Les découvertes de Chimène ou le Cid à Massy
L’Opéra de Massy programmait ce mardi Chimène ou le Cid d’Antonio Sacchini, apportant la preuve que l’opéra est un objet de découvertes infinies. Cette soirée est en effet d'abord l’occasion de découvrir une œuvre (voire un compositeur). Sacchini est exactement contemporain de Gluck : l’inspiration qu’il a tirée des travaux théoriques et pratiques de ce dernier est évidente. Le livret de Nicolas-François Guillard, tiré du Cid de Corneille, prend l’histoire à l’issue du duel, afin d’approfondir la relation du couple central, en évacuant le conflit de la génération précédente. En résulte une œuvre haletante, d’une grande richesse musicale et vocale, que l’on sait gré à l’Arcal, à l’origine de cette recréation, de faire découvrir au public.
La mise en espace de Sandrine Anglade est sobre et efficace : elle offre des tableaux éblouissants (au sens propre comme au figuré, les éclairages étant régulièrement tournés vers le public), comme ceux qui ouvrent et referment la soirée, ou ceux qui figurent la bataille contre les Maures, entre les deux actes qui sont donnés sans entracte. L’orchestre, présent sur scène, est réparti de part et d’autre d’une rampe permettant de rejoindre un podium sur lequel les chanteurs évoluent en fond de scène. Le chef, Julien Chauvin, dispose quant à lui d’un espace aménagé au centre cette rampe. Dos au public au début de la soirée, il lui fait ensuite face, se tournant de tous côtés afin de rester visible des musiciens dont certains sont donc dans son dos. Cet aménagement, outre son originalité, trouve également un sens musical tant il met en valeur le dialogue constant entre les différents pupitres qui se répondent et se confrontent. Les très jeunes musiciens du Concert de la Loge, dotés de perruques identiques leur donnant l’aspect de clones, excellent dans ce répertoire qui ne laisse aucun répit aux interprètes, preuve que la valeur n’attend point le nombre des années ! Les dix Chantres du Centre de musique baroque de Versailles créent du mouvement, du jeu, et déploient un trésor d’intentions scéniques, les corps tendus vers l’avant. Les voix se mêlent dans une grande cohérence.
Agnieszka Slawinska et Artavazd Sargsyan dans Chimène ou le Cid (© Anne-Sophie Soudoplat)
Au-delà de la découverte d’une œuvre, cette production est également l’occasion de (re)découvrir le talent de son interprète principale, Agnieszka Slawinska (qui avait déjà séduit le public strasbourgeois dans La défense d’aimer la saison dernière : retrouvez-en notre compte-rendu ici). La finesse de son interprétation la place d’emblée parmi les grands espoirs du chant lyrique, au même titre que Pretty Yende ou Venera Gimadieva. La richesse de son timbre laisse le spectateur frissonnant, d’autant qu’il est magnifié par une rare subtilité, comme lorsque sa tenue de note se perd dans un intense pianissimo, bouche fermée, laissant à son ample vibrato le soin d’exprimer le désarroi de son personnage. Ses aigus, qu’elle émet en se hissant sur la pointe des pieds, sont fins et doux. Sa voix reste parfaitement audible lorsqu’elle chante dos au public ou en position de prostration, tête vers le sol. Mais cette qualité vocale serait vaine si elle ne portait pas d’aussi grandes qualités scéniques : elle compose un personnage d’une grande complexité, à la fois immensément fragile, car soumise aux puissances de l’amour, et dotée d’une force de caractère à toute épreuve, mue qu’elle est par son désir de vengeance. Lorsque le Roi annonce qu’elle devra épouser le vainqueur du duel opposant Rodrigue à Don Sanche, son expression faciale laisse apparaître en l’espace d’une seconde à la fois l’espoir d’être mariée à son amant, le brûlant désir qu’il n’en soit rien, afin de garder son honneur sauf, et la répulsion que lui inspire l’idée d’être livrée à Don Sanche. De même, lorsque Rodrigue, qu’elle pense tué, lui apparaît vainqueur du duel, son regard se perd entre soulagement, effroi et soumission à une volonté divine à laquelle elle finit par se plier. Son port gracile va de pair avec un phrasé gluckiste parfaitement maîtrisé, les rares écarts dans sa prononciation du français lui procurant même un charme supplémentaire.
Agnieszka Slawinska dans Chimène ou le Cid (© Anne-Sophie Soudoplat)
Elle forme un joli duo avec le Rodrigue d’Artavazd Sargsyan dont la voix est homogène sur l’ensemble de la tessiture : son timbre de bronze est agréable bien que la voix, placée dans le masque, soit parfois légèrement forcée, ce qui l’empêche de déployer une pleine puissance dans son air de vaillance final. Le Roi d’Enrique Sanchez-Ramos souffre d’une prononciation incertaine. Long en souffle, il déploie un ample vibrato sur une voix assurée. Matthieu Lécroart est un Don Diègue digne et martial (demandant par trois fois à son fils de risquer sa vie pour l’honneur de sa famille), à la diction parfaitement compréhensible, dégageant une réelle autorité, tant dans la puissance vocale que dans le phrasé. Son timbre est clair dans les médiums et ses aigus sont sûrs. Jérôme Boutillier est distribué dans le rôle du Hérault d’armes, qui correspond à sa stature de guerrier, et dans lequel il parvient à briller malgré une partition restreinte. Ses graves résonnent dans le récit de la bataille, dans lequel sa puissance et son intonation délivrent une grande expressivité. Eugénie Lefebvre est une Coryphée à la voix vaillante et aux aigus projetés avec éclat. Enfin, Don Sanche est campé par un François Joron volontaire.
Quelques jours après un Signor Bruschino qui laissait déjà la place aux jeunes (lire notre compte-rendu), l’Opéra de Massy poursuit là avec brio son activité de découverte artistique, et le public en redemande.