Monteverdi guide Carissimi et Rossi au Théâtre Grévin
En 1643, Claudio Monteverdi s’éteint après avoir refondé la musique occidentale, intégrant l’héritage renaissant, mais innovant résolument, tant sur le plan du langage musical (la modalité évoluant vers la tonalité) que sur celui des principes d’écriture qui associe la monodie (une voix) à la technique d’accompagnement de la basse continue. Cela donnera naissance à l’opéra et à terme, au cours du XVIIème siècle, à une musique instrumentale autonomisée de la parole. Sur le plan des genres aussi, Monteverdi a œuvré puissamment : avec son Orfeo en 1607, il a mené l’opéra des premières favole in musica florentines ("fables en musique") à une conception nouvelle, liée à l’ouverture des théâtres publics d’opéra à Venise dans les années 1640, dans laquelle l’aria prend peu à peu le pas sur le récitatif pour représenter les passions. D’une certaine manière, il signe par ailleurs la mort du madrigal polyphonique avec le Livre VIII en 1638 (sublime chant du cygne !) et inaugure un genre nouveau : la cantate. C’est de cet héritage que sont tributaires tous les compositeurs convoqués lors du concert « Madrigaux, airs et duos d'opéra » donné dans le joli petit Théâtre Grévin.
L’ensemble Centaurus propose donc un récital où se côtoient Monteverdi et ses successeurs, alternant soli, duos et pièces instrumentales. Le continuo est plutôt fourni : un clavecin, un virginal (au jeu « luthé ») joués par Philippe Grisvard, un théorbe et son « petit frère » (teorbino) sous les doigts de François Dambois, une basse de viole et un lirone, sonnés par Jérôme Huille. Les partis pris musicaux sont convaincants au service efficace des textes et de la dramaturgie. Une petite frustration tout de même : hormis deux ou trois pièces où la viole et le théorbe se font entendre pleinement, les claviers couvrent les interventions du théorbe et surtout du lirone, frustrant ainsi le spectateur de leurs sonorités exceptionnelles (peut-être à cause d'un problème d’équilibre ou d’acoustique de la salle).
Hasnaa Bennani (© 'bdllah Lasri)
Hasnaa Bennani a une belle voix et une solide musicalité, mais elle peine à incarner les personnages et à représenter les passions mises en scène dans ces œuvres. Recherchant l'authenticité, elle émet une sorte de son filé, qu’elle exécute à mâchoire quasi close, avec les lèvres retroussées vers l’intérieur et qui produit un son droit, parfois un peu bas, mais surtout faible en dynamique et pauvre en effet expressif, surtout lorsqu’il est constamment déployé. Ce recours à des codes théâtraux en usages alors mériterait d'être joué plus à fond afin de le ré-énergiser par une dimension personnelle d’interprète, comme le font les artistes des théâtres orientaux (Nô, Bharatanatyam…). Eugénie Lefebvre, dotée d’une belle voix, franche et longue, variée en couleurs, et possédant un grand éventail dynamique, se révèle être une véritable interprète, incarnant avec un engagement réjouissant les personnages et les passions représentées.
Eugénie Lefebvre (© Didier Knoff)
Pour conclure, les interprètes offrent un Pur ti miro (duo final de l’Incoronazione di Poppea) dans lequel Monteverdi (ou Benedetto Ferrari, selon des recherches récentes) met en scène musicalement l’effusion amoureuse fusionnelle du couple enfin constitué de Néron et Poppée. Effets qui se réalisent lorsque l’on a deux voix égales (c’était le cas), mais seulement si une attention particulière est portée à un rapprochement des timbres, qui abolit alors la dualité des personnages pour donner à entendre une véritable fusion intime (ce qui ne fut pas le cas ce soir là).