Il Signor Bruschino : les jeunes prennent le pouvoir à Massy
L’Opéra de Massy proposait ce vendredi soir une version concertante d’Il Signor Bruschino, une farce de Rossini, interprétée par de jeunes talents issus de l’Académie de l’Opéra de Paris, dont certains ont déjà de solides expériences, et qui feront très certainement parler d’eux au plus haut niveau d’ici quelques années. L’Orchestre national d’Ile-de-France est emmené par son Directeur musical Enrique Mazzola, qui ne se contente pas de tenir la baguette. Avant que les premières notes de musique ne soient jouées, il présente avec humour la soirée et la mise en espace drôle et intelligente de Mirabelle Ordinaire : parmi les solistes, la famille Gaudenzio est vêtue de blanc tandis que la famille Bruschino est habillée en noir. Symboliquement, un damier alternant ces deux couleurs s’affiche au sol et sur l'écran géant qui forme le fond de scène. L’orchestre lui-même se pare conformément à ce code couleur. Facétieux, Mazzola dévoile sa propre chemise, moitié blanche et moitié noire. Tout au long de la soirée, il interagit avec les chanteurs qu’il couve d’un regard protecteur, se faisant leur confident lorsque le livret prévoit des apartés.
Il Signor Bruschino par Mirabelle Ordinaire (© DR)
L’Orchestre entame l’ouverture, connue pour son originalité : la partition demande aux cordes de taper en rythme à plusieurs reprises sur leur instrument avec le dos de leur archet. La première fois, les musiciens tapent des pieds (les artistes modernes redoutent en effet d’abîmer leurs précieux instruments !). Lors de la seconde occurrence de ce passage percussif, ils figurent une violente dispute. Pour la troisième, c’est Mazzola lui-même qui tape sur son pupitre, comme pour demander l’attention de ses musiciens. La qualité de la phalange francilienne n’est pas démentie par ce concert : la musique est rythmée et nuancée, balayée des accents typiques du style rossinien.
Damien Pass (© DR)
Le rôle-titre est interprété par le baryton-basse Australien Damien Pass, qui joue à merveille son personnage, se montrant tantôt ahuri par l’invraisemblable histoire qui lui est contée (et qui lui donne bien chaud !), tantôt hilare du tour qu’il joue à Gaudenzo, pour finir beau joueur. Son phrasé est gracieux : il allège certains segments pour mieux accentuer la suite et offrir ainsi un chant bondissant. Sa parfaite diction et son débit lui permettent d’entraîner les ensembles, tous parfaitement en place rythmiquement, de sa voix suave et puissante au timbre corsé et ample dans le grave.
Ruzan Mantashyan (© DR)
Ruzan Mantashyan interprète Sofia, la jeune femme à marier. Très à l’aise dans les vocalises et dotée d’un doux vibrato, elle offre une voix riche dans les médiums et pure dans les aigus. La fausse candeur narquoise de son personnage (lorsque son père lui parle du mariage en se référant à un exemplaire des Relations amoureuses pour les Nuls !) se mue en sadisme délicat et moqueur lorsqu’elle torture (gentiment) Bruschino.
Pietro di Bianco (© DR)
Le ténor Maciej Kwasnikowski, légèrement statique lorsqu’il chante, dispose d’un timbre solaire aux reflets cuivrés. Sa voix est bien projetée et il offre de belles ornementations sur ses vocalises maîtrisées. Son jeu avec le continuiste assis au piano-forte, qui lui donne l’argent dont il a besoin pour corrompre Filiberto, est très réussi. Pietro di Bianco chante un Gaudenzio convainquant, au jeu abouti et aux pas de danse gracieux. Il réduit dans les ensembles le volume de sa voix puissante pour ne pas les déséquilibrer. Son timbre brillant produit de jolis graves, bien que la voix soit placée haut dans la gorge, ce qui fragilise sa ligne vocale. Andriy Gnatiuk dispose d’un timbre agréable peu assorti au caractère bougon du personnage. Emanuela Pascu (appréciée dans l’Orfeo à Bastille l’an dernier) dispose d’une voix ronde et ferme qu’elle manie avec agilité. Piotr Kumon (qui tenait le rôle-titre d’Owen Wingrave en décembre) est un Délégué de police appliqué, prenant plaisir à sur-jouer la rigueur de son rôle. Enfin, Joao Pedro Cabral campe avec humour le fils de Bruschino. Preuve de leur talent, certains de ces jeunes chanteurs côtoieront les grandes scènes françaises dans les prochains mois à l’image de Ruzan Mantashyan (Xenia dans Boris Godounov à l’Opéra de Paris) ou Pietro di Bianco (Biscroma dans Viva la Mamma à Lyon en juin -à réserver ici), puis Fiorello dans le Barbier de Séville et Spinellocio dans Gianni Schicchi à l’Opéra de Paris). À suivre !
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