Ernani à Toulouse, la force d’un opéra sous-côté
Ernani est probablement l’une des œuvres les plus sous-évaluées du répertoire. Rarement donnée, elle capture pourtant tout le génie musical de Verdi : ses ensembles et ses chœurs en particulier disposent de la flamme vibrante des plus grands chefs-d’œuvre du compositeur. Hommage doit donc être rendu à Jean-Jacques Groleau, Directeur du Théâtre du Capitole de Toulouse pour l’avoir programmé. Son livret, signé Francesco Maria Piave qui collabore là pour la première fois avec Verdi, dispose certes de lacunes, mais il offre un traitement des personnages passionnant : tous sont d’une complexité confondante, révélant parfois leur grandeur et parfois leur noirceur, mais toujours leur passion et leur honneur. Elvira et ses trois prétendants, Ernani, Silva et Carlo sont en effet mus par l’intransigeance de l’amour. Pour autant, tous sont capables des plus grands sacrifices. Ainsi, Silva accepte de livrer à Carlo son château et Elvira, qu’il aime et doit alors épouser, plutôt que de trahir Ernani, qu’il déteste pourtant mais que le devoir d’hospitalité l'oblige à protéger. Carlo, de son côté, se résout à absoudre les rebelles ayant attenté à sa vie, et à bénir l’union d’Ernani et d’Elvira, qu’il aime pourtant passionnément lui aussi. Ernani, enfin, refusant de se battre en duel contre Silva, vieillard qu’il perdrait l’honneur à embrocher, lui offre sa vie, acceptant même, pour avoir l’opportunité de venger son père en tuant Carlo, que Silva puisse la lui réclamer à tout moment, ce qu’il fera à l'instant où Ernani touchera enfin au bonheur, c’est-à-dire le jour de ses noces avec Elvira. Cette dernière reste réduite au statut de victime, ballottée entre ces trois hommes au gré des péripéties de leurs combats de coqs, sans que quiconque ne se préoccupe de ses désirs.
Vitaliy Bilyy dans Ernani (© Patrice Nin)
Le succès de la production repose en partie sur la direction musicale d’Evan Rogister qui exalte le talent de l’Orchestre national du Capitole et du Chœur du Capitole, trouvant un souffle épique qui traverse l’opéra de bout en bout, magnifiant les ensembles. La musique est ainsi tantôt martiale, tantôt sautillante, parfois aérienne aussi, comme lorsque la harpe délicate laisse entendre l’apaisement du cœur de Carlo. La sombre ambiance de l’acte III est figurée par une mise en avant du son mélancolique de la clarinette. Lorsqu’Ernani et Silva scellent leur serment, les coups de grosse caisse résonnent de manière signifiante : le destin tragique d’Ernani est alors définitivement gravé. Le large sourire éclairant le visage du chef au moment des saluts, malgré ses traits tirés par la fatigue, montre d’ailleurs bien sa lucide satisfaction quant au résultat produit.
Alfred Kim dans Ernani (© Patrice Nin)
Le rôle-titre est interprété par le ténor coréen Alfred Kim, qui aura eu besoin du premier acte pour se chauffer. Son timbre, métallique dans les premiers airs, s’éclaircit au fur et à mesure de la soirée. En revanche, sa prononciation approximative et sa puissance vocale restent constantes tout au long de l’opéra. Son vibrato ample et rapide s’accentue parfois lorsque le chanteur souhaite rendre son interprétation plus intense.
Tamara Wilson et Alfred Kim dans Ernani (© Patrice Nin)
La soprano américaine Tamara Wilson offre une magnifique Elvira au public toulousain. Ses aigus immaculés s’échappent de sa bouche sans qu’elle n’apparaisse devoir forcer son instrument, dans un torrent vocalisant à la fois fougueux et extrêmement maîtrisé, lui permettant de nuancer son interprétation pour offrir une large palette d’intentions.
Michele Pertusi et Vitaliy Bilyy dans Ernani (© Patrice Nin)
Michele Pertusi est magistral également en Silva : sa voix souple et noble tient une ligne cohérente et longue en souffle. Son phrasé, d’une grande richesse expressive, favorise la compréhension du texte mais crée de légers décalages avec l’orchestre. Lorsqu’il conclut l’opéra par son inflexible et impitoyable vengeance, il marche lentement vers Ernani, affichant son port aristocratique et son âme rongée par le désir de vengeance, derrière ses lunettes noires. Vitaliy Bilyy impose quant à lui une prestance impériale. Bien que ses capacités théâtrales soient clairement sous-exploitées par la mise en scène, il offre une expression faciale délicieuse : lorsque, déguisé, il est querellé par Silva, il affiche une confiance altière qui se mue en véritable exultation lorsque son identité impériale est révélée à tous, courbant l’échine de ses adversaires. Lorsque, touché par la grâce (et les mots d’Elvira), et habillé en empereur, une mèche rebelle lui tombant sur le front, il décide d’offrir sa clémence à ses opposants, il exhale une gravité charismatique, qui irradie la scène. Parfois serrée vocalement, elle libère de beaux aigus, lumineux et puissants. Paulina Gonzalez, Jesus Alvarez et Viktor Ryauzov offrent de beaux seconds rôles, bien campés et vocalement affirmés, dans une mise en scène anecdotique de Brigitte Jaques-Wajeman, dont le propos, principalement exprimé à travers les costumes caractérisant des nazis, des GI américains, des résistants ou des soixante-huitards aux habits pastels, reste relativement abstrait. La maison toulousaine maintiendra cette saison son esprit audacieux avec Le Prophète de Meyerbeer (disponible ici à la réservation).
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