argent ainsi obtenue permet à Lucien de devenir un parti épousable. Après quelques crimes et manigances, Trompe-la-mort est arrêté : Esther se suicide, suivie de peu par Lucien. En prison, Trompe-la-mort utilise des courriers compromettants de dames de la haute société séduites par Lucien pour négocier d’être nommé chef de la police, plutôt que de retourner au bagne. L’opéra se termine donc sur un triomphe ironique de Trompe-la-mort, qui conclut par ces mots très antisociaux : « La haine fait vivre ! Qu’on travaille ! ». Le projet scénographique est abstrait et symbolique mais très beau.