Le mariage secret de Cimarosa à la Philharmonie
Le Mariage secret (Il Matrimonio segreto) de Cimarosa est l’opéra choisi cette année, autour duquel un projet pédagogique d’envergure s’est organisé, touchant plusieurs disciplines enseignées au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP) : l’Orchestre du Conservatoire, les élèves des départements des disciplines vocales, d’écriture et de direction d’orchestre. Un partenariat avec le lycée polyvalent Jules Verne de Sartrouville s’est mis en place afin que des élèves costumiers, habilleuses, accessoiristes, constructeurs de décors soient intégrés à ce projet.
Le Mariage secret de Cimarosa, considéré comme le sommet de l’opera buffa napolitain, fut créé à Vienne en 1792 et connut un succès dans toute l’Europe tout au long du XIXe siècle. Il est progressivement éclipsé par le succès de Rossini et la redécouverte des opéras de Mozart. Pourtant, coïncidence assez exceptionnelle, ce Mariage secret a été monté pas plus tard que le mois dernier à Nancy par Cordula Däuper (notre compte-rendu est à lire ici). Si l’on peut avoir des réserves quant à la musique manquant de variété et de profondeur, le choix de cet opéra reste pertinent. En effet, les parties vocales bien réparties entre airs et ensembles sont d’importance égale, offrant à chacun des chanteurs la possibilité de s’exprimer sans risque pour la voix.
Le sujet de l’intrigue est typique du genre bouffe : un riche marchand veut marier ses deux filles dans la haute société. L’une d’elles étant déjà mariée secrètement au commis du-dit marchand, s’ensuit une suite de quiproquos et de stratagèmes générés par l’amour et la jalousie. Ces six jeunes chanteurs ont en commun de belles voix homogènes et saines avec un réel plaisir dans le jeu scénique très physique et drôle induit par la mise en scène. Toutefois les personnalités se distinguent et l’on peut apprécier les qualités de chacun.
Guilhem Worms prête sa belle voix de basse ample et résonante au personnage de Geronimo. La truculence de ce rôle bouffe arborant une bosse, gesticulant maladroitement, ne se séparant jamais de son coffre plein d’or, tel un personnage de la Commedia dell'arte, lui sied parfaitement.
Harmonie Deschamps (© DR)
Harmonie Deschamps (déjà raffinée dans Armide à Bordeaux) est une Carolina fragile et inquiète à la voix légère, au vibrato très audible. Son émission aisée sur toute la tessiture peut manquer de puissance et de profondeur, notamment dans son récit accompagné au deuxième acte, seul moment dramatiquement plus soutenu.
Marie Perbost (que vous pourrez entendre parmi les révélations classiques de l'ADAMI aux Chorégies d'Orange cet été) domine la distribution. Son timbre riche et centré, son chant très nuancé et son tempérament incroyable en font une Elisetta flamboyante.
Marie Perbost (© DR)
La présence scénique de Fiona McGown dans le rôle de Fidalma est indiscutable et très drôle, notamment quand elle se déshabille devant Paolino, dévoilant un costume que ne renierait pas le chorégraphe Philippe Découflé. Sa présence vocale est inégale : sa voix sonore et bien timbrée dans le haut médium et l’aigu peut être parfois en retrait dans certains récitatifs et dans le grave.
Fiona McGown (© DR)
Blaise Rantoanina, ténor léger au timbre bien défini et homogène, manque parfois d’expressivité et de nuances, cependant il sied parfaitement au personnage quelque peu falot de Paolino.
Jean-Christophe Lanièce, baryton haut en couleur, à l’image de son costume de hippie, incarne le Comte Robinson d’une voix colorée et expressive. Il semble s’amuser avec ce personnage décalé imitant Michael Jackson et déclenchant le rire du public.
Jean-Christophe Lanièce (© DR)
Il faut saluer le travail extraordinaire des metteurs en scène, scénographes et costumiers Cécile Roussat et Julien Lubek (dont nous avions récemment apprécié le talent dans Didon et Énée à l'Opéra de Rouen), qui a largement contribué à la réussite de ce projet. La mise en scène est foisonnante, énergique, burlesque et poétique à la fois. Un personnage muet, interprété par Alex Sander Dos Santos, est ajouté à la distribution. Danseur, comédien, tantôt valet tantôt personnage ailé de l’amour, il fait le lien entre les protagonistes, provoque des situations, distribue divers accessoires et déplace le décor. Sur la scène un carrosse renversé et un tronc d’arbre offrent de multiples possibilités de cachettes, d’ouvertures, de trappes et peut également se transformer en théâtre d’ombres.
Cécile Roussat et Julien Lubek (© Michel Ramonet)
Patrick Davin (à retrouver à la tête du Quartett de Luca Francesconi à Rouen) assure la direction musicale, mettant en avant la légèreté de la partition. S'il ne parvient pas toujours à offrir une interprétation nuancée et subtile, il demeure très à l’écoute de l’ensemble et s’efforce de rattraper les légers décalages avec le plateau.